Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Corrélations de la misère

mercredi 2 novembre 2022

La corrélation entre obésité et précarité est connue. L’indice de masse corporelle des enfants est inversement proportionnel aux revenus des parents. La densité calorique d’un aliment est à l’opposé de son coût. Bien se nourrir coûte 1200 € de plus par an et par personne.

Pour les cancers, les corrélations sont fortes. Les ouvriers ont une mortalité par cancer plus élevée. Les cancers dits « curables » ont un taux de survie obéré par un faible statut. Et il existe un remarquable parallèle entre taux de chômage et mortalité par cancer.

D’autres corrélations sont moins connues. Par exemple, l’augmentation du niveau d’instruction diminue la prévalence des maladies cardiovasculaires. Un statut socio-économique médiocre aggrave le risque de psychose. Même pour les simples rhumes, un statut favorable en diminue le nombre et l’intensité.

Les pics de pollution au NO2 sont rapidement suivis d’une augmentation de la mortalité ; et devinez qui habite dans les quartiers exposés au plus fort trafic automobile.  

Il existe une parfaite corrélation inverse entre la mortalité infantile et l’éducation des mères. Fait surprenant, cela concerne autant les pays riches que les pays pauvres, chaque mois supplémentaire d’école diminue la mortalité infantile.

De faibles revenus pendant la grossesse entraînent des répercussions à long terme ; les adultes issus de ces grossesses ont un niveau de cortisol plus élevé (stress) et de plus faibles réponses immunitaires.

Les femmes pauvres subissent plus de césariennes et allaitent moins leurs enfants, deux faits dont les conséquences délétères sont innombrables et sous-estimées.

Revenons à une plus impeccable corrélation. Celle entre revenus et durée de vie. La pauvreté multiplie par quatre le risque de mort prématurée (avant 65 ans). Une enfance défavorisée double le risque de mort prématurée, et la persistance de ces conditions défavorables à l’âge adulte le double encore. La misère dans les pays riches est plus dure, elle fait perdre 8 ans d’espérance de vie aux hommes et 5,4 aux femmes, alors que dans les pays pauvres le différentiel est de 2,6 ans pour les hommes et 2,7 pour les femmes.

Ceux qui n’aiment ni les corrélations, ni les pauvres, accusent ces derniers de fumer, boire, manger des chips, ne pas faire de sport et trop regarder la télé. Comportements qui ont fait l’objet de savantes publications évoquant la « constellation comportementale de la privation ». C’est certain, les disparités initiales peuvent conduire à des inégalités plus importantes et des boucles de rétroaction peuvent fonctionner sur des générations.

Les causes de mort prématurée proviennent pour 30% de prédispositions génétiques, pour 30% de mauvaises conditions sociales, et pour 40% de conduites à risque.

Aucun doute, l’éducation et les salaires sont les meilleurs leviers du niveau sanitaire.

Le surréalisme biomédical va probablement chercher d’éventuels gènes de prédisposition à la pauvreté et proposer des thérapies géniques adaptées.

Bibliographie

Pollution et fécondité

vendredi 21 octobre 2022

La bibliographie concernant les preuves de l’influence néfaste des pesticides sur la spermatogenèse, la fertilité masculine et la fécondité des couples, est déjà volumineuse. Les perturbateurs endocriniens ont un effet délétère sur les organes génitaux des descendants sur plusieurs générations. Cette connaissance solidement acquise ne modifie guère l’usage de ces produits. Le plus étonnant est qu’elle ne semble pas ébranler le principe même de leur utilisation ; un nouveau produit en détrône un autre, laissant supposer que l’on espère toujours découvrir d’incohérents produits susceptibles de détruire la vie végétale sans affecter la vie animale et humaine.

Il nous était plus difficile de prévoir que la pollution aux particules fines (PM2,5 et PM10) aurait aussi un jour un effet dramatique sur la reproduction en augmentant les avortements spontanés, la mortalité néonatale et la prématurité. On constate une nette diminution du poids de naissance sous l’effet des PM10, mais aussi sur d’autres polluants tels SO2, O3, CO et benzène. La corrélation inverse entre trafic routier et poids de naissance est significative. Les métaux lourds ont des effets similaires sur les avortements spontanés, la prématurité, la mortalité néonatale et l’hypotrophie fœtale.

Les détracteurs des écologistes se réjouiront d’apprendre que ces polluants ne sont pas la principale cause de la baisse de fécondité dans nos pays développés. En effet, la première cause est d’ordre social : c’est l’âge de plus en plus avancé de la première grossesse. Malgré tous nos progrès, nous n’avons pas su modifier la période optimale de fertilité qui reste située entre 18 et 36 ans, tant pour les hommes que pour les femmes, avec un pic à 24 ans. La nature préfère obstinément les jeunes gamètes.

Le phénomène est bien connu dans tous les pays : la croissance économique est toujours accompagnée d’une baisse de la natalité. Lorsque la Chine était pauvre, elle imposait autoritairement l’enfant unique, maintenant qu’elle s’enrichit, elle encourage la natalité. Contrairement aux autres espèces où la disponibilité des ressources détermine la démographie, dans la nôtre, il apparaît que la prospérité ne peut être simultanément économique et démographique.

L’immigration est alors la meilleure solution pour l’avenir démographique des pays où l’infécondité est sociale. Cependant, avec la mondialisation des nuisances, on peut redouter une internationalisation de l’infécondité. Ce qui serait assez préoccupant pour notre espèce.

Les théories catastrophistes en géologie et biologie ont été démenties par Lyell et Darwin. On peut raisonnablement penser qu’elles ne seront pas plus pertinentes en écologie. La vie et la planète subsisteront, les nuisances d’Homo sapiens ne sont catastrophiques que pour lui-même. Il s’agit d’un équilibre de type proie/prédateur particulier puisque la même espèce y joue les deux rôles.

Bibliographie

Scénarios contradictoires

lundi 10 octobre 2022

La biologie de l’évolution essaie de reconstituer les scénarios qui ont conduit à la modification des espèces. La biologie moléculaire étudie les mutations génétiques et leurs conséquences sur les organismes actuels.

Les molécularistes reprochent aux évolutionnistes de raconter de « belles histoires » sans en apporter de preuves, alors que ces derniers reprochent aux premiers de réduire la vie à des codages simplistes sans tenir compte de la complexité des contraintes environnementales.

Les généticiens auraient la tête bien pleine, remplie de preuves, alors que les évolutionnistes auraient la tête bien faite, remplie d’hypothèses.

Bien que les deux domaines se complètent admirablement, l’évolution reste mal aimée depuis que Darwin a osé démanteler les créations de Dieu. La préférence va à la génétique qui montre la perfection divine de l’architecture du vivant.

Quant aux créationnistes, ils se dispensent de théories et de preuves. Tant que leur dogmatisme n’entravait pas la marche de la science et de son enseignement, on pouvait les laisser jouer dans la cour. Hélas, par je ne sais quel truchement, ils reviennent en force dans les ministères de plusieurs pays de l’OCDE, et non des moindres. Est-ce pour cette raison que certaines publications sont fallacieusement claironnées par les médias ?

La plus populaires et la plus solide des théories évolutionnistes est celle de la persistance de la lactase chez les éleveurs de bovins. Une étude récente vient de démontrer que cette tolérance au lait a également été favorisée par les famines et épidémies qui ont frappé l’humanité. Cette étude a été présentée comme contradictoire, alors qu’elle vient tout simplement confirmer la meilleure survie aux famines des populations qui ont eu le lait comme substitut nutritif.  

Lorsque l’on a évalué que le nombre de cellules de notre microbiote était cent fois supérieur à celui de nos propres cellules, notre génétique divine en a souffert. Puis une modélisation a contesté ce ratio en le ramenant à dix ; elle a aussitôt bénéficié d’un large écho médiatique. Pourtant cela ne change rien au fait que nos gènes microbiotiques nous façonnent plus que ceux qui nous ont été divinement attribués !

Une autre théorie évolutionniste très populaire est celle dite « effet grand-mère » pour expliquer l’énigme de la ménopause. Les grands-mères, libérées de la procréation, auraient permis une meilleure survie de leur progéniture en assistant les mères, voire en les remplaçant en cas de mortalité liée à l’accouchement. Chaque fois qu’une hypothèse vient contredire cette « belle » histoire, elle est assurée d’une diffusion en prime time.  La plus cocasse a suggéré que la préférence des hommes pour des femmes plus jeunes a conduit à une accumulation de mutations génétiques nuisibles à la fertilité des femmes plus âgées.

Inutile d’expliquer pourquoi Dieu a créé les hommes avec une préférence marquée pour les femmes les plus jeunes ; il suffit d’en faire un dogme.

Références

Avenir de la prévention

vendredi 30 septembre 2022

Le nouveau ministère souhaite plus de médecine préventive dans les politiques de santé. Bravo.

Notre pays abonde de soins divers, accessibles à la grande majorité, mais il est très en retard dans le domaine préventif. Même pour les vaccins, nous avons dû passer par les obligations, tant l’idée de prévention est étrangère à notre culture d’assitance.  

La prévention est très distincte du soin, la première dépend de l’individu et le second de la médecine. Cette distinction est si fondamentale que le terme de médecine préventive peut être vu comme un contresens. Nous devrions parler d’individualité préventive, laquelle se forge par l’éducation et dépend de multiples traits psycho-sociaux dont aucun n’est du registre de la médecine. L’éducation relève de l’école et de la famille, les traits psycho-sociaux de tout l’environnement à l’exception du médical.

En outre, la médecine confond prévention et prédiction. La prévention consiste à éviter ou retarder des maladies, la prédiction consiste à établir des risques de maladies. Le dépistage de cancers, de cholestérol, d’hypertension artérielle, d’anévrysmes ou d’allèles sont des prédictions théoriques et hasardeuses. Les préventions qui peuvent suivre ces prédictions sont identiques à celles qui les précèdent. Il ne faut fumer ni avant, ni après un cancer, il faut marcher avant et après le cholestérol ou l’hypertension. Quant aux anévrysmes et allèles défavorables, acceptons lucidement nos limites. De plus, ces prédictions sont souvent perverses en laissant supposer qu’une pharmacologie de prévention secondaire dispense de la prévention primaire individuelle, toujours plus efficace.

Non seulement médecine et prévention sont définitivement incompatibles, mais plus forte est la présence médicale, plus faible est la prévention.

Alors pourquoi confier la prévention au ministère de la santé ? Avons-nous été dévoyés au point de considérer que la gestion primaire de notre corps ne peut être confiée qu’à de professionnels ?

Une autre réponse me paraît plus simple. Il est plus facile et beaucoup moins coûteux de proposer des consultations gratuites à 25, 45 et 65 ans, comme cela vient d’être fait, que d’éradiquer le tabac et les sodas, que de diviser par quatre la consommation de viande, que de supprimer les véhicules dans les villes, que de, que de, etc. Chacun a son idée, et toutes sont catastrophiques pour le PIB…

Mes propos sont d’une banale naïveté. Alors, pour être plus effronté, sachant que les bilans et check-up n’ont jamais eu le moindre effet sanitaire, je propose le scénario le plus probable qui suivra ces nouvelles consultations gratuites. On trouvera de plus en plus de cholestérol et de sucre dans le sang, de plus en plus de déficits cognitifs, de syndromes dépressifs, de douleurs négligées, de cellules cancéreuses. Autant de merveilleux marchés supplémentaires pour la prévention pharmacologique secondaire.

Monsieur le ministre, les industriels de la santé ne vous remercieront jamais assez.

Bibliographie

Deuxième fonction du praticien

vendredi 23 septembre 2022

De tous temps, la médecine a tenté d’intervenir dans des situations de maladie et de souffrance. Malgré ce but louable, pendant des millénaires, elle n’a jamais fait mieux que d’accompagner les patients en attendant le verdict de la nature. Elle a même été souvent délétère : saignées, infections puerpérales et thalidomide en sont d’emblématiques exemples.

Puis, après des victoires comme l’anesthésie générale, la césarienne, l’insuline, les vaccins, les antibiotiques, les neuroleptiques, la chirurgie orthopédique, l’héparine ou la cortisone, plus personne n’osa faire la moindre allusion aux médecins de Molière.

La médecine avait rempli sa fonction première d’empêcher les morts évitables et prématurées (définies par leur survenue avant 65 ans).

Mais, comme toute activité humaine, la médecine a sa part commerciale, et doit, elle aussi, développer ses argumentaires. Il lui a été facile d’utiliser ses magnifiques victoires pharmaceutiques, obstétricales et chirurgicales, pour suggérer que tous les tourments du corps et de l’esprit lui revenaient de plein droit. Quel publiciste n’aurait pas abusé d’un tel levier mercatique ?

Cette communication a dépassé toutes les espérances. Les citoyens se font contrôler, dépister, opérer, médicamenter avant d’avoir la moindre plainte. Chacun trouve normal de se voir attribuer une maladie dont il n’a pas la moindre conscience et ne ressent aucun symptôme. Ces excès marchands découlent de prouesses technologiques capables de révéler tous les marqueurs des maladies qui finiront par nous tuer. Les marchands d’avion, de béton ou de poissons, contraints à une perfection immédiate et durable, bavent de jalousie devant les marchands de santé libérés de toute garantie envers leurs consommateurs.

Ces réflexions ne seraient qu’un amusement de philosophe, si cette nouvelle médecine sans contrainte ne devenait l’activité principale des médecins de toutes spécialités. Tant que ce commerce ne nuit pas à la santé, le clinicien n’a pas de raison d’intervenir, car le commerce est un accord entre producteur et consommateur. Le clinicien n’a pas à fustiger les marchands de tabac, mais à fournir une information éclairée aux fumeurs.

Hélas, les bien portants étant désormais la première cible commerciale de la médecine, et les morts non-prématurées son principal sujet d’acharnement, la pathologie iatrogène a fini par devenir une cause majeure de mortalité. Le praticien est alors confronté à un nouveau défi : évaluer le rapport bénéfices/risques de ces nouvelles activités médicales. Cela est excessivement difficile, source d’informations contradictoires, voire de désinformations. 

Parvenir à fournir aux citoyens une information éclairée sur ce point sera assurément la deuxième grande fonction du praticien. C’est aussi le seul véritable espace de progrès de la médecine après ses succès historiques.

Sans parler de la difficulté qu’auront les médecins à scier leur branche, je vous laisse deviner l’imbroglio épistémologique qui se prépare…

Référence

Comprimés pour non-alcooliques

mardi 6 septembre 2022

Nathalie a cinq ans, des cheveux bouclés et un visage d’ange.  

Sa mère me consulte un jour, et au prix d’une énorme souffrance, elle libère ses mots et ses sanglots. Elle commence par vanter les qualités de son mari, bon père et bon travailleur. Tout serait pour le mieux sans des épisodes d’alcoolisme aigu à un rythme qu’elle dissimule, mais qui me parait plus que mensuel.

Quand il boit, c’est terrible docteur. Il arrive le soir avec un visage différent ; il y a de la folie dans son regard. Il ne regarde même pas la petite. Il se précipite sur moi, et sans explications, sans motifs, il commence à me frapper. J’essaie de le calmer, mais rien n’y fait. Rien ne l’arrête, même pas les hurlements de Nathalie. Il me frappe sans pouvoir s’arrêter. Heureusement il ne touche jamais Nathalie. J’arrive à me défendre, je prends Nathalie dans les bras et on s’en va en courant et en pleurant.

Elle a dû réfléchir longuement avant de déverser ce flot de confidences. Elle poursuit.

Au bout de quelques heures, je reviens à la maison. Tout est fini, il embrasse Nathalie, il s’excuse, il me prend dans ses bras. Je retrouve mon mari, comme je l’ai connu. C’est insensé, c’est incroyable, ça doit être le vin ou les hormones. Je suis fatiguée docteur, je n’en peux plus, je ne dors plus, donnez-moi un tranquillisant.

J’essaie de lui expliquer que c’est son mari qu’il faut soigner, pas elle.

Deux mois plus tard, elle m’appelle en urgence. Nathalie vient de tomber de la fenêtre du deuxième étage. Elle ne va pas trop mal, elle a apparemment une cheville et une clavicule cassées. En attendant l’ambulance, les parents tentent d’exorciser les causes de l’accident. Ils commençaient à se disputer à cause du vin, Nathalie jouait tranquillement près de la fenêtre. Quand ils l’ont aperçue sur le rebord, ils se sont précipités en criant tous les deux, mais il était trop tard pour la retenir.

Je regarde la fenêtre et sa balustrade. Aucun enfant de cinq ans ne peut franchir les deux obstacles par la seule étourderie de son jeu. On a des idées bizarres à cinq ans pour forcer son père à se soigner.

La biologie des mammifères peut expliquer la polygamie et l’adultère, car les mâles ont la possibilité de répandre leurs gènes pour un coût dérisoire. La culture a fortement modéré cet héritage biologique. Cependant, aucune biologie ne peut expliquer les violences hors viol et les féminicides envers une partenaire susceptible de porter notre progéniture. Seul l’alcool peut être pourvoyeur de ces violences gratuites.

Lorsque j’ai revu Nathalie à l’adolescence, son visage était moins angélique, ses parents s’étaient enfin séparés. Elle me fit part de ses problèmes affectifs, et plus discrètement de ses difficultés sexuelles. Elle semblait ne pas avoir eu le bonheur improbable de la résilience et me demanda des comprimés pour sa dépression.

Le commerce de l’alcool alimente celui des psychotropes, bien qu’aucun comprimé ne puisse corriger les erreurs matrimoniales et les blessures de l’enfance.

Privation de connaissances

mardi 16 août 2022

La domination du marché sur la recherche et la pratique médicales pose des problèmes encore plus graves que ceux de la sélection des thèmes ou de la manipulation des résultats. En voici quelques exemples.

Pour faciliter sa communication, donc le marketing, le marché raisonne toujours en monofactoriel : cellule cancéreuse = cancer, cholestérol = accident vasculaire, protéine tau = Alzheimer, manque de sérotonine = dépression, etc. Ce réductionnisme, au sens épistémologique du terme, est également réducteur sur les processus cognitifs des chercheurs et universitaires, souvent à leur insu, en diminuant leurs facultés de mise en perspective clinique ou historique.  

L’obsession pharmacologique sur ces facteurs, artificiellement isolés, entraîne des conséquences bien plus fâcheuses que celles d’éventuels effets indésirables. La principale est d’amputer la connaissance de l’histoire naturelle de nos symptômes, troubles et maladies.

Tout en nous réjouissant des énormes progrès de la médecine sur les plus graves maladies, tout en évitant un passéisme désuet qui voudrait s’en tenir au célèbre aphorisme d’Hippocrate natura medicatrix, il nous faut néanmoins constater que faire progresser la connaissance sur notre complexion physiologique et physiopathologique est de plus en plus difficile, voire impossible.

Il n’est plus possible de connaître l’évolution naturelle d’une virose respiratoire sans anti-inflammatoires, voire sans antibiotiques théoriquement inefficaces. Il n’est plus possible d’observer passivement l’évolution d’une petite tumeur, même chez une personne âgée ; l’interventionnisme a transformé cette passivité en un risque juridique. Il n’est plus possible de connaître l’efficacité des thérapies comportementales sur les douleurs, car il n’existe plus de douleurs vierges d’antalgiques, y compris chez les enfants.

D’ailleurs, les thérapies comportementales de tous types ne peuvent plus faire l’objet d’études comparatives sérieuses et menées à terme, puisque le seul fait de mettre sur le marché un médicament dans une indication donnée, a pour conséquence immédiate de dévaloriser tout autre type de thérapie. La mercatique n’a pas eu à déployer de grands efforts de communication auprès de nombre de médecins et patients, pour les convaincre que la chimie sera plus efficace sur la douleur, la tristesse ou l’athérosclérose que le yoga ou la marche.

Le biopouvoir marchand, la consommation effrénée et l’évolution des pratiques médicales sont devenues les principaux freins aux progrès de la connaissance clinique et thérapeutique.

Faut-il s’en émouvoir davantage que des autres régressions cognitives liées à la suprématie du marché sur nos comportements ? Sans doute pas, mais ayant un penchant naturel pour la médecine et le soin, je suis triste de savoir que mille connaissances en ces domaines me sont désormais inaccessibles.

Référence

Maltraitance immunitaire

mercredi 3 août 2022

Dans le domaine de l’immunologie, les médecins se doivent d’afficher une certaine modestie. Certes, les grandes fonctions du système immunitaires sont théoriquement connues ainsi que la plupart de ses composants cellulaires et humoraux. Mais ces brillantes découvertes ne suffisent pas à la compréhension clinique des déficiences immunitaires, des maladies auto-immunes et des phénomènes plus complexes d’hyperimmunité ou d’anaphylaxie.

En médecine, l’ignorance est pardonnable, pas le fait d’en être insouciant. C’est assurément en immunologie que l’histoire de la médecine est la plus riche d’anecdotes de mandarins téméraires, ignares de leur ignorance.

Ce système, essentiellement constitué de protéines et cellules circulantes, était logiquement peu accessible à l’observation. Il possède cependant des organes bien solides tels que la rate, les ganglions, la moelle osseuse, le thymus, les amygdales et l’appendice, qui malgré leur visibilité sont restés tout aussi longtemps inaccessibles à la raison.

L’histoire la plus cocasse est celle du thymus. Dans les années 1920, des pédiatres américains, constatant que les enfants souffrant de rhino-pharyngites fréquentes avaient de gros thymus, proposèrent de détruire cet organe par irradiation. Prétextant que ces gros thymus pouvaient être responsables de gênes respiratoires ou circulatoires, voire de mort subite, les radiologues irradièrent des milliers d’enfants. La mortalité élevée de ces victimes du zèle médical obligea à cesser le massacre des thymus avant de découvrir que les lymphocytes y acquièrent leur compétence immunitaire (on les nomma alors lymphocytes T en référence à cet organe vital).

Ce drame n’empêcha pas d’extraire par la suite des millions d’amygdales, d’appendices ou de végétations, sans se poser plus de questions. Ces extractions, quoiqu’inutiles dans plus de 95% des cas, entraînaient heureusement des conséquences rarement aussi catastrophiques que celle du thymus.

Les médecins n’aiment décidément pas les organes du système immunitaire, et plus généralement, les organes dont les fonctions ne sont pas encore toutes connues. J’admire tant les prouesses de la chirurgie qu’il m’est douloureux de constater que le bistouri sert parfois de cocarde aux ignorants et aux hyperactifs.

L’histoire ne s’arrête pas pour autant. L’immunologie reste aujourd’hui le meilleur terreau de l’ignorance. Ses liens vraisemblables avec le psychisme sont d’une obscurité qui me fait redouter le pire…

Plus pittoresque encore est le déni du vieillissement du système immunitaire, lequel semble être officiellement devenu le seul système capable d’échapper à la sénescence. On prône la vaccination ad libitum des personnes dont l’immunité est aussi ridée que leur peau et aussi rouillée que leurs articulations. Fort heureusement, cela semble sans danger. Tant pis si c’est juste inutile et ridicule, et témoigne d’un constant manque de lucidité sur l’histoire des relations tumultueuses des médecins avec l’immunologie.

Bibliographie

Légalisation du cannabis

dimanche 24 juillet 2022

Deux thèmes tissent les débats sur la dépénalisation du cannabis, d’une part la nocivité de cette drogue, d’autre part les risques inhérents à tout trafic illégal.

Le problème de la nocivité peut être écarté, car le statut légal ou non d’une drogue ne change rien à sa nocivité intrinsèque. Ce statut ne modifie pas davantage l’accès à cette drogue si l’on en juge par l’augmentation régulière de la consommation de cannabis et la stabilité de celle de l’alcool.  

Le cannabis, par son illégalité, provoque essentiellement une mortalité en amont de sa vente, liée aux règlements de compte entre truands. L’alcool, par sa légalité, provoque exclusivement une mortalité en aval de sa vente (violence conjugale, accidents, etc.)

Le risque majeur d’une dépénalisation du cannabis serait de déplacer les activités des trafiquants, ainsi privés d’un gros marché, vers des drogues plus dures, augmentant alors la mortalité en aval, sur les consommateurs. Cela pourrait aussi augmenter secondairement la consommation de drogues légales, comme les morphiniques de prescription médicale.

Un autre problème, absent du débat, peut se résumer de façon naïve à une histoire de « gentils » et de « méchants ». Admettons que les drogués soient le plus souvent des « gentils », fragiles, pauvres ou faibles, soit par manque d’éducation sanitaire sur les méfaits de toutes les drogues, soit par une fragilité psychique à compenser par diverses addictions. Admettons que les trafiquants drogueurs soient des « méchants », marginaux, sociopathes ou délinquants, dépourvus d’empathie et connaissant tous les subterfuges des marchés de l’addiction.

Prendre la décision de la légalisation c’est protéger les « méchants » en diminuant la mortalité liée aux trafics, et c’est aggraver les addictions, donc la fragilité et la mortalité des « gentils ».

Sans éducation sanitaire, quelles que soient les décisions politiques et juridiques qui seront prises, ce seront assurément les plus fragiles et les plus pauvres qui paieront le plus lourd tribut. Comme d’habitude.

L’éducation sanitaire autour des drogues est particulièrement difficile, puisque le monde médico-pharmaceutique, non content d’être devenu le premier pourvoyeur d’addiction avec les psychotropes et les opiacés, s’engage maintenant résolument dans la promotion du cannabis thérapeutique. Ne doutons pas qu’il y parviendra. Le marché de la douleur et de la détresse a toujours été le plus lucratif, indépendamment de ses résultats catastrophiques.

Un autre type de difficulté apparaît. Il faut évidemment informer que toutes les drogues, légales ou illégales, sont dangereuses sur les plans psychiques et cognitifs. Mais devant la frénésie mercatique des industriels et des truands, l’âge de consommation est de plus en plus précoce. Les psychoses et déficits cognitifs ainsi engendrés diminuent l’efficacité de cette information sanitaire.

Autant de nouvelles pelles pour creuser le fossé des inégalités sociosanitaires.

Bibliographie

D’accord mais de mort lente

mardi 5 juillet 2022

La « pression parasitaire » est l’ensemble des infections qui menacent une espèce. C’est le plus gros fardeau environnemental de l’humanité. Cette pression est maximale au niveau des tropiques, elle décroît avec la latitude. Le froid diminue le nombre et la vitalité des vecteurs et ralentit la croissance des bactéries. Seuls certains virus savent profiter du froid qui fragilise nos muqueuses nasales et bronchiques. Les viroses respiratoires ne connaissent ni la météorologie, ni la latitude.

Avec l’urbanisation et les voyages intercontinentaux, l’humanité a connu ses plus effroyables épidémies, jusqu’à décimer des populations entières. Diarrhées de l’Indus, variole et rougeole en Amérique, peste en Europe, puis syphilis, choléra et tuberculose avec l’urbanisation.

L’impact n’était pas que sanitaire, il était aussi démographique, car ces maladies tuaient leurs victimes avant l’âge de la reproduction. Cela signifie que nous sommes les descendants des survivants, de ceux qui avaient l’immunité suffisante pour avoir le temps de procréer. Nous avons tous hérité du meilleur capital immunitaire possible, par le jeu normal de la sélection naturelle.

Les vaccins constituent le plus gros progrès de la médecine. Cependant, la variole est l’unique maladie qui a pu être éradiquée par un vaccin ; la polio sera peut-être la prochaine. Pour tous les autres vaccins, la maladie persiste, obligeant à vacciner chaque nouvelle génération. Enfin, on ne peut logiquement pas éradiquer une maladie qui touche aussi d’autres espèces que la nôtre et dont la transmission se fait par simple contact ou par l’air. Ces pourquoi les viroses respiratoires ne cesseront jamais.

Par définition, les personnes qui n’ont pas un bon système immunitaire sont plus difficiles à protéger par un vaccin, même en multipliant le nombre d’injections. Le système immunitaire vieillit comme tous les autres systèmes. C’est pour cela que les maladies infectieuses sont l’une des quatre façons classiques de mourir avec les maladies tumorales, cardio-vasculaires et neuro-dégénératives.

Alors pourquoi la mort par maladie infectieuse semble inacceptable alors que nous sommes tacitement résignés à ses trois autres causes ? Comment peut-on avoir la naïveté de penser que l’on pourra empêcher les infections de tuer au troisième âge ?

Il y a plusieurs explications possibles. Le succès des vaccins a fait oublier leurs limites. On est dans le déni du vieillissement du système immunitaire, alors que l’on accepte le vieillissement de nos neurones, de nos artères, de notre peau, de nos reins et de nos articulations. Enfin, la raison la plus probable est la rapidité de la mort après diagnostic, alors que les trois autres tuent plus lentement.

On a reproché à Brassens d’être politiquement incorrect en déclarant qu’il voulait bien « mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ». Nous sommes comme lui pour les maladies, mais sans la gouaille lucide du poète philosophe.