Archive pour le mot-clef ‘placebo’

Renouveau du magnétisme médical

lundi 29 octobre 2018

En 1778, le médecin Allemand Franz Mesmer fit la gloire du magnétisme médical. Ses fameux « baquets » de « fluide universel » devinrent de célèbres lieux de mondanités hystériques du Tout-Paris. Puis, lorsque cette mode thérapeutique connût des dérives érotiques – pâmoisons magnétiques de dames calmées par des messieurs dans des boudoirs annexes – l’Académie s’en émut. En 1784, Louis XVI demanda à deux illustres savants, Benjamin Franklin et Antoine Lavoisier, d’évaluer la magnétothérapie. Après des observations au protocole exemplaire, leur conclusion fut sans appel : « Le magnétisme sans l’imagination ne produit rien. La pratique de la magnétisation est l’art d’augmenter l’imagination par degrés ».

Aujourd’hui, malgré nos progrès, il subsiste de nombreuses situations (douleurs chroniques, troubles somatomorphes, désordres fonctionnels) où la médecine est constamment bafouée. Laissant libre cours à toutes les fantaisies thérapeutiques qui peuvent alors fleurir, flétrir, mourir et renaître de leurs cendres.

Le magnétisme thérapeutique est réapparu en neuropsychiatrie dans les années 1980 sous la forme plus sérieuse de « stimulation magnétique transcranienne » (TMS). Abandonnée en 2015 dans la schizophrénie par manque de résultats, les TMS se poursuivent ailleurs, car les ondes électromagnétiques semblent pouvoir activer ou inhiber certains circuits neuronaux.

Le terme d’hystérie ayant été banni, on parle aujourd’hui de troubles « somatomorphes », « psychogènes », « conversifs » ou « fonctionnels », autant de qualificatifs qui occultent le désarroi médical devant des symptômes incompris et souvent handicapants. Les expériences de TMS relatent des cas miraculeux (guérison de paraplégies) ; hélas ces cas individuels ne permettent ni généralisation ni théorisation. Et la médecine scientifique, bien qu’ayant admis l’extraordinaire efficacité de l’effet placebo, ne peut s’empêcher de fouiller au-delà.

Sur des douleurs chroniques, comme la fibromyalgie, les résultats très fluctuants ont néanmoins permis aux médecins de ne plus seulement considérer la douleur comme le signal d’alerte d’une autre maladie, mais comme une maladie neurologique en soi. Malgré la forte corrélation de ces douleurs à l’anxiété ou au manque de flexibilité mentale, la médecine veut savoir pourquoi les nerfs « modifient leur cadre physiologique habituel ». Une périphrase qui masque l’ignorance, tout en défendant l’idée de modifications neurologiques réelles encore inaccessibles à nos technologies.

On a prouvé récemment que des ondes électromagnétiques de faible intensité induisaient la réparation de l’ADN, alors que des ondes de forte intensité libéraient des toxines cellulaires. Ces recherches ravivent évidemment de nouveaux charlatans qui facturent des séances de magnétisme au prix de la neurochirurgie.

Tant qu’un nouveau Lavoisier n’aura pas sonné le glas de ces expérimentations, gardons l’espoir que le cerveau puisse un jour comprendre le cerveau…

Références

 

 

Domination du placebo sur toutes les médecines

mardi 28 novembre 2017

Beaucoup de médicaments ont une base théorique expliquant leur action. Les bétabloquants bloquent les récepteurs béta du cœur et des artères, les antibiotiques tuent ou affaiblissent les bactéries, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) permettent un meilleur passage de la sérotonine au travers des synapses, ou encore les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) diminuent la sécrétion d’ions acides H+ dans l’estomac.

Cette base théorique se confirme souvent dans la pratique en modifiant le cours des symptômes ou des maladies. La théorie ne se confirme pas toujours, en raison de facteurs individuels du patient (génétiques, autres maladies, etc.) ou d’interactions métaboliques médicamenteuses ou alimentaires. Parfois l’action réelle concrète diffère beaucoup de l’action théorique.

A ces deux actions, théorique et concrète,  s’ajoute l’action placebo, qui est souvent la plus importante en pratique. Même l’aspirine ou les antibiotiques ont une action placebo venant compléter leur action réelle. Les thérapies ciblées en cancérologie ont aussi un effet placebo, lié au contexte émotionnel du cancer.

Mais seule doit vraiment compter l’action réelle sur la maladie à plus long terme. Par exemple les ISRS peuvent modifier momentanément l’humeur, mais ne changent rien au long cours des dépressions. Les thérapies ciblées en cancérologie peuvent réellement faire « fondre » une tumeur sans changer le pronostic du cancer, ni allonger la durée de vie du patient.

Là se trouve toute la difficulté de la preuve en médecine. Il est quasi impossible statistiquement d’apporter la preuve d’un médicament sur la qualité et sur la quantité globale de vie. La médecine empirique des anciens, qui se contentait de preuves à court terme (disparition ou modification d’un symptôme), a été remplacée par une médecine dite « basée sur les preuves », née dans les années 1960, qui se contente de critères intermédiaires (diminution du volume d’une tumeur, baisse d’un chiffre d’analyse biologique). Le réductionnisme empirique du court-terme a été remplacé par un réductionnisme scientifique pour éluder les difficultés de la preuve à long terme. Le premier réductionnisme a vu naître les vitamines, la cortisone, toutes les hormones, les anticoagulants, les vaccins, les antibiotiques, les neuroleptiques, et la plupart des grands succès médicaux ayant soulagé et sauvé des millions de patients. Le second réductionnisme, imposé par le besoin de labellisation administrative et juridique des preuves, est bien loin d’afficher un tel palmarès.

Cependant, ces preuves partielles ont un « vernis » qui plait au patient et lui fait oublier son unique souhait : gagner de la quantité-qualité de vie. Enfin, ces preuves partielles ont aussi un puissant effet placebo venant s’ajouter à celui du médicament.

En médecine, aucun réductionnisme ne peut échapper à la domination de l’effet placebo.

Références

Poudre de corne aux yeux

samedi 18 mars 2017

Dans le Zaïre des années 1970, le commerce de la « poudre de taureau » était florissant. Une petite boîte métallique ronde, sur le couvercle de laquelle était imprimée une tête de taureau aux cornes monumentales, contenait de la poudre issue de ces cornes pilées. Ses vertus aphrodisiaques et son pouvoir érectile étaient incontestés. Qui, d’ailleurs, aurait pu contester un tel pouvoir sans se couvrir de ridicule ?

Ce même Zaïre, aujourd’hui devenu Congo, vivait les soubresauts interminables des guérillas du Katanga, aujourd’hui devenu Shaba. Les routes étaient parsemées de barrages dont la perméabilité était proportionnelle au montant des fameux « bakchichs » versés aux militaires armés de kalachnikov et imprégnés de bière locale.

Mon statut de médecin me permettait de surfer sans trop de mal sur cette poudrière, grâce à la variété de mes bakchichs : nivaquine, pénicilline ou aspirine. Mais le « petit cadeau » le plus prisé  était la « poudre de taureau », car aucune arme, fut elle symboliquement phallique, ne peut remplacer une bonne érection. D’autant plus que les guérillas offrent de belles opportunités coïtales. La vie quoi !

Hélas, en ces temps de guerre, l’approvisionnement était difficile, et mon éthique m’interdisant d’utiliser des placebos de nivaquine, il me fallait trouver des placebos de poudre de taureau. C’est alors que mes infirmiers me montrèrent une salle secrète remplie de boîtes vides de la précieuse poudre. Je n’étais donc pas le premier à avoir eu l’idée du placebo. J’ai même supposé qu’un importateur ne livrait que des boîtes vides, laissant à chaque revendeur le soin d’y mettre une poudre de son choix.

Récemment, un rhinocéros a été tué dans un zoo français, puis amputé de sa corne, car les chinois en achètent la poudre à prix d’or. La forme et la position de la corne augmentent étrangement sa vertu érectile.

Il serait profondément raciste de penser qu’un riche chinois des années 2010 est obligatoirement mieux éduqué qu’un guérillero katangais des années 1970. Par contre je n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi les importateurs chinois de corne de rhinocéros n’ont pas encore atteint le niveau de lucidité thérapeutique de mes infirmiers zaïrois.

Le placebo n’est pas une insulte

jeudi 14 novembre 2013

Nous ne cessons jamais de redécouvrir la puissance de l’effet placebo ni de disserter sur ses mécanismes obscurs.

De tous temps, les placebos ont représenté l’essentiel des thérapeutiques ; en réalité, ils contenaient toujours quelque « simple », « essence » ou « principe », hérités de croyances et d’empirismes ancestraux. Ces traditions d’apothicaire se sont maintenues jusqu’à nos jours, permettant d’éviter d’avoir à affronter cette vérité : la plupart des maladies et symptômes ont une histoire naturelle qui les conduit spontanément à la guérison, à la tolérance ou à la disparition. Les pharmaciens ont ainsi fabriqué et vendu avec bonheur d’innombrables placebos dont le seul véritable effet était souvent un effet indésirable. Certaines nuisances de ces placebos étaient d’ailleurs vécues comme une preuve indirecte de leur efficacité. Le seul critère d’évaluation étant la conviction intime des patients.

Puis avec l’émergence de la « médecine basée sur les preuves », il a fallu fabriquer de « véritables » placebos afin de les comparer à des médicaments dont on voulait prouver l’efficacité par des méthodes statistiques. Ces placebos destinés aux essais cliniques ne contiennent qu’une poudre inerte à l’intérieur d’une gélule ou d’un comprimé. Ces placebos « modernes » sont donc moins toxiques que les anciens, ils ne peuvent avoir aucune nuisance réelle, même si l’on s’étonne de constater qu’ils provoquent aussi de véritables effets secondaires ! Ces « nocivités placebos » confirment bien l’extraordinaire complexité du phénomène.

Cette méthodologie conduit à la disparition progressive des anciens placebos, car les autorités refusent de rembourser des médicaments n’ayant pas réussi l’épreuve statistique. Par ailleurs, on refuse de commercialiser de nouveaux vrais placebos, car de très nombreux patients vivraient, sans doute, la chose comme une insulte à leur égard.

Essayons maintenant d’être pragmatiques. Un vrai placebo a deux effets possibles : soit ne rien faire, soit faire du bien. Un ancien placebo et un vrai principe actif ont trois effets possibles : soit ne rien faire, soit faire du bien, soit faire du mal.

Soyons maintenant plus biologistes en considérant les gestes et objets de  médiation dont Konrad Lorenz a démontré l’importance, dans le monde animal, comme « déclencheurs innés » des chaînes réflexes et comportementales. L’homme ne fait pas exception et le placebo est certainement l’un de ces « déclencheurs ».

Rien ne devrait donc nous empêcher de réhabiliter, de commercialiser, voire de rembourser le vrai placebo, car sa balance bénéfices/risques est toujours positive et il n’est décidément pas une insulte à la biologie la plus élémentaire.

PS : Idéalement, éduquer nos enfants à ne pas ingérer de vrai ou faux placebo les aide à mieux connaître l’histoire naturelle de leurs symptômes. Cette connaissance sert assurément de « déclencheur acquis » pour les adultes ainsi éduqués.