Mon répondeur chez le psychiatre

Les répondeurs automatiques qui vous donnent les choix 1, 2 ou 3, après avoir tapé dièse ou étoile, sont une conséquence du coût élevé du travail, de la consommation de masse et de la financiarisation de l’économie. Le système semble bien fonctionner, puisqu’il s’est répandu en quelques décennies à tous les secteurs publics et privés.

Nous avons été contraints de nous habituer à ces voix humanisées, au timbre suave et commercial. Parfois, la voix vous demande de parler, car son robot sait comprendre des mots simples. Il vous suffit de dire clairement : « abonnement », « panne » ou « oui » pour qu’une nouvelle voix vous propose de nouvelles étoiles ou de nouveaux mots simples. Parfois, la voix vous dit qu’elle n’a pas entendu clairement votre réponse, même si vous n’avez pas prononcé un seul mot. Et si vous précisez que vous n’avez rien dit, elle ne vous répond jamais que vous êtes stupide ; elle vous répète cordialement qu’elle n’a pas compris votre réponse.

Pour éviter les écueils de ces robots humanisés, on a inventé l’humain robotisé. Il travaille dans un centre d’assistance téléphonique, il habite parfois loin de chez vous, dans un pays où l’on ne peut pas toujours s’offrir la technologie pour laquelle vous avez besoin de son assistance. Afin d’éviter les colères et les conflits, il a un registre limité de questions et de réponses programmées, issues de la formation stricte qu’il a reçue. Il a été éduqué à ne jamais avoir d’humeur, et à vous donner son prénom au début et à la fin du dia/mono/logue.

En médecin, il m’arrive de penser que le système éducatif de ces robots humains, leur management par le stress, leur absence de syntonie et leur interdiction d’empathie, sont des facteurs favorisant les névroses et les maladies psychosomatiques. Certains auteurs pensent même que cette « hypersectorisation » de la société favorise les psychoses et les addictions.

Les plus atteints d’entre eux finissent alors à ma consultation. Bien calé dans mon fauteuil doctoral, sachant qu’un conseil ne coûte rien à la Sécurité Sociale, il m’arrive de leur conseiller un changement de travail. Et le patient me répond, désemparé ou stupéfait, que s’il avait trouvé autre chose, il aurait déjà changé… Que n’y avais-je pensé plus tôt ?

J’hésite alors à donner des psychotropes, preuve trop évidente de mon impuissance, source d’une nouvelle addiction, et cadeau ostensible à l’industrie pharmaceutique, actrice, elle aussi, de la financiarisation qui a provoqué les maux de mon patient. Je demande parfois un deuxième avis à un psychiatre. Certains sont très compétents et rompus aux pièges de l’environnement moderne… Quelques-uns d’entre eux se sont même mis à la télé-psychiatrie… C’est vous dire.

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Un commentaire sur “Mon répondeur chez le psychiatre”

  1. nicole w. dit :

    « Les prix cassés sont souvent des hommes cassés », dit un participant à un forum, suite à la lecture de cette chronique. Oui, l’on peut penser, parfois, que la technologie a dépassé notre humanité…

    « C’est la parole, source de nos bonheurs comme de nos peines, qui nous fait vivre dans un mélange subtil de réel, d’imaginaire et de symbolique. Pour savourer le goût de vivre, sachons ensemble retrouver la parole perdue, car nous avons encore tant de choses à nous dire… » – Edouard Zarifian, psychiatre – Le goût de vivre.
    Les ouvrages de ce psychiatre témoignent d’une approche critique des traitements médicamenteux actuels, avec une grande sensibilité à la souffrance des malades et de leurs familles.
    « Dire qu’on soigne la dépression ou la schizophrénie est un abus de langage, un raccourci dont on est dupe. Un raccourci, c’est toujours commode. En fait, ces médicaments ne sont que des médicaments symptomatiques, de certains symptômes existant dans ces entités pathologiques. La réalité est que nous ignorons les mécanismes psychologiques et neurobiologiques qui sont en cause. » (entretien radiophonique).

    « Votre rôle semble parfois plus proche de celui du psy ou du curé… »
    « C’est la raison pour laquelle j’affirme dans le film que la médecine générale est devenue ‘le cul de l’entonnoir de la société’. Souvent, je suis dérouté et désemparé par les raisons qui conduisent les patients à mon cabinet… » (Film « La consultation » – Luc Perino – Interview Le Mag, 2007).

    Le fondement même de notre société humaine serait-il atteint, un peu comme les fondations d’une maison… La « crise » n’est-elle pas avant tout (et aussi) interne à l’humain, psychologique, spirituelle au sens large du terme : perte des valeurs, perte de l’éthique, perte du sens commun et de l’intérêt général. Que veut dire réellement le mot « solidarité », quelque peu « tombé en désuétude »… Serait-il possible de construire un nouveau mode sociétal, de mettre en route une énergie créatrice et constructive ? « Dissiper les toxines que nous portons en nous », dit P. Rabhi.

    L’aspect psychologique interne, en tant que fondement de la crise actuelle, peut également trouver écho dans le domaine de la santé et de la médecine. « La société changera, quand la morale et l’éthique investiront notre réflexion. » (P. Rabhi)
    Ce jour-là, notre « répondeur malade » pourra-t-il être libéré de sa robotisation, dans un monde où l’humanité, l’humanisme et la technologie vivront en bonne harmonie, dans l’intérêt du « mieux-être » ?

    Quelques questionnements, qui s’égrènent sur le fil d’une vie, dans la douceur de l’été… « Vivre simplement, pour que simplement les autres puissent vivre. » (Gandhi).

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