Archive pour juin 2011

Ingénierie de la toux

mardi 28 juin 2011

 Nous le savons désormais, les antitussifs et fluidifiants sont contre-indiqués ou non indiqués chez l’enfant comme chez l’adulte. Trois siècles de pratique thérapeutique viennent de s’effondrer. Grand-mères, pharmaciens et médecins doivent s’abstenir, la toux est aussi indispensable que la respiration et aucun remède ne peut en modifier le cours naturel si ce n’est dans le sens de l’aggravation. Ce symptôme persiste longtemps après les autres et ne peut devenir médical, au sens académique du terme, qu’après six semaines.

Une grande page de l’histoire de la pharmacie vient de se fermer. C’est souvent grâce à des  préparations magistrales contre la toux, validées par le Codex, que de nombreuses officines sont devenues des entreprises familiales puis des multinationales. 

Le souvenir des milliers d’antitussifs et de fluidifiants qui ont jalonné mes ordonnances, vient douloureusement réveiller mon vieux sentiment d’inutilité. Je remplaçais les produits conseils du pharmacien par des produits dits éthiques et tout aussi inutiles. Je n’avais même pas l’excuse du profit. A moins qu’ayant déjà tacitement compris le caractère nécessaire ou rebelle de la toux, mes inutiles prescriptions – j’ignorais alors qu’elles puissent être nuisibles – aient eu pour seul but de justifier les honoraires d’une inutile consultation. Double gabegie du paiement à l’acte.

Tout récemment, au hasard d’une lecture, j’ai découvert les propositions de l’homéopathie contre la toux.

Les produits doivent être des granules à 5 ou 7 CH à prendre par 3 et 3 fois par jour selon les caractéristiques de la toux. 

D’abord selon la cause déclenchante. En avalant : Bromium, en dormant : Lachesis, en touchant le larynx : Lachesis, à l’effort : Pulsatilla, au moindre courant d’air frais : Rumex Crispus, en parlant ou en riant : Stannum, pendant les règles : Zincum Metallicum, après coup de froid : Causticum, par allergie : Ipéca, par mouvement :  Bryonia 7CH, en entrant dans une pièce surchauffée : Bryonia, en s’allongeant : Drosera, en se baignant : Rhus Toxicodendron, en entrant dans une pièce froide : Rumex Crispus 7CH.

Puis selon la sensation du patient. Toux sèche : Bryonia, toux venant de l’estomac : Bryonia, poitrine pleine de mucus : Causticum, toux incessante ou par salves : Drosera Rotundifolia, irritation ou chatouillement de la trachée : Ipéca, grasse avec expectoration filante : Kalium Bichromicum, avec sensation de miette dans le larynx : Lachesis, toux grasse le jour et sèche la nuit : Pulsatilla, toux rauque, comme un chien qui aboie : Spongia, sensation de gorge écorchée : Argentum Nitric.

Enfin selon les autres symptômes. Voix rauque : Drosera Rotundifolia, expectoration difficile : Senega et Antimonium tartaricum, gorge sèche : Spongia, sans mucus : Drosera, avec mucus : cochenille.

 Les mathématiciens avouent que lorsqu’ils hésitent entre deux formules, la beauté de l’une peut être un élément en faveur de sa justesse.

La poésie de cette liste homéopathique peut-elle être un atout pour l’efficacité ?

Je l’ignore, mais je suis au moins certain de son innocuité.

Quant à l’ésotérisme clinique de cette liste, il nous ramène avec émotion quelques siècles en arrière, à l’époque où l’on ne savait même pas encore que l’on découvrirait un jour des médicaments inutiles contre la toux.

Maintenant que les antitussifs disparaissent, à juste titre, de l’arsenal médical, il ne reste que deux alternatives à l’abstention : la poésie en bobologie et la cortisone en situation extrême. Espérons que les praticiens ne confondent pas trop souvent les deux situations.

Parachutes gériatriques

mardi 14 juin 2011

C’est vrai, cela existe. Je n’en ai jamais prescrit, mais je sais que cela se vend puisque j’ai vu des messages publicitaires et que dans un monde d’offres, la publicité se paie par les ventes et vice-versa…

Il s’agit de protection pour prévenir les fractures du col du fémur. Ce sont des coussins aqueux que l’on fixe autour du bassin pour protéger les hanches des personnes âgées en cas de chute.

J’ignore si cette prévention est efficace en pratique, mais en théorie l’idée n’est finalement pas plus ni moins stupide que l’air bag dont on dit qu’il a contribué à diminuer la mortalité et la morbidité routières.

Puisque nous ne pouvons pas prévenir tous les accidents, il est logique d’essayer d’en amoindrir les conséquences.  

Les essais cliniques doivent être difficiles et contestables par manque d’homogénéité des groupes. Les personnes acceptant d’exhiber les coussins aqueux n’ont certainement pas les même capacités cognitives que celles qui les refusent. Sauf, possiblement, certaines mamies encore coquettes, tentées par l’idée de séduire avec ces prothèses de rotondité coxale évoquant les crinolines de leur jeunesse. Le placebo doit être également de mise en œuvre contestable, car les coussins emplis d’air ou de mousse peuvent avoir une action similaire, et y mettre du gravier serait inique et son poids serait accidentogène.

Même si la chute fatale risque de se produire le jour où l’on aura précisément oublié les coussins protecteurs et fait un surdosage accidentel d’antihypertenseurs, acceptons donc cette offre, sans autres preuves, pour la protection de nos vieillards qui sont de plus en plus nombreux. Car, dans une société d’offre, le nombre est très important…

Mais alors, tant qu’à bien faire, soyons plus incisifs. Evitons à nos ancêtres qui hantent les couloirs des maisons de retraite, avec le but louable de susciter le commerce et la compassion autour de leur survie, de chuter lamentablement. Pourquoi ajouter à leur infamie, celle d’une éventuelle attitude grotesque après avoir rebondi sur leur coussin aqueux, affalés, la tête en déclive et les hanches inaptes à toute tentative.

Pourquoi ne pas leur accorder le meilleur de la technologie. Un détecteur de rupture de verticalité qui gonflerait un énorme coussin dorsal d’hélium dont l’ascension brutale éviterait l’humiliation d’une chute et les lombalgies des aides-soignantes.

Cela plairait aussi à leurs petits-enfants qui voudraient immédiatement avoir le même parachute que mamy. Et dans une société d’offre, la demande des enfants est fondatrice…

PS : Une récente méta-analyse Cochrane vient confirmer l’inutilité des protecteurs de hanche ! Je l’ignorais à l’écriture de ce texte !