Tricheurs de l’empathie

La charité n’est jamais exclusivement altruiste. Les indulgences accordées par l’Église catholique permettaient aux âmes charitables de gagner des années de paradis. Les aumônes des dames patronnesses envers les familles, aidaient à faire oublier les conditions de travail des pères de ces mêmes familles dans les usines. La médecine du travail a supplanté les dames patronnesses en introduisant la santé comme lubrifiant pour les rouages de la révolution industrielle.

Plus tard, les entreprises ont affiché leur philanthropie en développant un « charity business » utile à leur image, à leur marketing et à leurs relations publiques dans un cadre plus général d’optimisation fiscale. Ces dons des entreprises ont permis la création d’ONG qui suivent, à leur tour, les règles du monde entrepreneurial. Ainsi donateurs et donataires sont les deux acteurs du marché de l’empathie qui s’inscrit dans le PIB au titre des productions tertiaires. Ce secteur est un gros pourvoyeur d’emploi, et c’est là sa première action humanitaire, bien avant les retombées concrètes sur les divers terrains de la misère.

Les cadres des ONG ou de l’ONU ont des salaires équivalents à ceux des cadres d’entreprises classiques, mais à l’inverse de ces derniers, ils n’ont pas l’obligation de remplir des objectifs chiffrés. Ils ont certes des résultats concrets sur des individus qu’ils protègent contre la famine, le viol ou la maladie, cependant à plus grande échelle, un seul exemple suffit à montrer les faibles retombées en termes de santé publique et de progrès social.  Haïti est le pays qui a reçu le plus grand nombre de dons de toutes parts, et ce pays recèle les plus gros taux de misère, de famine, de maladies et de criminalité. Disons plus trivialement qu’il n’y a que des miettes qui arrivent sur les terrains de la misère.

En pharmacologie, on peut montrer l’action d’un médicament sur un paramètre labile de quelques individus, mais cela ne suffit pas à connaître son rapport bénéfices/risques en termes de santé publique.  

Le nombre d’étudiants en médecine désireux de s’engager dans l’humanitaire ne cesse de croître. Le mot « humanitaire » remplace avec plus de brio le terme désuet de « vocation » que l’on prêtait au choix professionnel des médecins.

Les métiers du tertiaire sont toujours plus recherchés que ceux du primaire et du secondaire en raison de leur moindre pénibilité. Je crains que cet engouement des carabins pour l’humanitaire n’aggrave dangereusement notre pénurie d’anesthésistes, neurochirurgiens, obstétriciens ou généralistes ruraux. Les déserts médicaux sont probablement le premier aspect de cette inflation du « méta tertiaire » médical.  

Il est éthique et louable de créer des structures d’aide aux faibles et aux opprimés. Mais ce serait tricher avec l’empathie que de ne pas en évaluer les résultats sur le terrain avec autant de rigueur que nous l’exigeons pour les biens manufacturés, les aliments, les médicaments ou pour tout service du tertiaire.

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