Chemises et médicaments

Si le fait de porter une chemise rouge était source de quolibets, je pourrais néanmoins en porter une, soit parce que cela me plait, soit parce que les quolibets m’indiffèrent, soit parce qu’une telle chemise me donnerait accès à une communauté dont les avantages seraient supérieurs à l’inconvénient des railleries.

Si les chemises rouges étaient des motifs de haine et de ségrégation, je pense que je les supprimerais toutes de ma garde-robe, et probablement de façon définitive, à moins que la communauté des irréductibles me confère d’énormes avantages, tels que l’accès à des ressources vitales ou à d’importants privilèges de toutes sortes. J’étudierais cependant le rapport bénéfices/risques de la chemise rouge avec autant d’attention qu’il faut pour évaluer le rapport bénéfices/risques d’un médicament dangereux.

Si le port d’une chemise rouge m’exposait à des risques de violence ou de mort, il faudrait alors qu’elle soit un principe identitaire, un support idéologique ou un précepte religieux hors de toute raison pour que je m’obstine à en porter une. Il me faudrait aussi porter des armes ou vivre dans une communauté de porteurs de chemises rouges entourée de fortifications. Une stratégie moins triviale consisterait à inventer des motifs de haine contre les chemises noires pour détourner l’attention des brutes. Cette dernière option présuppose que le potentiel de violence et le nombre de brutes n’est pas trop extensible ; postulat restant encore à confirmer.

De leur côté, les porteurs de chemise noire auraient les mêmes options ; leur dernière option consisterait alors à inventer une troisième couleur cible, cela serait a priori moins efficace, car l’histoire montre que les idéologies et religions identitaires se sont façonnées de façon plutôt binaire. Il est certain qu’un monde avec une infinité de couleurs cibles serait presqu’aussi parfait qu’un monde sans couleur cible.

Enfin, si je n’avais ni la sagesse, ni l’intelligence pour m’interroger sur l’origine de l’impératif identitaire d’une chemise rouge ou noire, le système simple de la cible unique, noire ou rouge, me permettrait précisément de ne pas affronter douloureusement mes limites cognitives. Les idéologies et les religions ont certes une vertu thérapeutique, mais le rapport bénéfices/risques des couleurs de chemise est bien plus difficile à évaluer que celui des médicaments. Pour ma part, j’évite les médicaments, les chemises rouges, et les chemises noires. Prudence ou couardise, précaution ou raison, inconscience ou sagesse, je ne saurais vraiment dire.

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