Archive pour le mot-clef ‘soin’

La santé nous submerge

lundi 18 septembre 2017

Les plus fréquents thèmes de conversations impromptues de rue et de comptoir sont la météo et la santé, cette dernière a résolument pris le dessus, donnant aux thèmes médicaux une dimension sociale envahissante.

Un jour, le journal de 20h révèle le traitement qui éradiquera le cancer, et le lendemain,  il annonce l’épidémie qui exterminera les survivants. Les hormones de jouvence se succèdent à un rythme impressionnant et l’échec de la précédente ne diminue jamais l’enthousiasme pour la suivante. Les étiquettes des produits alimentaires sont devenues de véritables manuels de diététique. Les joggeurs de rue et les cyclistes d’appartement sont bardés de capteurs à l’affût de leur physiologie. Les autotests de diagnostic sont vendus à côté du rayon de l’électro-ménager et votre smartphone vous indique la distance qui vous sépare du plus proche cas d’Ebola, ou votre probabilité de mourir d’un accident vasculaire. Tout est devenu médical, depuis les premières tétées de bébé jusqu’aux dernières érections de papy.

Parallèlement à cette effervescence de préventions et de prédictions, on s’étonne de voir que les médecins sont aussi négligents ou nonchalants. Tout article parlant d’une quelconque maladie commence par affirmer qu’elle est sous-diagnostiquée. En résumé : si les médecins faisaient vraiment bien leur travail, il y aurait beaucoup plus de cancers du sein ou du colon, encore plus d’hyperactivité, bien plus de dépression, d’hypertension, de migraines, de maladie d’Alzheimer ou d’impuissance.

C’est pour cela que les mêmes médias sont alimentés par de nombreux spots publicitaires incitant aux donations pour la recherche médicale. Certes, les généreux donateurs mourront d’une maladie que leur médecin aura diagnostiquée trop tard ; mais on peut espérer que leurs descendants auront la chance de pouvoir bénéficier de diagnostics beaucoup plus précoces. Car à force de martelage, chacun a profondément intégré que plus un diagnostic est précoce, plus le traitement est efficace. Nous pouvons ainsi espérer, grâce à nos généreux dons, que nos enfants, dont la future maladie mortelle (vasculaire, tumorale ou neurodégénérative) sera diagnostiquée dès la naissance, auront enfin des traitements qui leur permettront de survivre plus de 80 ans après le diagnostic de leur terrible maladie…

Mes confrères parviennent à sourire de tout cela lorsqu’ils dominent la grossièreté de cette machinerie mercatique. Ils en souffrent lorsqu’ils n’arrivent plus à gérer les paradoxes de cette surmédicalisation qui les blâme et les nourrit à la fois. Ils en pleurent parfois lorsqu’ils apprennent, par exemple, que 80% des personnes se déclarent prêtes à subir un dépistage, même pour des maladies pour lesquelles n’existe aucun traitement, voire aucune connaissance physiopathologique.

Références

Que sera l’Histoire de la médecine ?

lundi 29 août 2016

Le travail des historiens de la médecine consiste à identifier les grandes découvertes qui ont durablement modifié les croyances et les pratiques.

Certaines pages de l’Histoire comme l’inoculation de la vaccine par Jenner, la description de la circulation sanguine par Harvey ou l’utilisation des rayons X pour voir l’intérieur du corps font l’unanimité des historiens.

Pour d’autres évènements, l’historicité peut faire débat. Par exemple, la méthode numérique du Dr Louis qui démontra l’inutilité de la saignée dans les pneumonies, est rarement relatée comme un fait majeur, bien qu’elle ait inauguré le passage de l’empirisme à la preuve en thérapeutique.

Au cours du XX° siècle, la transition d’une médecine de la demande à une médecine de l’offre n’a eu aucun relief historique. Le fait de chercher des maladies chez des sujets sans symptômes, n’a pas été noté comme un évènement médical, car cette tendance progressive a été noyée dans la transition d’une économie de la demande à une économie de l’offre. L’augmentation des analyses, mesures et radiographies pratiquées chez des sujets sains, encouragés à consulter, a grossièrement suivi les courants économiques et sociaux du XX° siècle.

Mais devant les nouveaux et réels dangers sanitaires de cette surmédicalisation, certains médecins, de plus en plus nombreux, essaient enfin de théoriser le soin. On commence à organiser des séminaires, indépendants de l’industrie et des ministères, pour tenter de comprendre comment la médecine a progressivement délaissé les malades pour s’occuper des bien-portants et se mettre au service de l’économie.

Verra-t-on un jour une nouvelle inversion de tendance dont l’historien devra discerner les évènements marquants ? Deux faits récents, passés presque inaperçus, deviendront peut-être des faits historiques majeurs.

Pour la première fois dans l’histoire de la médecine, il a été prouvé qu’un dépistage de cancer constituait une « perte de chance » (en jargon statistique). Les groupes dépistés du cancer de la prostate ont une légère perte de quantité/qualité de vie par rapport aux groupes non dépistés. L’historien notera que c’était la première fois que des ministères de santé publique ont officiellement déconseillé un dépistage.

Un fait plus récent devrait avoir encore une plus grande portée historique. Des endocrinologues, cancérologues et anatomo-pathologistes viennent de demander le déclassement d’un cancer de la thyroïde. La variante folliculaire du carcinome thyroïdien, qui représente 20% des cancers de la thyroïde, ne sera bientôt plus une tumeur maligne, car ce « cancer » se comporte toujours, cliniquement, comme une tumeur bénigne.

Ces deux faits seront probablement des évènements historiques dans la définition clinique du cancer…

Un jour, peut-être, l’Histoire racontera comment la médecine s’est remise à soigner de vrais malades…

Références

La troisième transition épidémiologique

lundi 28 octobre 2013

Une « pathocénose » désigne l’ensemble des maladies et de leurs manifestations dans une société, à une époque donnée. La pathocénose d’une ville du XXI° siècle diffère de celle d’un village du Moyen Âge.

Certaines transformations ont bouleversé la pathocénose. Au Néolithique, l’élevage a provoqué les épidémies d’origine animale (grippe, tuberculose, etc.). La sédentarisation et l’augmentation de taille des groupes sociaux ont majoré la contamination fécale. L’alimentation et bien d’autres facteurs ont contribué à ce bouleversement, nommé « première transition épidémiologique ».

La deuxième transition épidémiologique correspond à l’exode rural des XIX° et XX° siècles où la population urbaine est passée de 5% à 95% ! Disparition du contact avec la terre et ses parasites, lavage des aliments, disparition de la contamination fécale. L’environnement de l’homme est devenu « abiotique ».

Puis, le confort, les progrès sociaux et médicaux ont abouti à une forte diminution des morts prématurées (médicalement définies comme antérieures à l’âge de 65 ans).

Depuis un demi-siècle, nous vivons la troisième transition épidémiologique, intrinsèquement différente des précédentes. Les deux premières pathocénoses concernaient des maladies vécues par des patients qui amenaient leurs plaintes et leurs souffrances aux sorciers, guérisseurs, barbiers et médecins de leur époque.

Cette troisième transition débouche sur une pathocénose virtuelle, car les maladies qui la composent ne sont plus concrètement vécues par les patients…

Hors évènement traumatique (accident, homicide, suicide), il ne reste que trois causes de morts NON prématurées correspondant à la dégénérescence naturelle des trois systèmes vitaux : immunitaire, cardio-vasculaire et neurologique. C’est pourquoi, tout sujet, ayant eu la chance d’échapper à une mort prématurée, finira par mourir, soit d’une dégénérescence immunitaire (cancer, infection tardive), soit d’une maladie neuro-dégénérative (Alzheimer ou autre), soit d’une dégénérescence vasculaire (maladies touchant tous les autres organes en raison de l’ubiquité vasculaire).

Pour intervenir sur ces trois façons de mourir non prématurément, la médecine a été dans l’obligation d’inverser le sens de l’offre et de la demande de soins. Ce ne sont plus les patients qui viennent déposer leurs plaintes, mais les médecins qui leur en proposent de nouvelles. Les maladies de la nouvelle pathocénose sont en réalité des facteurs de risque de majoration de la dégénérescence, facteurs sélectionnés par la médecine qui en établit les normes.

Curieusement, ces nouvelles maladies virtuelles sont vécues, par de nombreux patients, comme des maladies réelles. Le déficit cognitif léger, l’excès de cholestérol, ou la cellule tumorale silencieuse ont pris la valeur existentielle de la tuberculose…

Cette troisième transition épidémiologique augure d’un bouleversement de pathocénose bien plus profond que les deux précédents.

Soigneurs et soignants

mercredi 12 juin 2013

Le domaine du soin est vaste ; on peut soigner son jardin, sa voiture, ses enfants, son chat.

Deux termes désignent les personnes qui dispensent leurs soins dans le domaine du vivant : soignants et soigneurs.

L’usage courant a attribué le terme de « soigneurs » à ceux qui agissent dans le monde animal, et celui de « soignants » à ceux qui s’adressent aux hommes. Le zoo et le cirque emploient des soigneurs, l’hôpital recrute des soignants.

Les seuls soigneurs ne s’adressant pas à des animaux, sont les soigneurs de sportifs. Il serait très malséant d’oser faire un quelconque rapprochement entre animaux et sportifs, mais on comprend implicitement que dans la fonction de soigneur, la prise en compte du « moi » intime du soigné ne se situe pas au premier plan.

Inversement, le terme de soignant implique une plus forte compréhension de l’autre, ainsi que du caractère irréductible de cette altérité. Le soin physique prodigué par le soignant n’est pas dissociable de son empathie et de sa compassion, facultés dont il doit être pourvu, par nature.

Pourtant, nous constatons de plus en plus souvent que cette dichotomie s’estompe, parfois au point de disparaître.

D’un côté, certains soigneurs connaissent si bien les animaux dont ils s’occupent, qu’ils adaptent leurs soins à chacun d’eux et développent une relation individuelle d’une grande acuité.

De l’autre côté, nous voyons se développer des SOP (Standard Operating Procedure) en cancérologie, des consensus provoqués en cardiologie, des dépistages organisés sans sélection clinique, ou encore certaines randomisations pour essais thérapeutiques, qui constituent une négation inévitable de l’altérité.

Ces administrations centralisées du soin et ces protocoles indispensables à l’ingénierie biomédicale, finissent par imposer aux soignants, médicaux et paramédicaux, une conduite niant l’individu. Le pire est que ces nouvelles organisations s’accompagnent d’une nouvelle vision du professionnalisme dans le soin. On en arrive presque à juger et à promouvoir le soignant sur ses facultés à nier l’altérité et à taire son empathie.

Le soignant doit afficher sa foi dans le protocole, et montrer qu’il a bien compris que le « sauvetage de l’humanité » ne passe ni par la compassion individuelle, ni par l’esprit d’initiative, ni par le raisonnement clinique, mais bien par la standardisation des soins.

Pendant ce temps, au fond de sa cage, le soigneur du zoo progresse, à pas fulgurants, en éthologie et en biologie des interactions individuelles.

Larousse et Robert devront bientôt revoir leurs définitions de soignant et de soigneur.