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Très chères minutes de vie

dimanche 11 novembre 2018

En cancérologie de l’adulte, la chirurgie et la radiothérapie ont permis de prolonger la vie de nombreux patients. On a longtemps et honnêtement pensé que la pharmacologie pourrait encore améliorer les choses. Mais depuis une vingtaine d’années, les études indépendantes montrent l’inefficacité globale des anticancéreux anciens ou modernes.

Pour évaluer l’action des anticancéreux lors des essais cliniques, on utilise principalement trois critères : les biomarqueurs (analyses biologiques), l’amélioration clinique et la survie sans progression tumorale. Il s’agit de critères dits « intermédiaires ». Le seul critère   important pour le patient et ses proches étant celui de la survie globale assortie ou non d’une qualité de vie acceptable. Les critères intermédiaires ne sont que des leurres. Certes la baisse d’un biomarqueur ou la diminution du volume tumoral à l’imagerie sont une grande source de satisfaction pour les patients et les médecins, mais elles ne sont pas corrélées à une augmentation de la quantité-qualité de vie.

Il peut paraître cruel de dire les choses aussi brutalement, mais peut-on vraiment faire progresser la médecine sans admettre les faits cliniques ?

Par rapport aux anciens antimitotiques, les nouvelles thérapies ciblées, et plus récemment, les immunothérapies, ont trois caractéristiques nouvelles : un support théorique séduisant, des tests de surveillance auto-satisfaisants et un coût faramineux. Hélas, à une ou deux fragiles exceptions près, elles ne prolongent la vie que de quelques mois ou semaines.

Ces coûts exorbitants et injustifiés ont deux effets pervers inattendus. D’une part, ils deviennent la plus importante part de l’effet placebo, d’autre part, en politisant le sujet, ils majorent les revendications des associations de patients. « Le cancer est un fléau » et « la vie n’a pas de prix » sont devenus des arguments indirects bougrement efficaces qui détournent l’attention hors de l’examen objectif des résultats. Les lobbyistes  de l’industrie ont bien compris la puissance de ces arguments indirects et ils misent diaboliquement sur la détresse des patients en utilisant leurs associations pour faire pression sur les ministères. Ils savent aussi que les élus sont piégés par l’électoralisme et la démagogie et que les médias sont à l’affut de leurs moindres ambiguïtés.

Enfin, la validation de ces supercheries par les agences du médicament soulève inévitablement la question de la corruption.

Quand bien même certaines thérapies feraient gagner quelques minutes de vie, aucune société, quel que soit son niveau de richesse, de compassion ou de solidarité, ne peut supporter les coûts indécents de chacune de ces minutes, sans se mettre toute entière en péril.

Il est difficile d’expliquer ceci à des patients en détresse et à leurs proches, mais ce n’est pas une raison pour laisser de séduisantes théories renouer avec l’obscurantisme médical des siècles d’antan.

Références

 

 

Serai-je le méchant ?

mardi 25 septembre 2018

L’amyotrophie spinale est une grave maladie génétique qui entraîne généralement de grandes souffrances suivies de la mort des nourrissons avant l’âge de deux ans. Tout commentaire est dérisoire devant de tels drames.

Les rapides progrès de la biologie moléculaire ont permis de comprendre que certaines formes de cette maladie résultaient de la déficience d’une protéine nommée SMN. Et les progrès fulgurants des biotechnologies ont permis de synthétiser un nucléotide qui agit sur l’ARN messager afin d’améliorer et d’augmenter la synthèse de cette protéine. Cette perfection théorique a donné lieu à un brevet suivi de la commercialisation du « nusinersen ».

Les grands succès de la médecine ont toujours résulté d’un empirisme qui ignorait les théories sous-jacentes. Avec l’évolution très récente des sciences biomédicales, ce sont inversement les théories qui façonnent les soins en négligeant d’évaluer les retombées cliniques.

En ce qui concerne le nusinersen, trois essais cliniques de médiocre qualité n’ont pas pu conclure à une amélioration de la qualité de vie, ni à une prolongation très significative de la durée de vie. Le mode d’injection intrarachidienne provoque des douleurs et des effets secondaires très désagréables.

Devant ces faits, faut-il critiquer violemment l’autorisation de mise sur le marché d’un tel produit ou saluer les progrès et l’activisme suscités par d’aussi insupportables drames ?

Mais la réflexion ne doit pas se réduire à cette alternative, car le prix de ce médicament vient de battre tous les inimaginables records déjà connus. Ce traitement coûte 500 000 € par an ! L’angélisme du progrès et de l’activisme cède brutalement place à un diabolique chantage à la souffrance parentale.

Puisqu’il semble que les autorités sanitaires n’ont plus les moyens de s’opposer au cynisme des lobbys. Puisque les parents désemparés sont devenus les marionnettes de l’industrie et que leurs associations de patients sont les suppôts naïfs des plus vils marketings. Puisque la flamboyance des théories nous rend inaptes à constater les réalités cliniques. Puisque les universités n’osent plus affronter ces diaboliques machinations. Puisque la démagogie politique n’ose plus dire que le roi est nu.

Tentons alors d’ébranler la conscience des spécialistes hospitaliers qui abuseront de l’illusoire prestige de cette prescription théorique, et tentons-le aussi pour ceux qui sont imbus d’une science ne servant qu’à masquer des conflits d’intérêts. Un tel traitement, cliniquement, humainement et socialement pervers, ruine notre solidarité nationale, abuse de la détresse et de la confiance des parents sans améliorer le sort de ces nourrissons victimes des horreurs du hasard.

Dans la logique binaire des débats sur le soin, il me reste encore à espérer, en écrivant ces lignes, ne pas être catégorisé comme le méchant qui tue les innocents nourrissons et n’a aucune pitié pour les parents…

 

Références