Archive pour le mot-clef ‘psychiatrie’

Le seul tort des psychiatres

mardi 26 décembre 2023

Les psychiatres qui font certainement leur métier avec empathie et humanité, doivent souffrir devant leur cruel manque de résultats.

On estime à 25% la prévalence des troubles mentaux, et une personne sur trois en aura au moins un au cours de sa vie. Une grande enquête sur des personnes de plus de 65 ans révèle qu’au cours de leur vie, 47% des personnes ont présenté une affection psychiatrique, 26% une dépression majeure, 30 % des troubles anxieux, 11% une anxiété généralisée, 21 % des phobies, 3,7% une tentative de suicide, 4,7 % une psychose.

La prévalence de troubles psychiatriques pendant la grossesse reste inchangée, alors que ces troubles se répercutent très souvent sur leur progéniture.

La prévalence de l’anxiété et des troubles de l’humeur n’a pas diminué, malgré la profusion des traitements. Les ressources importantes allouées aux problèmes psychiatriques n’ont jamais de répercussion sur les indicateurs de la détresse psychologique. Quadrupler les budgets et doubler nombre de psychiatres, comme l’a fait la Nouvelle Zélande, a eu pour seul effet de doubler la consommation de psychotropes sans réduire la morbidité : 13,7 % des citoyens reçoivent des antidépresseurs et 3,1 % des neuroleptiques.

Toutes les méta-analyses montrent un risque de mortalité doublé chez les malades mentaux.  Leur espérance de vie est amputée de 8 à 20 années. Les maladies mentales contribuent à 14 % des décès mondiaux, soit 8 millions par an. Cette surmortalité n’est pas uniquement liée aux suicides et accidents mais aussi aux traitements et à divers facteurs socio-économiques. Ces facteurs, dont l’effet majeur sur le psychisme est connu depuis la Grèce antique, permettent de relativiser l’échec épidémiologique de la psychiatrie.  

On peut reprocher aux psychiatres d’avoir des diagnostics instables et flous. Leurs codages du trouble anxio-dépressif montrent un kappa voisin de zéro. Il n’existe aucun consensus sur la notion de sévérité d’un trouble mental. L’idéation paranoïaque dans la population varie de 2% pour les uns à 30% pour les autres. Pour quatre psychoses graves : schizophrénie, maladie bipolaire, dépression à caractère psychotique et psychose liée à une drogue, la moitié des patients n’ont pas eu le même diagnostic dix ans plus tard. Les 176 critères étudiés dans les deux systèmes de classement des maladies psychiatriques (CIM et DSM), diffèrent pour 99,9% des maladies.

Certes, leur tâche n’est pas aisée, car la moitié des patients atteint d’un trouble psychiatrique répondent également aux critères d’un autre trouble. Les données pangénomiques, neurobiologiques et épidémiologiques suggèrent une architecture de risque partagée pour des diagnostics aussi divers que troubles bipolaires, schizophrénie, TDAH, dépressions majeures et addictions.

Le seul grand tort des psychiatres est de n’avoir pas su empêcher la création de diagnostics pour tous les malheurs de la vie et de n’avoir toujours pas trouvé de mesure objective pour différencier le normal de l’anormal.

Bibliographie

Psycho-immunologie

mardi 1 octobre 2019

La psycho-immunologie est un nouveau domaine de recherche clinique et biologique en plein essor. Il s’agit de comprendre la nature des liens entre le système immunitaire et les maladies mentales.

Les cliniciens ont toujours observé des relations complexes entre, d’une part, maladies auto-immunes et infections à répétition, et d’autre part, dépressions et troubles de l’humeur. Ils en ont aujourd’hui la confirmation statistique. Il existe une parfaite relation de type dose-réponse entre le nombre d’épisodes infectieux sévères et le risque de schizophrénie. La même relation existe entre le nombre d’hospitalisations pour infection ou maladie auto-immune et le risque de troubles de l’humeur.

Malgré ces corrélations, il reste hasardeux de vouloir établir des causalités. Est-ce la dépression qui favorise les infections ? Est-ce la polyarthrite rhumatoïde qui favorise de façon compréhensible les troubles anxieux ? Est-ce l’inverse ? Ou encore, les deux types de morbidité résultent-ils d’une conjonction d’autres facteurs génétiques et environnementaux ?

Ce genre de question est récurrent en médecine clinique, on fait alors appel à la biologie. Celle-ci nous a déjà confirmé que le taux de cytokines pro-inflammatoires est plus élevé en cas de dépression, de comportements agressifs et dans la majorité des troubles mentaux.  Ces résultats ne doivent pas nous faire perdre notre lucidité de clinicien face aux empressements thérapeutiques.

Il est trop tôt pour proposer des anti-inflammatoires à toutes les dépressions, comme certains se sont empressés de le faire après avoir constaté quelques améliorations passagères.

Même si le lien entre infections et schizophrénie peut s’expliquer par la présence d’autoanticorps cérébraux, il serait prématuré de traiter cette maladie avec des antibiotiques ou des immunosuppresseurs. Pourtant un dérivé mixte est déjà à l’étude, car il agirait à la fois sur les cellules gliales du cerveau et sur le microbiote intestinal.

D’autres vont jusqu’à proposer le dosage des autoanticorps pour diagnostiquer les dépressions. Ici l’enthousiasme confine au délire.

Plus lucidement : les maladies mentales augmentent en fréquence et en durée, cette réalité épidémiologique est un cuisant constat d’échec. Il en est de même pour les maladies auto-immune où mon ignorance globale n’a d’égale que celle des autres.

L’importance du marché dans le financement des études est devenue le talon d’Achille de la connaissance. Le but n’est plus d’intégrer de nouveaux niveaux de compréhension, mais de trouver rapidement une hypothèse réductionniste susceptible de faire valider un traitement. Donner des antiinflammatoires à tous les déprimés provoquera assurément des épidémies d’ulcère gastrique et d’insuffisance rénale.

Nos échecs pour les maladies mentales et auto-immunes doivent inciter à plus de prudence. Deux négatifs conduisent à un positif, mais je doute fort que cette mathématique s’applique aux sciences biomédicales.

Références

Divertissement nucléaire

vendredi 18 août 2017

La mort par armes à feu est un problème de santé individuelle, sauf dans certains pays comme les Etats-Unis, la Russie ou le Brésil où sa forte prévalence en fait un problème de santé publique.

Cette mort résulte de la conjonction entre une arme et un tireur. Du côté des armes, le principal facteur de risque est celui de leur propagation, du côté des tireurs, les facteurs sont multiples, largement dominés par l’usage de drogues, les troubles psychiatriques et les déficits d’éducation. La prévention est possible, mais difficile

En ce qui concerne les armes chimiques ou nucléaires, la destruction humaine, beaucoup plus massive, déborde largement le champ de la santé publique. En revanche, la prévention est plus facile, car ces armes sont d’accès difficile et les tireurs potentiels sont peu nombreux.  Mais quel médecin aurait eu l’indécence de demander une expertise psychiatrique de Truman avant Hiroshima ou la témérité d’en proposer une à Bachar el-Assad avant ses frasques chimiques sur son propre peuple.

Nous avons pris la douce habitude de penser que les dictatures rétrogrades ne pourraient jamais accéder à l’arme nucléaire, et nous avons acquis la certitude qu’aucune démocratie libérale ne pourrait élire un tireur pathologique.

Mais voilà que des enfants gâtés de dictateurs acquièrent des moyens technologiques que leurs pères n’avaient pas et voilà que des enfants gâtés de milliardaires accèdent au pouvoir dans des pays qui ont déjà les moyens technologiques.

Sans aller jusqu’à faire un lien entre les enfants gâtés et les psychopathes, comme ont osé le faire certaines écoles de psychiatrie et d’antipsychiatrie, la bonne prévention serait tout de même de faire une expertise psychiatrique des tireurs potentiels.

Alors transformons notre impuissance préventive devant l’horrible péril nucléaire qui nous menace en un salutaire éclat de rire. Imaginons deux psychiatres indépendants, un américain et un coréen, chargés d’examiner Kim Jong-un et Donald Trump…

Essayons maintenant d’imaginer leur rapport d’expertise….

Quintessence de la géopolitique médicale !

Référence

Seuil du deuil

lundi 9 mai 2016

Pleurer la mort d’un proche est-il pathologique ?

Nul ne s’était jamais posé une aussi stupide question. Puis, lorsque la psychiatrie a fait son entrée à l’université, les médecins ont été incités à considérer qu’un deuil pouvait être un trouble dépressif s’il durait plus de deux ans.

La psychiatrie est une science clinique bien difficile à formaliser, les maladies sont presqu’aussi nombreuses que les individus et les multiples écoles ont eu des avis différents sur les noms à leur donner. Petit à petit, les marchands de psychotropes ont comblé ce vide en formatant des experts chargés de rédiger des manuels de psychiatrie plus consensuels et plus faciles à lire que les vieux charabias de la psychanalyse.

Même si le but véritable était de transformer la psychiatrie en une science pharmacologique, on ne peut pas reprocher à ces industriels d’avoir essayé de mettre de l’ordre là où les médecins et leurs universités avaient échoué à en mettre.

Les vieux routards de la psychiatrie ont d’abord violemment protesté contre la « chimiatrie » dominante, puis ils ont fini par admettre certains de ses succès.

L’histoire aurait pu se stabiliser dans un subtil équilibre entre les « anciens » et les « modernes », entre le tout analytique et le tout synaptique, entre le tout comportemental et le tout chimique. Mais le marché ne sait pas se fixer de limites, surtout dans le domaine de la santé, et tout particulièrement dans celui de la psychiatrie où il est devenu le principal organisateur du savoir.

L’acception du deuil en constitue la plus caricaturale démonstration. Dans la version III du manuel de référence en psychiatrie (DSM III), la durée au-delà de laquelle il fallait considérer le deuil comme un trouble dépressif avait été rabaissée à un an. Dans la version IV, cette durée était de deux mois. Et enfin dans la version V, il est écrit que le deuil est un trouble dépressif s’il dure plus de deux semaines.

La souffrance d’un deuil est parfois si intense que les proches, souvent dépourvus, conseillent d’aller consulter un médecin, surtout depuis l’intense promotion de l’action médicale dans la dépression.

Si ce médecin est assez réaliste et rebelle pour éviter la prescription d’un antidépresseur, sachant que ce médicament provoquera une dépendance souvent irréversible, il pourra simplement suggérer aux proches du défunt de pleurer le temps qu’il faudra. Et, s’il a quelque peu d’empathie, il pourra pleurer avec eux, comme le font les amis, puisque le médecin est désormais chargé de gérer l’ingérable.

Bibliographie

Cas clinique de la France

lundi 25 avril 2016

Le diagnostic d’un patient résulte souvent du « flair clinique » basé sur l’expérience du clinicien, mais il convient de l’étayer par des arguments paracliniques (analyses et images). Cette méthode est théoriquement applicable au diagnostic d’un pays. Dire que la France est dépressive est un sentiment viscéral que le clinicien doit étayer. Ce sont alors des indicateurs sociaux, politiques et économiques qui serviront d’éléments paracliniques.

Le nombre de touristes indique l’attractivité, mais n’est pas un indicateur du registre psychiatrique qui nous intéresse ici. Les records de consommation de pesticides et d’antibiotiques sont plus pertinents, car ils orientent vers une phobie des microorganismes.

L’indicateur le plus pertinent est le record de consommation de psychotropes, en particulier benzodiazépines (tranquillisants) et antidépresseurs.

Le ratio, supérieur à la moyenne, de djihadiste et consommateurs de cannabis parmi les adolescents et jeunes adultes peut servir d’indicateur d’instabilité psychique.

La France est sur le podium pour le chômage, facteur de risque de nombreuses pathologies, dont la dépression. Le record du nombre d’animaux domestiques par habitant pourrait argumenter un désordre affectif.

La France détient également des records pour le nombre de jours de congé-maladie, mais la fréquence de ces maladies itératives n’a manifestement pas d’impact sur l’espérance moyenne de vie à la naissance. Ce qui suggère une prépondérance du registre psychosomatique sans répercussion organique notable. Réjouissons-nous cependant, d’avoir été dépassés par d’autres pays, pour cet indicateur. Nous avons aussi quitté le podium de la morbidité par accident de travail.

Notre record du plus faible nombre d’heures de travail annuel est un symptôme d’interprétation clinique délicate, car il peut être soit le facteur de notre bonne santé, soit le signe d’une fatigue chronique. La deuxième interprétation doit être privilégiée en raison de la bonne santé des travailleurs indépendants, non concernés par cet indicateur.

Ces arguments paracliniques confirment le diagnostic de dépression. La psychanalyse, dont notre pays est le dernier bastion, pointe toujours la responsabilité de la mère. Marianne serait donc coupable de tout. La psychiatrie moderne, plus pertinente et moins misogyne, essaierait de déterminer le type de notre dépression nationale. Est-elle réactionnelle, donc passagère, unipolaire, donc continue, bipolaire, donc cyclique ? Plusieurs nouveaux indicateurs orientent vers la maladie bipolaire où alternent des phases maniaques et des phases dépressives.

La France est sur le podium du nombre de jours de grève, symptôme de désinhibition sociale et elle possède le record absolu du nombre de partis politiques, symptôme d’histrionisme. Deux symptômes du registre maniaque, au même titre que les révolutions, manifestations et contestations dont nous avons la primeur historique.

Maladie bipolaire à valider au prochain staff de cas cliniques.

Références

DSM américain contre psychiatrie française

mercredi 29 mai 2013

A chaque sortie d’une nouvelle version du DSM [[1]], de nombreux psychiatres et psychanalystes français souffrent. Ils n’arrivent pas à accepter cette standardisation de leur discipline, orchestrée par des psychiatres et « chimiatres » américains soumis à Big Pharma.

En tant que clinicien, je me sens assez souvent concerné par leurs doléances ; mais, farouchement opposé à tout sectarisme, j’ai envie de jouer à l’avocat du diable.

Certes, je comprends la souffrance de certains de nos psychiatres français qui, avec l’arrivée massive des psychotropes, ont été progressivement catalogués de psychothérapeutes ringards, obscurantistes et anti-progressistes. Le marketing pharmaceutique sait, en effet, très bien utiliser cette marginalisation active, comme une arme à l’encontre des praticiens, de toutes spécialités, qui exhortent à trop de modération thérapeutique ou à trop de raisonnement clinique.

Cependant, à chaque lecture du DSM, je suis toujours agréablement surpris par le très bel exercice de réflexion clinique qu’il représente. Si l’on arrive à surpasser la nausée que provoque ce catalogue trivial de tous les travers de l’humanité, présentés sans littérature ni discernement, on doit reconnaître que l’analyse clinique est poussée. En regardant plus en détail, on doit admettre qu’il n’y a pas trop d’incitation à créer de « fausses pathologies », car les symptômes doivent être associés, durer assez longtemps, et provoquer un réel handicap social, pour que les diagnostics soient admis et posés avec certitude.

Ne peut-on pas voir la rigueur militaire de ce manuel américain comme une réplique exagérée à nos fantaisies européennes d’hier ?

N’oublions pas la réinterprétation extravagante des thèses freudiennes et leur dévoiement dans des pratiques sectaires. N’oublions pas la folie des dérives lacaniennes. N’oublions pas la sidération de nos penseurs devant le monopole intellectuel imposé par la psychanalyse dans les années 1960-1970, dans tous les domaines des sciences humaines et sociales. N’oublions pas la puissance du lobby psychanalytique, qui contribue, encore aujourd’hui, à marginaliser la psychiatrie française.

Et si les excès du DSM d’aujourd’hui n’étaient que la contrepartie des excès psychanalytiques d’hier. Et si les conflits d’intérêts étaient les mêmes des deux côtés de l’Atlantique : Big Pharma à l’ouest, lobby psychanalytique à l’est.

Et comme en France, tout est psychodrame, le débat serein tarde à s’établir…

Pourtant, un jour, il nous faudra bien admettre que les maladies intestinales et psychiatriques sont des maladies (presque) comme les autres, car les intestins et le cerveau sont des organes (presque) comme les autres. Tous deux soumis aux gènes, à la nutrition, à la culture, au stress, aux toxiques, à l’éducation, aux dérives du marché, et aux excès de la médecine.


[1] Manuel statistique et diagnostique des maladies psychiatriques.