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Science brutalisée

lundi 15 juin 2020

L’empirisme est le premier niveau de la science. Observer des faits spontanés ou induits reste encore le principal pourvoyeur de vérités, mais aussi de croyances. La méthode expérimentale est un deuxième niveau consistant à isoler des facteurs et tester des hypothèses ; elle permet d’éliminer les croyances et de valider les faits.

Ces deux niveaux n’augurent pas de l’avenir. Ils ne disent pas « voilà ce qui se passera si… » ils disent simplement « voilà ce qui s’est passé en… ». Le troisième niveau est l’extrapolation, elle n’est possible que si les deux premiers niveaux sont assez solides. L’astronomie permet de prévoir les éclipses avec précision. Mendeleïev a prédit l’existence d’éléments inconnus. M Higgs a prédit le boson.

Dans les sciences du vivant, la multiplicité des paramètres permet rarement aux deux premiers niveaux d’atteindre la stabilité nécessaire aux extrapolations. Certes Darwin, découvrant une orchidée dont l’éperon avait 30cm de profondeur avait prédit l’existence d’un papillon dont la trompe aurait la même longueur. Mais il avait déjà compris que la « pollinisation serrure » entre insectes et orchidées repose sur peu de facteurs.

Les modélisations sont des extrapolations par voie mathématique. Dans les sciences sociales, biomédicales ou épidémiologiques, elles ne s’avèrent qu’une fois sur deux, car les facteurs sont souvent variables, parfois indiscernables et toujours innombrables. Les experts reconnaissent eux-mêmes que ces modélisations n’ont jamais dépassé la précision d’un jeu de pile ou face.

Pour étudier l’efficacité du confinement dans une épidémie, les deux premiers niveaux de la science se basent sur les faits. Prenons (par hasard) l’exemple du covid 19. Si l’on compare les 445 morts par million d’habitants en Suède (sans confinement) aux 432, 552 et 578 de France, Italie et Espagne (avec confinement rigoureux), on peut conclure que le confinement est inefficace. Mais si l’on compare ces 445 de Suède aux 48 de Norvège, le confinement apparaît très utile. Lorsque l’étude d’un facteur donne des résultats incohérents, cela signifie que son poids relatif est trop faible dans l’ensemble des paramètres : virulence, contagiosité, immunité croisée, tests, traitements, profil social et démographique et certainement beaucoup d’autres encore plus variables ou méconnus. Modéliser une épidémie est une tâche insurmontable.

Une uchronie est une réécriture de l’histoire en modifiant un fait passé. Que se serait-il passé si napoléon avait été vainqueur à Waterloo ? Que se serait-il passé si l’on n’avait pas dépisté ce cancer ? Toutes les réponses ne peuvent être que fictions dont le degré d’irréalisme est corrélé au nombre de facteurs.

Science brutaliséeModéliser des uchronies pour dire ce qui se serait passé sans confinement relève de la fantaisie. Enfin, publier de telles uchronies dans la revue Nature me conduit à dire que le (la) covid19 a malmené les citoyens, les politiques et l’économie, mais il a surtout brutalisé la science.

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