Archive pour le mot-clef ‘médicalisation’

Séniors, désormais tout est clair

jeudi 9 mai 2013

En quête désespérée de croissance, le gouvernement vient d’annoncer son intention de développer des secteurs prometteurs.

En tête de liste, se trouve le marché des séniors. Les arguments ostensiblement affichés sont leur nombre croissant, et surtout, leurs besoins de soins encore mal explorés.

Soigner les séniors, pour résoudre le problème de chômage chronique des juniors, n’est peut-être pas une mauvaise idée, même si elle n’est pas très porteuse de rêves…

Cependant, pour une réussite complète, il serait mieux que la grande majorité des séniors soit malade. Malencontreusement, une récente étude de l’UE affirme que les séniors se sentent le plus souvent en bonne santé. Il faut donc parvenir à médicaliser cette sensation (forcément erronée) de bonne santé ; ce que nous nous exerçons à faire depuis longtemps avec des réussites diverses.

Sachant que la vieillesse fut longtemps considérée comme une « oxydation » des cellules, on a prescrit des antioxydants pendant des années. Leur manque d’effet a fini par les faire tomber en désuétude. Le traitement de la ménopause, idée de génie pour médicaliser la moitié de la vie de la moitié de l’humanité, a dû être abandonné, car trop dangereux. Le thème de la ménopause fut habilement remplacé par celui de l’ostéoporose dont la prévention pharmacologique s’avère aujourd’hui totalement inefficace.

Quelques autres tentatives hormonales pour garder la jeunesse éternelle, comme la DHEA ou la testostérone, ont connu le même échec. La mélatonine est la nouvelle star hormonale pour soigner le sommeil des séniors, déclaré toujours déficient.

Le plus grand espoir reste la prévention très précoce de la maladie d’Alzheimer, dès la quarantaine, au moment où l’on égare les clés du placard.

Je ne parle pas de la liste interminable des correcteurs métaboliques dont les statines et les hypoglycémiants sont les derniers suspects d’inutilité définitive. Enfin, l’arrivée des télomères nous offre du rêve biologique à vendre pour de nombreuses années.

Désormais, tout est clair, il ne faut plus critiquer la médicalisation de cette bonne santé ; il faut la transformer en redressement productif, tout en évitant la délocalisation. Il faut donc préférer les services personnels et la gérontotechnologie à toute cette inutile pharmacologie très souvent d’origine étrangère. Mais il faut surtout que toutes ces prestations ne soient pas payées par les charges sociales des entrepreneurs et des salariés qui sont, précisément, les juniors que l’on veut aider. Sinon, ils risqueraient de s’expatrier, aggravant encore l’inversion de la pyramide des âges et le poids des prestations sociales…

Bref, médicaliser la bonne santé sans faire supporter cette médicalisation par la solidarité de ses rescapés sans emploi… La marge de manœuvre est étroite…

Rendons des malades à Pluton

jeudi 25 avril 2013

Trier, classer, ordonner, catégoriser sont certainement les activités primaires de tout système nerveux dès les premiers stades de l’évolution. Pour les poux, le monde se divise en deux catégories : les poils et tout le reste. Les animaux classent les objets de leur environnement en fonction de critères tels que « se mange », « ne se mange pas », « dangereux », « inoffensif », etc.

Chez l’homme, la catégorisation et la classification sont des activités cognitives élaborées. Toute science progresse par un jeu de classifications et déclassifications successives.

Neptune avait été prédite dans la catégorie « Planètes », avant même d’avoir été observée. Et, plus récemment, une nouvelle définition des planètes a fait sortir Pluton de cette catégorie.

Le succès scientifique insurpassable d’une classification est de permettre des prédictions qui se vérifient.

Darwin, en établissant le lien entre le groupe des plantes à fleurs et celui des insectes pollinisateurs, a pu prédire l’existence d’hyménoptères grâce à des orchidées, et inversement.

Le tableau de Mendeleïev a permis d’affirmer l’existence d’éléments chimiques encore inconnus, tels que le gallium et le germanium qui sont venus combler les cases vides qui les attendaient.

La classification des maladies selon le modèle actuel des sciences biomédicales permet de prédire l’existence de maladies encore inconnues. Les puces à ADN, qui détectent désormais des cellules tumorales circulantes, nous réservent une moisson de cancers méconnus qui apparaîtront de plus en plus tôt. La catégorisation des humeurs et élans de la vie va permettre d’enrichir à l’infini les entités psychiatriques. Au-delà de la génomique, les trente millions de mutations qui distinguent chacun d’entre nous de son voisin, nous exposent à une infinité de maladies potentielles et orphelines que la science saura assurément déceler longtemps avant notre mort.

L’existence de ces maladies sera, chaque fois, confirmée par la publication d’essais thérapeutiques pleins d’espoir. L’espoir étant toujours la plus tangible des réalités thérapeutiques.

Ainsi, comme l’astronomie, la biologie évolutionniste ou la chimie, la médecine pourra accéder au rang de science exacte si elle opte définitivement pour le référentiel actuel des classifications du modèle biomédical.

Les médecins humanistes persistent à maintenir un référentiel centré sur la réalité sanitaire des patients. Ils se basent sur des maladies et des symptômes vécus dont la variabilité, l’évolutivité, voire la disparition spontanée, ne permettent aucune classification définitive. Ils ne prétendent pas à la science exacte, ni pour eux, ni pour leurs patients.

Avec la classification biomédicale, les patients meurent après de longues maladies. Sans cette classification, ils meurent à l’abandon.

Pour sauver ces patients de l’abandon, il est urgent de changer de classification, afin que chacun puisse enfin mourir de sa bonne mort…

Comme Pluton.