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Histoire trop courte d’Helicobacter

jeudi 17 mai 2018

Helicobacter pylori est une bactérie présente dans l’estomac depuis l’origine de l’humanité. Comme le staphylocoque ou le colibacille, cette bactérie saprophyte peut se transformer au gré de la diversité humaine et de son environnement et provoquer des infections inopportunes. La gastrite provoquée par H. pylori est peu gênante puisqu’elle ne donne des symptômes qu’une fois sur dix. Cette bactérie nommée « pseudo-commensale » par les immunologistes est presque toujours silencieuse et nous protège même contre certaines maladies allergiques. Hélas, parfois, quand l’estomac est trop acide, elle prolifère et favorise des ulcères, qui en récidivant, peuvent favoriser des mutations et des cancers, selon la logique implacable du vieillissement des organes.

Marshall et Warren ont démontré tout cela en 1984 et ont reçu le prix Nobel en 2005 pour cette découverte qui a permis d’accélérer le traitement des ulcères avec des antibiotiques au lieu de n’utiliser que des antiacides comme auparavant.

Tout était parfait : une technologie ayant permis de voir cette bactérie jusque-là invisible, une cause simple expliquant l’ulcère, un traitement antibiotique efficace et une publication sur le prestigieux Lancet en 1988. Très vite, on ne jura plus que par les antibiotiques pour guérir l’ulcère. Les marchands d’antiacides n’étaient pas contents, mais ils ont trouvé la parade en proposant leur traitement à vie pour supprimer l’acidité gastrique. Car si les médecins adorent les causes uniques, les pharmaciens préfèrent les multiples quand existe un traitement pour chaque facteur causal.

Avec des mots incantatoires tels que microbe, Nobel, Lancet, antibiotique, cette histoire d’Helicobacter était faite pour séduire et durer. Elle a duré à peine trois décennies, ce qui est beaucoup si l’on considère que dans la même période le déterminisme unique de la génétique a lui-même été balayé par les notions d’environnement et d’épigénétique.

Comme toujours, cette logique fixiste et réductionniste s’est heurtée à la mouvance de la biologie. L’hyperacidité gastrique persiste, liée à de nombreux facteurs environnementaux. H. pylori est devenu résistant, nécessitant 2, puis 3, voire 4 antibiotiques aujourd’hui.

Sans être prophète, plusieurs suites sont imaginables. Helicobacter deviendra toto-résistante ou sera remplacée par une autre bactérie plus ou moins méchante. L’acidité sera réexaminée, surtout si l’on découvre un nouvel antiacide à explication moléculaire nobélisable.  Les ulcéreux anxieux se tourneront vers les médecines alternatives. J’espère que l’on ne reviendra pas à l’ablation de l’estomac comme à l’époque du bistouri-roi.

J’apprends enfin qu’un vaccin est à l’étude. Ce sera le premier vaccin contre une bactérie pseudo-commensale. Cela me fait penser aux souris de laboratoire auxquelles on a enlevé toute la flore microbienne, on les nomme « axéniques ».

L’idée d’avoir à choisir un jour entre ulcéreux et axénique me donne un peu d’acidité gastrique.

Références

Scénario de scandale

lundi 25 décembre 2017

Les études s’accumulent et les résultats convergent au sujet des risques liés à l’utilisation prolongée des médicaments antiacides. Le doute n’est plus permis.

Ces médicaments de la classe dite des IPP (inhibiteurs de la pompe à proton) sont utilisés pour traiter l’acidité gastrique, les reflux gastro-œsophagiens et les ulcères de l’estomac. Normalement, leur utilisation doit être ponctuelle, car ils sont efficaces en quelques jours. Mais la prescription et l’utilisation médicamenteuses ont évolué vers des temps de plus en plus longs.

La création du concept de « maladie chronique » ayant été la plus rentable de toutes les stratégies mercatiques, les maladies aiguës ont quasiment disparu du paysage sanitaire. Une douleur abdominale fugace, un reflux, une analyse douteuse, une image suspecte, un évanouissement, un moment de déprime ou de fatigue suffisent à transformer tout citoyen en un malade chronique. Et accepter une maladie chronique, c’est accepter logiquement un traitement continu. Vendre une maladie aiguë n’est pas plus rentable que de vendre une imprimante, le but est de vendre des cartouches d’encre.

Hélas, les traitements chroniques peuvent avoir des désagréments supérieurs à ceux de la maladie aiguë et très souvent supérieurs à ceux de la pseudo-maladie chronique. C’est le cas des IPP dont l’utilisation abusive fait proliférer dans l’intestin la bactérie Clostridium difficile, responsable de graves diarrhées et de colites parfois mortelles.

Ce message d’alerte n’a rien de très original : il s’ajoute aux centaines d’alertes sur les médicaments à rapport bénéfices/risques négatif. Sauf que les ulcères  sont également traités avec des antibiotiques, depuis qu’Helicobacter pylori, cette bactérie présente dans tous les estomacs des humains depuis plus de cent-mille ans, en a été décrété responsable (en plus de l’acidité).

Evidemment, Helicobacter est devenu résistant aux antibiotiques, et l’on voit déjà des prescriptions de 3 ou 4 antibiotiques pour venir à bout d’ulcères qui guérissaient auparavant avec dix jours d’antiacides. Ce n’est pas fini : cette gabegie d’antibiotiques finit par sélectionner les bactéries les plus résistantes, et devinez quelle est la plus résistante de toutes : Clostridium difficile.

Il est donc possible de dénoncer un scandale sanitaire avant qu’il ne survienne, car son scenario est déjà écrit dans le grand livre des pseudo-maladies chroniques.

Alors, pour ceux, très nombreux, dont l’estomac a encore le choix entre maladie chronique et maladie aiguë, je conseille vivement de choisir la seconde. Ensuite, pour éviter le pire, il faudra trouver un médecin qui ne stresse pas devant l’acidité gastrique et qui connaisse bien notre vieux compagnon Helicobacter.

Références