Archive pour le mot-clef ‘éthique’

Éthique conséquentialiste

mardi 15 juillet 2014

Les quatre premiers piliers de l’éthique médicale sont la bienfaisance, le respect du libre-arbitre, l’équité et la non-nuisance.

La bienfaisance va de soi, elle suit son cours biologique et ne nécessite aucun commentaire particulier.

Le respect du libre arbitre du patient suppose qu’il ait eu au préalable une information éclairée. Il faut pour cela que le médecin dispose lui-même d’une information éclairée et impartiale, ce qui est de plus en plus difficile avec la complexité des pathologies abordées, les biais des études et les conflits d’intérêts. Cependant, malgré de nombreuses « affaires », nous constatons que la situation actuelle de l’information semble globalement meilleure qu’il y a 10 ou 20 ans. Encore un effort…

L’équité, dans un pays comme le nôtre où la protection sociale est encore excellente, ne pose pas de problème majeur. Mais il nous faut douloureusement constater que depuis quelques années, l’inégalité des soins suit la progression des inégalités sociales, même si c’est avec un certain décalage. L’avenir nous paraît, hélas, encore plus sombre…

Quant à la non-nuisance, il est quasi impossible d’en faire la critique ou le bilan. Ce thème pose en effet toutes les questions que suscite notre médecine technologique dans une société libérale complexe. Imaginons un médecin libéré de toute contrainte économique devant un patient bien informé prêt à accepter une grande nuisance avec la garantie scientifique d’un bénéfice quantitativement et qualitativement supérieur à cette nuisance. Autant dire que la situation est utopique et que le « primum non nocere » de notre cher Hippocrate s’éloigne sans espoir de retour.

C’est pourquoi la médecine moderne a rajouté à ces quatre piliers classiques, les deux principes éthiques de la science que sont la suprématie des preuves et le principe de réfutabilité. La mise en œuvre de ces deux apports majeurs n’a malheureusement pas permis de diminuer la  complexité des problèmes d’éthique médicale.

Il existe peut-être un « digest » destiné aux praticiens de terrain, qui n’ont pas le temps de relire leur cours d’éthique avant chacun de leurs nombreux actes. Une sorte de « truc » de l’éthique consistant à évaluer rapidement la conséquence pratique immédiate d’une première étape. En voici quelques exemples. Une analyse ou un test ne sont-ils pas inutiles s’ils ne peuvent déboucher que sur un autre test ? Quel est l’intérêt d’un scanner dont on sait déjà qu’il ne modifiera pas la logique décisionnelle ? Un mot diagnostique est-il nécessaire s’il n’existe aucun traitement ? Un doute peut-il être immédiatement émis si la probabilité est infinitésimale ?

Une sorte d’éthique conséquentialiste fruste basée uniquement sur l’étape suivante.

Méfions-nous de la probité !

mardi 8 juillet 2014

« Laissons la justice suivre son cours… » Cette phrase est plus souvent prononcée par le principal suspect d’une affaire que par ses adversaires politiques ou par ses victimes civiles. Cette confiance affichée en une justice inébranlable, incorruptible et intemporelle prend soudain valeur de preuve d’innocence et de probité. Belle occasion de vanter publiquement ce « cours » de la justice dont le caractère « long et tortueux » est en réalité le seul motif de l’engouement du suspect.

Un autre vœu pieux, celui de la formule : « chacun doit s’exprimer en toute liberté » est quasi exclusivement prononcé par ceux qui ont un accès privilégié à tous les modes d’expression ou qui influencent le plus grand nombre de médias.

Toujours dans ce registre de la probité revendiquée, souvenons-nous de la mise en place des stages de « management participatif » dans les entreprises des années 1980 afin de mieux enrober un nouveau management par le stress, digne des lointaines années du taylorisme.

Mais, dans une chronique médicale, il est attendu que la palme revienne aux acteurs de la santé. Récemment dans un grand colloque international de cancérologie, un leader d’opinion bardé de conflits d’intérêts, clamait haut et fort que tout ce qu’il faisait était dans l’intérêt de ses patients et qu’il avait une grande compassion pour leur souffrance.

Cet orateur avait, somme toute, raison de nous rappeler que le patient était le sujet et l’objet des métiers de la santé, car l’Histoire, également « longue et tortueuse » de ces métiers,  aurait pu, çà et là, le faire oublier.

C’est sur le thème de la compassion que ce leader médical m’est devenu franchement suspect. L’empathie, la compassion, l’altruisme et la coopération sont communs à tous les mammifères. Les singes et l’homme, par nature, en sont abondamment pourvus. Il est raisonnable de penser que les médecins ne font pas exception. Qui donc pourrait imaginer qu’un cancérologue ne soit pas totalement acquis à la cause de ses patients ? La revendication d’un caractère aussi naturel que la compassion peut être considérée comme une forme d’aveu de son instrumentalisation.

Nous constatons par ailleurs que cet altruisme flamboyant est souvent proportionnel au coût des thérapeutiques qui le sous-tendent.