Archive pour le mot-clef ‘dépistage’

Fluctuations des gains et pertes sanitaires

lundi 13 janvier 2014

Le Démon a perdu beaucoup de ses possédés lorsque l’épilepsie est devenue une maladie, mais la santé publique s’est dégradée d’autant, puisqu’il a bien fallu inclure ces « nouveaux » malades dans la comptabilité sanitaire.

Il fut un temps où être gaucher était un handicap sévère que l’on s’efforçait de corriger par contrainte, rééducation ou même psychothérapie ! La réaffectation de la gaucherie en variable populationnelle normale a brutalement guéri de leur handicap 10% des habitants de la planète.

Les roux avaient connu un peu avant les mêmes heurs et malheurs que les gauchers.

Les homosexuels ont eu moins de chance puisqu’il leur a fallu attendre les années 1980-1990 pour que l’homosexualité soit retirée de la liste des maladies mentales dans la majorité des pays. La psychiatrie y a peu perdu, mais la santé publique y a encore beaucoup gagné.

Jusqu’au début du XX° siècle, être « fille-mère » provoquait un vécu morbide aussi dramatique que celui du choléra ou de la lèpre, voire plus, avec exclusion sociale et familiale, et des conséquences psychologiques et physiques traversant les générations, puisque l’on préférait parfois dire à un enfant qu’il était orphelin plutôt que de lui avouer qu’il avait une mère célibataire… Aujourd’hui, avec la stérilité qui menace, l’évènement est plus souvent vécu avec bonheur. Je vous laisse imaginer le bénéfice considérable en termes de morbidité et d’héritabilité…

En médecine (hors chirurgie), depuis les gains miraculeux enregistrés par les vaccinations, ce sont certainement les changements de terminologie qui ont eu le meilleur impact sur la santé publique.

Hélas, lorsque l’on a décrété que le diabète débutait à 1,20 gr/l de sucre par litre de sang au lieu de 1,40, le nombre de malades a triplé en quelques années. Il en a été de même lorsque les normes de l’hypertension ou du LDL cholestérol ont baissé, faisant perdre rapidement à la santé tout ce qu’elle avait gagné avec les roux et les gauchers.

Je n’ose même pas imaginer les lourdes pertes comptables qui s’annoncent avec les hyperactifs, les bipolaires et les « dépistés » de tous ordres. Pertes que nous n’arriverons jamais à compenser, même en rendant les épileptiques au diable et les homosexuels aux psychiatres…

Alors, profitons de ces bons vœux de début d’année, pour bien marteler que la santé n’est jamais gagnée d’avance !

Bibliographie

Nous sommes tous cancéreux

mardi 17 décembre 2013

Nous en avons désormais la certitude, tous les êtres multicellulaires animaux et végétaux sont porteurs de cancers. Lors du passage de l’unicellularité à la multicellularité, il y a grossièrement un milliard d’années, les cellules ont dû progressivement passer d’une  nature égoïste et ségrégationniste à un comportement coopératif pour optimiser leurs chances de survie au sein des organismes multicellulaires. Comme toujours, dans l’histoire de la vie, il a fallu « bricoler » un compromis entre individualisme et coopération, et comme tous les compromis, celui-ci est instable. Le coût d’une élimination complète des cellules égoïstes ou d’une éradication du comportement individualiste aurait été trop élevé et se serait fait au détriment d’autres processus vitaux. Les lois de l’évolution sont triviales et se résument à ces compromis pour un meilleur taux de survie et de reproduction, au plus faible coût énergétique.

Ainsi, ces cellules individualistes, donc cancéreuses, sont maîtrisées par les autres, faute d’avoir pu être éradiquées. Cet équilibre précaire se maintient le plus longtemps possible, et lorsqu’il est rompu, la tumeur cancéreuse, au sens clinique du terme, apparaît. Mais comme l’évolution ne cesse jamais, une nouvelle variabilité apparaît au sein de la tumeur, entraînant de nouvelles compétitions et de nouveaux compromis. La tumeur peut ainsi subsister longtemps jusqu’à une prochaine rupture d’équilibre. Chaque nouveau compromis a un coût énergétique conduisant à l’amoindrissement d’autres fonctions vitales de l’organisme qui sera, par exemple, une proie plus facile pour les prédateurs. Chez les êtres humains, sans prédateurs, cet affaiblissement viendra, ni plus, ni moins, s’ajouter aux autres décadences de l’organisme vieillissant.

De la naissance à la mort, chaque être humain est donc porteur de cellules cancéreuses avec lesquelles il négocie incessamment, de la même façon qu’avec des parasites de son environnement.

Les progrès fulgurants de l’imagerie, de l’anatomie cellulaire et de la biologie moléculaire nous laissent penser que dans quelques années, la biomédecine sera capable de détecter les cancers d’un ordre de grandeur cellulaire.

La terminologie du cancer va donc devoir affronter un énorme dilemme. Car si nous maintenons la définition actuelle basée exclusivement sur des critères d’anatomie cellulaire au niveau d’un nombre restreint de cellules, tous les êtres humains seront déclarés cancéreux…

Nous devrons impérativement décider ce qu’est un cancer. Il faudra trouver autant de mots différents et adéquats pour nommer un cancer clinique, médical, bénin, dangereux, silencieux, rapide, mortel, chronique, unicellulaire, pauci-cellulaire, mixte, etc.

La médecine ne peut, à la fois, accepter sans discernement toutes les technologies de dépistage, faire l’économie d’une réflexion épistémologique, négliger la biologie évolutionniste et repousser indéfiniment sa réforme sémantique du cancer.

Références

Prostate : fable du PSA

lundi 16 septembre 2013

Le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA est dénoncé comme inefficace, depuis 20 ans, tant par les praticiens de terrain qui constatent son inadéquation avec la réalité clinique, que par les méta-analyses les plus rigoureuses.

Avec quelques généralistes, nous avons tenté de lutter contre la promotion exagérée de ce test par l’Association Française d’Urologie (AFU) et par l’industrie du diagnostic biologique.

Mais comment expliquer à un patient le contraire de ce qu’il entend sur tous les médias ? Je me souviens d’un « débat » sur France Inter, où les trois invités étaient tous des urologues de l’AFU ! Cela ne s’invente pas ! Comment expliquer que ce dépistage est une « perte de chance », si notre patient a été convaincu de l’inverse par un spécialiste urologue sans contradicteur.

Même les praticiens de tempérament « David » ont vite compris qu’il fallait mille fois plus de temps pour convaincre de l’inutilité du test que pour le prescrire, car « Goliath » s’était glissé entre eux et leurs patients. Le « paiement à l’acte » a certainement été le principal étouffoir de la polémique…

Je me souviens, il y a quinze ans, avoir répondu à un proche de 81 ans, qui me demandait ce qu’il devait faire, car son PSA était positif. « Rien », lui ai-je dit, en déchirant sa feuille de résultats. Je ne me serais jamais risqué à un tel geste avec tout autre patient, car un médecin ne peut protéger que sa famille contre les excès de la médecine. Ce parent, aujourd’hui âgé de 96 ans, ignore où en est son PSA, mais il continue allègrement à conduire sa voiture de la même marque !

En 2010, la Haute Autorité de Santé (HAS) refusait définitivement la mise en place d’un dépistage de masse réclamé par l’AFU. Malgré cela, 75% des patients continuaient à réclamer leur PSA, alors que la participation au dépistage du cancer du sein, pourtant vanté par tous les ministères, ne dépassait pas les 53% !

En 2011, la HAS américaine recommande, avec un haut niveau de preuve, de ne pas dépister le cancer de la prostate avec le PSA, suivie par la France en 2012, même chez les hommes à haut risque ! La surprise a été telle que certains médecins ont demandé le retrait de ce texte, car ils ne sauraient comment l’expliquer à leurs patients ! Pour la première fois, dans l’histoire du dépistage en cancérologie, il existait une forte preuve de la supériorité de l’abstention sur l’action !

Mais à l’interface entre médecine et société, rien n’est jamais simple, car ce test décrété inutile, a continué à être remboursé. Vous ne comprenez pas… Désolé, moi non plus.

Enfin, un nouveau pas est sur le point d’être franchi, puisque le rapport Vernant, dans le cadre du troisième Plan Cancer, propose le déremboursement de ce test. Attendons…

Rien ne peut désormais m’étonner dans les aventures du PSA. L’AFU ayant un accès facile aux médias, saura jouer sur d’autres registres que celui des preuves. Plus l’erreur a duré, plus il est difficile de la corriger sans perdre la face… Soyons optimistes, certains urologues commencent à se désolidariser…

Une chose est certaine : la saga du PSA sera, un jour, un excellent sujet de Sciences Humaines et Sociales pour les étudiants.

Dépister ou non l’Alzheimer

jeudi 12 septembre 2013

La Conférence de l’Association Internationale de l’Alzheimer s’est tenue à Boston en juillet dernier (AAIC 2013).

L’une des questions les plus débattues a été celle de l’utilité d’un dépistage et d’un diagnostic précoces. La question était hypocrite, puisque l’on sait que les sponsors de ces associations et conférences orientent déjà toutes les recherches vers un dépistage de plus en plus précoce, indépendamment des avertissements et des inquiétudes des cliniciens.

Malgré cette hypocrisie, dont la médecine prédictive est coutumière, les arguments étaient valables des deux côtés. Les partisans du dépistage insistaient sur la nécessité de la précocité pour améliorer la prise en charge et le pronostic. Les adversaires arguaient qu’il n’existe actuellement aucun médicament susceptible de retarder l’apparition de la maladie ou de ralentir son évolution. Ce dépistage est donc sans intérêt, et risque, en outre, d’inquiéter plus longtemps les patients et leurs familles, sans pouvoir rien changer au pronostic.

Les partisans rétorquaient qu’il existait déjà quelques moyens non pharmacologiques, tels que la marche, l’exercice physique, l’affection, l’entraînement cognitif, la suppression du tabac, des opiacés et des somnifères, le toucher et toutes les stimulations sociales et sensorielles, ainsi que la lutte contre l’obésité. Autant d’éléments qui rangeaient adroitement ces partisans du diagnostic précoce du côté de l’écologie et de l’empathie. Argument combattu maladroitement par les adversaires qui savent que ces thérapies non médicamenteuses sont mal appliquées, ou très vite abandonnées, dès lors que le marché propose un médicament, même si celui-ci est inefficace ou nuisible. Car la croyance en une chimie pouvant tout guérir est tenace, même pour une maladie neuro-dégénérative d’apparition tardive.

Les médecins attentifs savent que la recherche sur la maladie d’Alzheimer, ne pouvant aboutir à guérir ou à éradiquer cette maladie, veut ouvrir des pistes « crédibles » d’un traitement préventif, « vendable » à tous les adultes anxieux et assurés sociaux.

En attendant cette prouesse mercatique et – pourquoi pas – scientifique, l’examen attentif des données actuelles de la science peut mettre tout le monde d’accord sur l’inutilité actuelle du dépistage. Il apparaît que les meilleurs traitements préventifs de cette terrible maladie sont les mêmes que les thérapies considérées comme les plus actives pour en ralentir le cours. Citons-les encore : scolarisation longue et précoce, régime peu calorique, suppression du tabac, entraînement cognitif, socialisation, toucher, exercice physique, affection, stimulation sensorielle, etc. Seuls moyens possédant, à ce jour, la preuve d’une efficacité, tant préventive que curative.

Peu importe alors de chercher à définir le moment opportun du diagnostic, puisque ces traitements ne doivent jamais cesser, avec ou sans diagnostic.