Éthique sous le tapis

5 mai 2023

Nombreux sont ceux qui considèrent que « légal » et « éthique » sont synonymes : si c’est légal c’est éthique.

Pourtant, lorsque la peine de mort était légale, il n’était ni éthique ni élégant de trancher le cou d’un être humain. Il est légal de vendre des armes et rarement éthique de les utiliser. Il est éthique de fixer des limites de vitesse, mais légal de vendre des motos qui roulent à quatre fois ces limites. Si les avocats de Donald Trump parviennent à lui épargner la prison, leur succès sera juridique sans être éthique. Le 49.3 est constitutionnel donc légal, mais il manque d’éthique. Si le glyphosate reste autorisé, il n’est plus éthique de le laisser filer à vau-l’eau. Etc.

Cette façon de glisser l’éthique sous le tapis se développe dans tous les domaines. La médecine ne saurait y échapper, elle a même développé une certaine expertise dans cette confusion.

Les autorités sanitaires acceptent la commercialisation d’un médicament, car les marchands les ont éthiquement convaincus de son utilité pour l’humanité souffrante. Et il est légal de le prescrire longtemps après la preuve de son rapport bénéfices/risques négatif tant que les mêmes autorités ne l’ont pas retiré. Cela vous rappelle forcément plusieurs histoires.

Il est illégal de vendre de la morphine et du cannabis, mais éthique de les prescrire à visée thérapeutique. Cette éthique débridée a conduit à la crise des opioïdes, une des premières causes de mortalité aux USA ; ne doutons pas que la légalisation du cannabis thérapeutique suivra la même voie. Il est légal de vendre de l’alcool, du tabac, et l’on semble considérer éthique d’en faire la promotion en précisant qu’ils sont dangereux pour la santé ? Y a-t-il encore de la place sous le tapis ?

Les laboratoires jugent éthique d’investir en cancérologie en font légaliser le prix faramineux de leurs découvertes par des autorités qui deviendraient presque illégitimes en s’y opposant. Et lorsque ces médicaments s’avèrent inefficaces et dangereux, leur éthique met longtemps à sombrer dans le gouffre financier. Un peu comme le Concorde qu’il fallait continuer à faire voler en espérant un retour sur investissement.

S’il semble éthique d’œuvrer dans une ONG, il ne l’est pas d’en tirer un salaire de PDG. De manière générale, plus la compassion s’affiche de façon flamboyante, moins elle est éthique. En médecine, les plus compassionnels ont souvent les plus gros conflits d’intérêts.

La médecine revendique toujours sa compassion et sa légalité sans trop s’interroger sur l’éthique des bases sur lesquelles elles reposent. Celui qui ose mettre en doute l’éthique de sa pratique et de sa science est perçu comme marginal, complotiste, voire illégitime. En médecine, éthique et légalité se rejoignent en des consensus mous et labiles auxquels l’académie et les médias donnent l’apparence de la rigueur et de la stabilité.

Les belles victoires passées de la médecine ne suffisent plus à calmer mes inquiétudes quant à l’avenir de son éthique.

Référence

Réhabilitons le sperme

21 avril 2023

Les animaux ont obligé Dieu à embarquer des couples sur l’arche de Noé, car ils savaient d’instinct qu’il faut être deux pour faire des enfants. Longtemps après, Galien a envisagé le principe de la double semence. Mais si nul ne doutait que le sperme fut la semence mâle, la semence femelle restait énigmatique ; certains l’ont assez logiquement attribuée aux sécrétions vaginales émises lors de l’accouplement.  

Le microscope mit fin à cette poésie égalitaire en découvrant les gros ovules. En ces temps, la théorie du « préformationnisme » dominait, elle stipulait que l’embryon était déjà préformé dans l’une des deux semences, et que l’autre ne servait qu’à enclencher le processus de son développement. L’ovule semblait être le mieux placé pour abriter cette préformation. Mais lorsque le microscope découvrit des « animalcules » dans le sperme, un courant opposé prétendit que c’étaient ces spermatozoïdes qui contenaient l’embryon préformé, l’ovule ne servant alors que de réceptacle. Cette guerre des ovistes contre les spermatistes dura deux siècles jusqu’à ce que la biologie moderne donne une priorité définitive à l’ovule qui apporte à l’embryon son cytoplasme, donc sa première nourriture, ses mitochondries, donc son énergie, et tout l’ADN mitochondrial qui ne provient que des femmes. Fin du machisme embryologique.

On alla jusqu’à dire que la semence mâle ne servait qu’à déterminer le sexe de l’enfant. Et, après la découverte du processus d’empreinte génétique, sorte de guerre d’influence que se livrent les gènes d’origine paternelle et maternelle, on affirma que l’empreinte maternelle était plus forte. Bérézina des spermatozoïdes.

Certes, dans les sociétés complexes la contribution sociale du mâle est devenue aussi importante que sa contribution spermatique pour assurer l’avenir d’une progéniture. C’est pourquoi l’on voit tant de vieux spermatozoïdes ensemencer de jeunes ovules, confortant encore l’idée que la valeur du sperme importe moins que celle du compte bancaire. Ultime et sournois dénigrement de la semence mâle.

Bref, il est grand temps de réhabiliter les spermatozoïdes, car leur qualité importe autant que celle des ovules, comme en témoignent les recherches les plus récentes.

La procréation médicalement assistée échoue aussi souvent avec l’âge avancé du père qu’avec celui de la mère. Les fausses couches, la prématurité, les malformations congénitales, la mortalité infantile, les maladies génétiques augmentent proportionnellement à l’âge du père. L’autisme et la schizophrénie sont les pathologies les plus sensibles à l’âge de reproduction du père, voire du grand-père.

Les statistiques ont remplacé les microscopes.

La longévité érectile des mâles n’empêche pas leur sénescence spermatique. Les bricolages successifs de l’évolution n’ont simplement pas réussi à harmoniser la fonction érectile et la qualité du sperme.

Mettons un point final au sexisme entre ovules et spermatozoïdes. Les couples de l’arche de Noé étaient certainement très jeunes.

Références

Choisir son catastrophisme

12 avril 2023

Les bouleversements écologiques qui nous sont rabâchés sont assurément le résultat de l’extraordinaire développement culturel qui caractérise notre espèce. Nous avons imposé aux autres espèces des changements environnementaux d’une ampleur et surtout d’une rapidité sans précédent : un centième de seconde à l’échelle de l’évolution biologique.

Ampleur et rapidité qui ne changeront pas la règle immuable de l’évolution : nombre d’espèces s’adapteront à ces nouvelles pressions environnementales et d’autres disparaîtront. Les espèces vivantes actuelles représentent moins d’un millième de celles qui ont existé. 

Pour une espèce, deux atouts sont importants pour survivre à un changement aussi brutal, d’une part un cycle de reproduction court, d’autre part une aptitude à modifier l’environnement à son avantage. Notre espèce ne possède que le second atout ; hélas, chaque plan de protection environnementale se heurte à nos impératifs biologiques et économiques de croître et de prospérer.

Comme tous les biologistes, je ne suis évidemment pas catastrophiste et je n’ai aucune inquiétude pour la vie en général. Pour l’espèce humaine, le catastrophisme qui me gagne n’est pas vraiment biologique. La culture qui avait permis notre adaptation semble désormais sélectionner de nombreux traits d’inadaptation.

En plus des religions dont les dogmes fomentent des guerres, on voit prospérer des milliers de sectes et des millions de complotistes dont la base culturelle absconse n’offre aucun espoir d’adaptation. 80% des citoyens du monde croient en un Dieu tout puissant qu’ils infiltrent dans le cerveau de leurs enfants dont certains sont prêts à mourir pour lui. Le monde compterait jusqu’à 40% de créationnistes cognitivement inaptes à modifier leur environnement. Les populismes basés sur le mensonge, l’immobilisme et l’irréalisme voient leur électorat grossir au-delà de leurs espérances. L’information et l’éducation semblent devoir passer plus souvent entre les mains de nouveaux Trump, Le Pen ou Bolsonaro que de nouveaux Lucrèce, Galilée ou Voltaire.

Notre planète abrite 12000 ogives nucléaires dont la moitié sont aux mains d’héritiers incultes ou de tyrans qui manipulent les réseaux sociaux où s’échangent des inepties et des photos de chats.

Quant aux démocraties, non seulement elles voient s’effondrer leur démographie, mais trop obnubilées par le vote et la survie de leurs vieillards infertiles, elles n’arrivent plus à évaluer les nouvelles infécondités de leurs enfants devenus obèses, illettrés ou dépressifs.

Enfin, 25% de la population mondiale souffre d’un trouble mental, et le commerce des drogues licites et illicites qui aggravent ces troubles est en augmentation fulgurante.

Bref, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’acidification des océans ou les polluants organiques persistants présentés comme des menaces sur notre espèce ont peu de poids en regard de l’inadaptation qu’elle-même sélectionne. Ne nous trompons pas de catastrophisme.  

Références

Cardiologie et plomberie environnementales

27 mars 2023

Chacun choisit sa médecine non seulement en fonction des maux qu’il vit, mais aussi en rapport avec ses croyances et son mode de raisonnement. Tel conservateur prendra les mots de l’académie pour une vérité définitive, tel aventurier se livrera sans précaution aux chamanes et gourous, tel mystique s’offrira aux bistouris où il verra la main de Dieu, tel geek adoptera un régime nutritionnel à l’ésotérisme démonstratif, tel philosophe évitera les soins trop consensuels.  

Les ingénieurs sont passionnés par la cardiologie, probablement car le système cardiovasculaire leur paraît relever d’une logique plombière avec sa pompe, ses valves et sa tuyauterie ; les mesures mécaniques de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle confinant à la fascination.

Un de mes patients polytechnicien s’étonnait de voir sa pression artérielle s’élever en altitude, alors que la pression atmosphérique diminue. Son raisonnement était théoriquement parfait. La pression artérielle étant le produit du débit cardiaque (nommée précharge par les cardiologues) par les résistances périphériques (postcharge). La baisse de la pression atmosphérique diminuant la postcharge devrait aussi diminuer la pression artérielle. CQFD.

Je lui répondis (trop) vite que l’effort pour monter en altitude avait augmenté sa précharge ; mais il avait prévu cette (stupide) remarque en me précisant que sa pression artérielle restait élevée, même au repos.  

Je lui expliquais que la précharge et la postcharge dépendaient elles-mêmes de nombreux autres paramètres (muscles et tissus des artères et du cœur, fonction rénale, saturation en oxygène, viscosité et composition sanguines, etc.), chacun étant soumis à son tour à des régulations hormonales et nerveuses. J’allais jusqu’à mettre la médecine en danger en disant que nous ne connaissions qu’une infime partie des centaines de facteurs de régulation de la pression artérielle.

Il me fit remarquer judicieusement qu’entre 0 et 5000 m d’altitude, la pression atmosphérique était divisée par deux, passant de 750 à 375 mm de mercure. Baisse considérable comparée aux 120 mm de notre pression artérielle.

Il me restait l’argument environnemental de la concentration en oxygène de l’air ambiant, facteur qui mobilise encore plus de paramètres. Devant ses réticences, je lui assénais le coup final : après quelques mois en altitude, l’organisme finit par compenser tous les facteurs environnementaux et ramène la pression artérielle à son niveau usuel.

N’ayant pas vérifié ce fait, il l’accepta avec élégance. Il en conclut que le travail des cardiologues était plus facile que celui des plombiers, car les cumulus ne s’adaptent pas à leur environnement, il faut les changer trois fois plus souvent lorsque l’eau est calcaire. Et enfin, notre accord fut total sur le bénéfice cardiologique de la marche en montagne.

Longue consultation financièrement moins rentable que celle d’un mystique ou d’un philosophe, mais beaucoup plus riche.

ref

Recyclages

15 mars 2023

En ces temps de préoccupations écologiques, le recyclage propose de donner une nouvelle vie aux plastiques, aux métaux et aux divers objets qui envahissent notre espace.

L’industrie pharmaceutique en a une conception particulière, plutôt que de recycler ses déchets en de nouveaux creusets, elle cherche de nouvelles indications thérapeutiques pour les molécules dont le commerce s’essouffle ou le brevet expire. Les essais cliniques qui accompagnent ces recyclages ont des résultats parfois positifs et souvent insolites.

Les glitazones qui se sont révélées inefficaces et dangereuses dans le traitement du diabète type 2 ont été relancées pour le traitement de la leucémie myéloïde chronique.  

Le thalidomide dont chacun connaît l’histoire catastrophique est aujourd’hui indiqué dans le lupus, les aphtoses sévères et le myélome.

Nous connaissons les amphétamines, ces drogues dont de multiples dérivés ont été déclinés par Servier. Si ce laboratoire a connu le fiasco du Médiator, d’autres ont été plus heureux avec la Ritaline indiquée dans le trouble déficitaire de l’attention chez l’enfant et dont les prescriptions augmentent vertigineusement sans trop émouvoir.

L’hydroxychloroquine, ce vieil antipaludéen, présente un intérêt dans la polyarthrite et le lupus et a été récemment proposé à grand bruit contre la covid-19.

Les douleurs chroniques sont un casse-tête, car toutes les drogues finissent par s’y fracasser ; aujourd’hui l’engouement se porte sur les antiépileptiques et les antidépresseurs. Ces derniers sont également prescrits dans l’énurésie, les troubles obsessionnels, le sevrage tabagique, l’obésité et la dysfonction sexuelle féminine.

D’une manière générale, les psychotropes figurent toujours au palmarès de ces extensions thérapeutiques. Le succès initial des neuroleptiques dans la schizophrénie a entraîné l’une des plus importantes dérives du recyclage, ils ont été proposés sans recherche supplémentaire pour des maux aussi divers que vomissements, insomnies, asthme, prurit, douleurs, ou encore, de façon plus fantaisiste, troubles des règles, anxiété banale ou déshydratation du nourrisson. On leur a récemment trouvé une vertu pour la covid-19, encore elle.

Mais la palme revient assurément aux statines, ces médicaments destinés à baisser le taux de cholestérol. On a réussi à leur trouver quelque efficacité dans la sclérose en plaques, l’asthme, la schizophrénie, la maladie bipolaire, l’ovaire polykystique, la migraine et treize types de cancer dont évidemment ceux du sein et de la prostate. On les a testés sans succès dans la démence, et enfin dans diverses infections dont… je vous laisse deviner laquelle.

Le génie mercatique ne cesse de m’étonner : après avoir cherché des molécules pour les maladies, on cherche aujourd’hui des maladies pour les molécules. Cependant, le succès de plusieurs de ces recyclages impose deux conclusions scientifiques : toutes les maladies sont plurifactorielles et aucune molécule n’a qu’un seul effet.

Références bibliographiques

Rendons à César

3 mars 2023

Après les polémiques soulevées par McKeown qui contestait le rôle de la médecine dans l’augmentation de l’espérance de vie, on peut désormais évaluer plus sereinement les parts respectives de la médecine et des autres progrès.

Précisons que l’espérance moyenne de vie à la naissance (EMVN) est sans rapport avec la longévité de notre espèce. L’EMVN est une donnée statistique qui varie considérablement en fonction de l’époque et de l’environnement, alors que l’âge des doyens de l’humanité varie fort peu.

La diminution de la mortalité infantile est, de loin, la première cause d’augmentation de l’EMVN. En France en 1740, l’EMVN était de 25 ans car la mortalité infantile avant un an (MI) était de 25%, et la moitié des enfants mouraient avant 10 ans. L’EMVN était de 40 ans en 1840, ce bond de 15 ans en un siècle est dû à la vaccination antivariolique et aux premiers progrès de l’hygiène.

Ensuite, l’EMVN est passée de 45 ans en 1900 à 65 ans en 1950. Ces vingt années de vie gagnées sont liées à la baisse de la MI qui est passée 15% à 5% pendant ce demi-siècle. La moitié de ce gain est attribuable aux vaccins et l’autre moitié aux progrès sociaux (confort, école, habitat, travail).

L’EMVN a encore progressé de 13 ans dans la deuxième moitié du XXème siècle pour atteindre 78 ans. Certes, la MI a encore baissé jusqu’à 0,5%, mais les adultes ont aussi largement participé à ce gain pour diverses raisons non médicales : arrêt des guerres et nouveaux progrès techniques et sociaux. La médecine y a encore participé pour moitié grâce aux antibiotiques, aux progrès de la chirurgie et de l’obstétrique et à une meilleure prise en charge des maladies cardio-vasculaires.

Depuis 2000, la France a encore gagné 4 années d’EMVN, mais celle-ci stagne ou régresse dans une douzaine de pays de l’OCDE. La MI s’est stabilisée en dessous de 0,4%. La part sociale n’est plus significative, voire régresse pour diverses couches de population. La part médicale est indirecte par les alertes hygiéno-diététiques (sédentarité, tabac, sucre, viande), sa part directe devient insignifiante à quelques exceptions près comme le dépistage anténatal et les progrès du traitement des cancers infantiles. Mais le traitement des cancers de l’adulte n’a pas d’impact sur l’EMVN en raison de l’âge avancé de leur survenue : on estime que l’éradication de la totalité des cancers ne ferait pas gagner plus de deux ans d’EMVN.

En résumé, sur les 60 années de gain d’EMVN en trois siècles, il faut en attribuer une moitié à la médecine (vaccins, antibiotiques, hygiène, prévention, obstétrique et chirurgie).

Aujourd’hui, la médecine semble avoir épuisé ses moyens d’action directe, si ce n’est à un coût faramineux par minute de vie gagnée. Elle peut même contribuer à la baisse d’EMVN, comme le montre la crise des opioïdes aux USA. Pour de nouveaux gains significatifs, il faudrait supprimer le sucre, le tabac, la sédentarité et les pesticides. Faudra-t-il attribuer ces gains à César ou à ses sbires ?

références

Prodigieuse paraclinique

22 février 2023

Les examens « paracliniques » désignent les innombrables techniques qui complètent l’examen clinique direct du patient : imagerie, sérologies, microbiologie, électrographies, endoscopies, génomique, etc. Leur but est de confirmer ou d’infirmer un diagnostic. La faculté enseignait de ne les prescrire qu’après avoir évoqué un ou deux diagnostics. Certains professeurs suggéraient de faire payer aux internes le coût des examens au résultat négatif, ou d’en évaluer l’utilité après diagnostic : une IRM pour tendinite ou maladie d’Alzheimer n’en change pas les soins. 

Cette parcimonie fait sourire, aujourd’hui la Sécu finance la gabegie. La fuite en avant s’accélère, entretenue par l’ingéniosité technique et l’activisme médical que la société exige. Les médecins n’osent plus de diagnostics sans confirmation paraclinique, et les patients considèrent ceux-ci comme suspects. C’est pourquoi la recherche biomédicale s’active dans deux directions, d’une part, la psychiatrie où les diagnostics restent exclusivement cliniques, d’autre part, le dépistage des maladies tumorales, cardiovasculaires et neurodégénératives avec l’espoir d’en retarder l’apparition clinique.

En psychiatrie, l’électrographie de la rétine aide au suivi des addictions, des dépressions majeures et de la schizophrénie. On a détecté six marqueurs biologiques corrélés au risque de suicide chez les bipolaires et les schizophrènes et onze pour la dépression majeure chez les adolescents. Un facteur neurotrophique aide à prédire un trouble bipolaire lors d’un premier épisode dépressif. Louons ces efforts pour distinguer les graves maladies psychiatriques des légers troubles de l’humeur ou du comportement.

Inversement, inquiétons-nous des risques d’excès diagnostiques et de leurs dérives commerciales. On a isolé un marqueur dont le taux est plus élevé en cas de stress post-traumatique, de fatigue chronique ou d’état dépressif, autant de diagnostics difficiles et instables. Certains contextes psychologiques (rumination, stress) modifient le taux des IgA salivaires, mais ce taux varie aussi en fonction des personnalités. Certains proposent la rétinographie pour diagnostiquer l’autisme, l’anorexie, le TDAH, voire la maladie d’Alzheimer ; cette dernière détient le record des marqueurs, on en est à plus de deux-cents !

Les cocasseries abondent en d’autres domaines. La spectroscopie par résonance magnétique nucléaire permet de mesurer plus de cent biomarqueurs à la fois ; les big data ont permis de discerner 4 biomarqueurs fortement corrélés au risque de mourir dans les cinq ans. Le décryptage du glycome (ensemble des sucres de l’organisme) est un bon prédicteur des maladies cardio-vasculaires et métaboliques ; voilà une prestigieuse façon de confirmer que le sucre est mauvais pour la santé. Le spectre de l’ostéoporose a conduit à 7 millions de dosage de vitamine D par an en France, mais on en ignore toujours l’utilité…

La recherche biomédicale m’émerveille. Il reste encore à surveiller qui la contrôle et à en décharger le budget de la Sécurité sociale.

Bibliographie

Marions-les

12 février 2023

Plusieurs études, originales et sérieuses, ont essayé d’établir des relations entre le statut matrimonial et l’état de santé.

La cardiologie en livre d’étonnants résultats. Par exemple, le fait de vivre sans conjoint après 75 ans augmente de 25% le risque de décès dans l’année qui suit un infarctus.

Nous savons que la pression artérielle est intimement liée à l’environnement socio-professionnel. Dans un couple, la qualité de la relation conjugale auto-déclarée (haute, moyenne ou faible) est inversement proportionnelle à la pression artérielle. Les électrocardiogrammes d’effort après un stress mental révèlent que le myocarde des célibataires y est deux à trois fois plus sensible que celui des personnes vivant en couple. De manière générale, chez les femmes, le veuvage dégrade le profil cardio-vasculaire.

Chez les sédentaires, l’activité sexuelle entraîne des risques de mort subite et d’accident cardiaque aigu plus élevés chez les célibataires que chez les appariés. Cependant, une activité sexuelle régulière diminue ce risque (comme pour l’activité physique). La vie en couple serait alors un avantage, si nous postulons que l’activité sexuelle y est plus régulière.

Le statut matrimonial a bien d’autres répercussions sur la santé. La vie en couple et, a fortiori, la vie familiale limitent les conduites à risque et stimulent les fonctions cognitives. Ainsi, le risque de démence chez les célibataires et supérieur de 50% à celui des personnes mariées. Cette différence ne se constate pas chez les divorcés. C’est ainsi !

Le psychisme est évidemment concerné. L’hospitalisation pour raisons psychiatriques multiplie par cinq le risque de suicide du conjoint, dans les deux années suivantes. Le décès du conjoint multiplie ce risque par huit (toujours dans les deux ans) ; et si le décès est dû à un suicide, ce risque est multiplié par plus de vingt.

Une douleur importante en fin de journée chez l’un des conjoints diminue la quantité et la qualité de sommeil de l’autre, avec un sommeil d’autant moins réparateur que la relation conjugale est plus étroite. Quant aux douleurs chroniques, celle de l’un influe objectivement sur l’état de santé de l’autre.

Si le mariage est déjà fort connu pour augmenter l’espérance de vie des individus, on connaît moins ses répercussions en termes de santé publique. La prématurité et petit poids de naissance des nouveau-nés sont plus fréquents chez les mères célibataires que mariées. Dans un tout autre registre, le mariage diminue considérablement les conduites anti-sociales ; il réduit le risque de criminalité d’environ 35 %, bien que Bonnie and Clyde aient encore trop d’émules. Hélas, les féminicides viennent ternir ce beau tableau, car le conjoint en est l’auteur quatre fois sur dix.

Je n’ai mentionné que des études ayant éliminé les facteurs de confusion. Il s’agit donc bien de fortes corrélations sanitaires, lesquelles ne présument en rien des avantages et inconvénients du célibat en d’autres domaines.

Bibliographie

Imprudence clinique

3 février 2023

L’intelligence artificielle (IA) est médiatisée comme une révolution. Les calculatrices de poche des années 1960 n’ont pas été commentées avec la même béatitude alors qu’elles étaient un premier miracle de l’IA, capables de faire mieux et plus vite que nous toutes les opérations mathématiques. Je ne peux plus m’en passer et je dois avouer que mon stylo sait encore effectuer les 4 opérations de base, mais ne sait plus extraire une racine carrée.

Depuis que l’échographie me donne la position du placenta et du bébé, mes mains ont perdu leur habileté obstétricale. Je fais une IRM cérébrale dès l’apparition du premier signe clinique neurologique. Cela me désole un peu, mais le progrès m’émerveille, il m’époustoufle. Si j’étais en fin d’études aujourd’hui, je me spécialiserais dans le décryptage génétique des maladies rares ou la radiologie interventionnelle et j’éviterai prudemment la traumatologie, la médecine environnementale, l’anesthésie, la psychiatrie ou encore la gériatrie. 

L’acquisition de mon premier dermatoscope a diminué mon inquiétude devant les suspicions de mélanome. Et lorsque j’étais trop inquiet, je demandais l’avis du dermatologue qui en avait vu cent fois plus que moi : sa base de données cérébrale était supérieure à la mienne. Aujourd’hui, la base de données du dermatologue est dérisoire comparée à celle de l’IA ; je n’ai plus besoin de lui, une photo avec mon smartphone me suffit. Cependant, je m’inquiète à nouveau, car si le dermatologue perd aussi son expertise, il ne pourra plus contrôler mon smartphone.

C’est ma seule véritable inquiétude. Qui contrôlera l’IA ? Les marchands ou les experts. Quelle intelligence artificielle nous dira s’il est vraiment utile de dépister les mélanomes ? De fanatiques transhumanistes ou de sages experts qui en constatent déjà l’inutilité.

Je crois connaître la réponse. Lorsque les essais cliniques ont été labellisés dans les années 1960, les institutions n’ayant rapidement plus eu les moyens d’en assurer la charge financière, les industriels en ont pris le monopole. Ce sont eux qui détiennent désormais les bases de données et les moyens de les exploiter. Mais tout est pour le mieux, car leurs clients occidentaux n’aiment pas la clinique des signes, ils aiment la thérapeutique, ils n’aiment pas le temps de l’indétermination.

L’IA ne sait pas encore que l’imprudence est une vertu clinique, que l’observation patiente et inopinée reste un excellent moyen d’améliorer la connaissance de l’histoire naturelle des symptômes, des maladies et de leurs porteurs.

La meilleure décision thérapeutique est celle qui repose à la fois sur les données de la science, le pragmatisme des patients et la connaissance irrationnelle et toujours imprudente des soignants.

L’IA sera toujours meilleure que les médecins pour le diagnostic du mélanome et la surveillance d’un traitement par insuline ou anticoagulants. Pour le reste, les bases de données devront intégrer le pragmatisme et l’irrationnel… Attendons encore un peu… 

Références

D’un mab à l’autre

24 janvier 2023

Dans les années 1940, la synthèse des alcaloïdes a ravivé la pharmacologie et fait croire que l’on pourrait circonvenir tous les symptômes et maladies. Ces médicaments sont encore très nombreux, mais leur vertu commerciale a depuis longtemps dépassé leur efficacité thérapeutique.

Aujourd’hui, l’engouement se porte sur les anticorps monoclonaux développés à partir des années 1980. Ils sont très nombreux, et l’on peut les reconnaître à leur dénomination commune internationale qui se termine toujours par « mab » (Monoclonal AntiBody). Ils ont été proposés initialement en cancérologie avec quelques résultats sporadiques de faible rentabilité sanitaire. Ils ont été logiquement testés en infectiologie et la Covid19 leur a donné une grande visibilité malgré leur médiocrité clinique.

Malgré cet écart difficile à combler entre l’espoir théorique et la dure réalité clinique, restons positifs et encourageons la recherche autour de ces « mab ». Hélas, ils sont désormais proposés dans les indications les plus farfelues avec une grossièreté dont seul le commerce est capable.

L’aducanumab avait été proposé en 2021 pour traiter la maladie d’Alzheimer à grand renfort de publicité avec la complicité coutumière des médias. Le principe était d’une stupidité qui laisse pantois, consistant à détruire les protéines beta amyloïdes qui s’accumulent dans le cortex, et dont on ignore si elles sont cause ou conséquence de la maladie, voire corollaires de la sénescence. Devant son coût exorbitant pour un rapport bénéfices/risques négatif, le médicament a été soit retiré soit refusé par la plupart des ministères.

Mais les industriels sont tenaces, et comme personne n’a trouvé plus séduisant que ces plaques amyloïdes pour séduire les médecins et obtenir l’agréement des autorités, ils viennent de proposer un nouveau « mab », le lecanemab. Grâce à une publication dans le NEJM (New England Journal of Medicine) qui est le tabloïd de l’industrie pharmaceutique, ils espèrent obtenir une autorisation, surtout en prévention, car la clientèle angoissée à la moindre perte de mémoire est immense. Il suffirait de tenir un an avant l’évidence de son inefficacité clinique pour avoir un retour confortable sur investissement.

Tout l’enjeu est là : tenir assez longtemps. Mais il apparaît que le marché, en plus d’être grossier est presque ridicule. En effet, à ce jour, aucun médicament (mab ou autre) proposé dans la maladie d’Alzheimer n’a eu de rapport bénéfices/risques positif, et on peut sans risque affirmer que cette dégénérescence intimement liée à l’âge ne connaîtra jamais de révolution thérapeutique.

Il nous reste à espérer le miracle d’un mab pour une myopathie ou une leucémie infantile. Je veux y croire. En attendant, je propose de considérer les chercheurs investis dans des recherches thérapeutiques sur la maladie d’Alzheimer comme ayant a priori des conflits d’intérêts. Et je suis certain qu’il n’y a pas besoin de gratter beaucoup pour le prouver.

Références