Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Mots et lieux de l’hystérie

samedi 7 octobre 2023

Les noms des maladies ont varié au gré des connaissances. Mais plus souvent, c’est l’ignorance qui a contribué à la valse des noms, particulièrement en psychiatrie. La sémantique de l’hystérie est assurément la plus facétieuse.

Cette maladie que les anciens attribuaient à l’errance de l’utérus est restée exclusivement féminine jusqu’au pittoresque complexe de castration de Freud. Puis, on a fini par admettre qu’elle pouvait aussi être masculine, mais le pénis, les testicules et la prostate n’ont jamais été suspectés d’en être la cause.

Ses symptômes neurologiques sont très impressionnants : paralysies, convulsions, cécité, aphasie, syncopes, dysphagies, déficits sensitifs, douleurs, etc. Mais comme on n’a jamais trouvé de lésion neurologique, on les a nommés troubles somatomorphes, vocable passe-partout pour signifier leur ressemblance avec des troubles somatiques.

La tétanie était le nom donné aux crises d’Augustine, la célèbre hystérique que Charcot exhibait dans son théâtre universitaire. Cette tétanie est devenue spasmophilie, puis enfin « attaque de panique », trouble psychiatrique désormais détaché du registre hystérique.

Les douleurs de l’hystérie ont été longtemps confondues avec celles de la fibromyalgie, un nouveau diagnostic qui a, lui aussi, connu des noms divers : rhumatisme psychogène, polyentésopathie, rhumatisme musculaire chronique, fibrosite, encéphalomyélite myalgique. Le terme actuel est « syndrome polyalgique idiopathique diffus » ou SPID. Notons ici l’adjectif psychogène et le préfixe « idio » signifiant que la cause est inconnue. Enfin un aveu.

La fatigue, les troubles d’attention et de concentration ont été confondus avec le syndrome de fatigue chronique, désormais indépendant de l’hystérie.

Les psychiatres ont modifié l’hystérie en « syndrome de conversion » pour signifier la conversion d’un trouble psychiatrique en trouble physique. Un élégant aveu d’ignorance.

La médecine moderne a tenu à dissocier les convulsions de l’hystérie de celles de l’épilepsie, car l’électroencéphalogramme est toujours normal. EIles ont été nommées « crises non-épileptiques psychogènes » ou CNEP. Encore du psychogène.

Le dernier manuel du parfait psychiatre a rassemblé cet ensemble disparate sous le terme générique de trouble neurologique fonctionnel ou TNF. « Fonctionnel » peut être considéré comme synonyme de « psychogène » ou « idio », en moins explicite !

L’hystérie a désormais une explication savante : anomalie de fonctionnement du système nerveux central caractérisée par une altération de transmission de l’information entre les régions cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle et la représentation de soi d’une part et le système moteur et sensitif d’autre part. Émouvante synthèse.

Ne doutons pas que les mots et classements des symptômes hystériques vont encore changer pour notre bonheur littéraire, car la sémantique de l’ignorance est toujours plus poétique que celle de la connaissance. Tout particulièrement en médecine.

Bibliographie

Santé et PIB

lundi 25 septembre 2023

Depuis la révolution industrielle, nos progrès se mesurent à l’aune du PIB qui augmente parallèlement aux biens, techniques et services dont disposent les citoyens pour améliorer leur confort, leur éducation et leur santé. Cet indicateur financier est aussi un bon indicateur sanitaire. En effet, dans la majorité des pays, la santé objective de la population s’améliore lorsque le PIB augmente. La règle s’applique également au niveau individuel : l’état de santé est meilleur chez les individus les plus favorisés économiquement.

Pourtant, depuis quelques années, plusieurs études suggèrent que les perceptions subjectives de santé et de bonheur ne sont plus corrélées au PIB. Les enquêtes des économistes Richard Easterlin et Amartya Sen révèlent que la perception de bonheur et de santé n’augmente plus, voire diminue, lorsque le PIB augmente. Ces études ont été contestées, car au niveau individuel, la corrélation entre statut économique et santé reste forte.

Mais ces querelles sont d’un autre âge, car l’augmentation des inégalités sociales dans tous les pays, riches ou pauvres, vient rebattre les données, tant au niveau populationnel qu’au niveau individuel.

D’une part la subjectivité de bonheur varie en fonction des différences perçues en comparaison avec ses concitoyens. Être pauvre et malade semble plus supportable dans un environnement pauvre qu’en étant entouré de riches en bonne santé.

D’autre part, la santé et le bonheur se dégradent également de façon objective, pour toutes les classes sociales, malgré l’augmentation du PIB. Les raisons en sont variées.

Si l’obésité et le tabagisme sont classiquement liées à la misère, l’alcoolisme, les addictions, le diabète, les troubles mentaux et psychiatriques sont en constante augmentation dans toutes les classes sociales. Les toxiques environnementaux touchent toutes les classes, même si les défavorisées y sont souvent plus exposées. Le coût social et financier de ces maladies est si élevé qu’il annule tous les gains de croissance des dernières décennies.

Les dépistages dégradent la santé subjective, mais la surmédicalisation et la pathologie iatrogène qu’ils entraînent dégrade aussi la santé objective. Ce phénomène paradoxal concerne davantage les riches, plus enclins aux dépistages et plus asservis aux soins. Son coût social et financier est également très élevé et annule les gains de PIB.

 Enfin, l’éducation des parents, classiquement protectrice contre la mortalité et la morbidité infantile, contribue désormais à dégrader la subjectivité de bonheur, car l’anxiété face au désastre écologique est transmise par l’éducation, particulièrement dans les classes favorisées. Cette éco-anxiété entraîne un cortège de troubles psychosomatiques, voire psychiatriques débutant de plus en plus jeune.

De toute évidence, le PIB n’a plus d’impact, ni sur la santé subjective, ni sur la santé objective. Osons même affirmer que la décroissance sera bientôt le meilleur moyen d’améliorer les indicateurs sanitaires. 

Références

Psychosocial ferroviaire

mercredi 6 septembre 2023

Nous nous souvenons plus souvent des trains qui sont arrivés en retard que de ceux qui sont arrivés à l’heure. Comme nous tous, j’ai probablement tendance à exagérer ma statistique personnelle, mais je crois pouvoir affirmer que 20% de mes voyages ont subi des retards notables.

Notre pays, pionnier du réseau ferré et de la grande vitesse, voit cet avantage historique annulé par le nombre de grèves de cheminots. Néanmoins, je ne comptabilise pas ces mouvements sociaux dans mes griefs de retard, car ils ont une forme de noblesse qui m’interdit de les inclure dans ma statistique grincheuse. D’ailleurs, ils ne s’évaluent pas en heures, mais en jours, semaines, voire mois. Ils sont donc hors-catégorie.

Lors de mon dernier voyage en TGV, un mort trouvé sur la voie a nécessité une enquête sur place qui a bloqué le trafic pendant 5 heures. L’année dernière, c’était un suicide qui avait provoqué un retard similaire.  Quelques années auparavant, c’était un sanglier qui avait franchi les clôtures de la voie sans idée préconçue de suicide. Un ami vient de vivre la même aventure avec un cerf. Il serait cependant mesquin d’accuser la SNCF d’écocide involontaire. Et puisqu’il est question d’écologie, notons que des écologistes extrémistes sabotent régulièrement des caténaires pour protester contre une nouvelle ligne ou pour en réclamer une dans un désert ferroviaire. Les écologistes aiment aussi bloquer les gares qu’ils partagent volontiers avec des extrémistes de droite et des grévistes sans affinité ferroviaire. Les djihadistes s’en prennent plutôt aux voyageurs et sont à l’origine de retards mémorables.

Venons-en à la médecine et à la santé, mes sujets de prédilection. Au total, mes proches ont vécu cinq retards importants pour l’évacuation sanitaire de trois embolies et deux AVC survenus dans leur train. La psychiatrie n’épargne pas nos réseaux ferrés, puisque trois de mes amis ont eu à faire à des psychotiques en phase délirante qui avaient actionné le signal d’alarme

Récemment, une locomotive a été bloquée en gare de Lyon, car une chatte gestante s’était réfugiée dessous. Des membres de la SPA ont exigé son évacuation douce. Douceur qui a nécessité deux heures de diplomatie féline.

Quant aux phénomènes météorologiques qui perturbent régulièrement le réseau ferré, il est difficile de désigner des responsables. On pourrait reprocher à la SNCF de n’être pas assez prévoyante, mais il faudrait aussi accuser toute l’humanité qui est en partie responsable de ces évènements climatiques extrêmes. Décidément, beaucoup d’extrémismes, d’incuries et d’idéologies convergent vers nos trains.

Mes propos dissimulent assez mal un agacement de citoyen voyageur. Je me dois donc d’y adjoindre une question philosophique : à partir de quel niveau de complexité psychosociale il n’est plus ni nécessaire ni rentable d’investir dans le progrès technologique ?

Je vous invite à y réfléchir pendant vos prochaines heures d’attente dans un train bloqué…

Référence

Artisanat clinique

vendredi 18 août 2023

Il existe une différence subtile entre un symptôme et un signe clinique. Le symptôme est vécu comme tel par le patient, alors que le signe clinique est découvert par le médecin. La douleur du pharynx est un symptôme, la rougeur des amygdales est un signe clinique ; la constipation est un symptôme, le fécalome est un signe clinique ; la paralysie est un symptôme, l’aréflexie est un signe clinique. Le vomissement et la diarrhée sont des symptômes, la persistance du pli cutané est un signe clinique de déshydratation. 

En dehors de toute radio ou analyse, la pratique clinique consiste à décrypter les symptômes et à détecter les signes cliniques. Un clinicien peut déceler l’intensité d’une douleur passée ou d’un délire par la gestuelle de leur narration. L’oméga mélancolique était décrit par Darwin comme un signe facial de dépression. L’écologie comportementale nous apprend que les mimiques de la douleur sont d’une étonnante constance et ne trichent pas.

Nombreux sont les médecins qui émettent déjà des hypothèses sur le motif de consultation avant même que le patient ne soit assis en face d’eux. D’autres évaluent la gravité d’une douleur abdominale infantile en scrutant les échanges de regard entre la mère et l’enfant.

Certains signes cliniques résultent d’une pratique longue et attentive. Par exemple, le bâillement n’est pas contagieux chez les autistes. L’incapacité à percevoir les sarcasmes est un signe précoce de la maladie d’Alzheimer. La réapparition des réflexes archaïques est aussi un signe de démence sénile. L’impression d’être espionné est un signe pathognomonique (caractéristique) de la schizophrénie. La force de la poignée de main associé au bonjour aide à établir le pronostic d’une dépression.

Le xanthelasma (dépôt cutané d’esters de cholestérol), la calvitie précoce et le signe de Frank (pli diagonal du lobe de l’oreille) sont d’excellents prédicteurs de risque cardio-vasculaire. L’estimation de l’âge biologique en dix secondes est le meilleur prédicteur du risque de fracture ostéoporotique. L’arrêt spontané du tabac chez un gros fumeur de longue date est un signe en faveur d’un cancer du poumon à son début.

Comment un spécialiste peut-il comprendre un malade qu’une secrétaire a fait déshabiller et qu’elle a installé sur la table d’examen sans que le praticien n’assiste à ce cérémonial ? Comment un vrai clinicien pourrait-il envisager une hypothèse diagnostique s’il n’a pas vu le patient arriver, s’il ne lui a pas serré la main et ouvert la porte, s’il ne l’a pas vu s’asseoir, s’il n’a pas vu la gestuelle du premier mot de sa narration, s’il ne l’a pas vu évoluer dans la salle de consultation ?

L’expertise clinique est celle du tourneur qui éprouve le fil du bois, celle du musicien qui transpose une partition à vue, celle du maçon qui évalue une fissure.

La promotion des hospitalo-universitaires se fait sur le nombre de leurs publications, pas sur leur expertise clinique ; il est logique qu’ils ne sachent ni ne veuillent vraiment l’enseigner.

Références

Électronique embarquée

jeudi 3 août 2023

Les prothèses font partie des grands apports médico-chirurgicaux à la qualité de vie. Les prothèses dentaires d’Egypte semblent être les plus anciennes. Les lunettes de vue ont commencé à se généraliser au bas Moyen Âge. Les cornets acoustiques ont suivi, achevant de pallier trois déficiences de notre espèce.

La jambe de bois est probablement la première prothèse orthopédique, déjà mentionnée dans l’Antiquité, les pirates l’ont rendue célèbre. Les prothèses actuelles sont miraculeuses, au point d’éradiquer les boiteries.

La première cornée synthétique date de la Révolution française. Ce n’est qu’en 1950 que furent implantés les premiers cristallins en plastique, alors que l’opération de la cataracte était pratiquée depuis 4000 ans.

Le rein artificiel date des années 1940, a permis la survie de nombre de patients. Le cœur artificiel n’a pas encore fait ses preuves, mais les valves cardiaques prothétiques ont permis de belles survies. Enfin, l’électronique prothétique a été banalisée en 1958 avec le fameux pacemaker.

Ces audacieuses prouesses ont fait gagner des millions d’années de quantité-qualité de vie pour un coût dérisoire.

Après les années 1980, la rentabilité des prothèses a chuté brutalement, comme beaucoup de fulgurants, brillants et coûteux progrès technologiques à faible rentabilité sanitaire.

L’électronique ajoutée à certaines prothèses orthopédiques a permis de légères améliorations à un coût prohibitif. Les promoteurs d’un exosquelette supposé améliorer la marche après un AVC ne se préoccupent pas de vérifier l’absence d’un feed-back négatif pour la récupération cérébrale. Quant à la prothèse vocale électronique pour laryngectomisés, il faut beaucoup d’enthousiasme pour croire qu’elle aidera quelques vieux fumeurs. Pour l’audition, des implants cochléaires sont proposés, ils visent aussi le gros marché des acouphènes. La circonspection s’impose.

L’audace électronique est désormais sans limites. Une gélule électronique prétend pouvoir stimuler la faim chez les anorexiques. Il faut donc prévoir une augmentation du marché de l’obésité, en attendant l’électronique capable de diminuer l’appétit. L’idéal serait une gélule équipée d’un bouton on/off manipulable depuis son smartphone. Pour l’autre extrémité des intestins, une capsule vibrante est proposée pour traiter la constipation. Si, si.

Un implant électronique de la taille d’un grain de sable peut mesurer les taux sanguins de sucre, cholestérol et diverses protéines et les transférer via bluetooth à un ordinateur. Je vous laisse imaginer l’excitation de ces patients et médecins devant cette communion biologique et électronique. Rectifions cependant les propos de ces transhumanistes béats : les prothèses n’ont pas « augmenté » Homo sapiens, elles ont simplement compensé – parfois avec brio – certaines de ses déficiences.

Toute cette électronique embarquée n’apportera rien à la santé publique. Quant à l’aspect écologique, il faudra prévoir du recyclage dans les chambres funéraires.

bibliographie

Vieux contre jeunes

mardi 27 juin 2023

De vieux militaires de la junte birmane oppriment leur jeunesse pendant que des ayatollahs cacochymes d’Iran tuent les filles dont le jeune visage les trouble. Tant d’autres pays entravent l’avenir des jeunes, car leurs gérontocrates assimilent la perte de pouvoir à la mort qu’ils redoutent.

Depuis la tentative de coup d’état du vieux et libidineux Trump, je crains que nos démocraties européennes ne soient plus épargnées par ces tyrannies de la sénescence.

J’espère que notre pays, encore capable de renouveler ses dirigeants, saura préserver sa jeunesse, d’autant plus précieuse que la pyramide des âges la montre de plus en plus rare.

Pourtant, si je m’en tiens au domaine médical, je dois constater que les pratiques sont dangereusement déviées vers la gériatrie au détriment de la jeunesse. Que ce soit dans les préoccupations de recherche ou les allocations de budgets, les séniors semblent avoir toujours la priorité.

La neurologie est dominée par des recherches débridées sur la maladie d’Alzheimer alors que les recherches sur les causes environnementales de l’autisme manquent d’audace et de finances.

Les cancers des âges avancés bénéficient de budgets faramineux en regard de la médiocrité des gains sanitaires. Les mêmes sommes investies pour de plus jeunes patients dans tous les autres domaines du soin seraient dix fois plus rentables.

Malgré les polémiques pour savoir si le coût de la dernière année de vie représente 40%, 60% ou 80% du budget de la Sécurité Sociale, le même pourcentage consacré à la protection maternelle et infantile serait meilleur pour notre avenir sanitaire et pour l’avenir de notre pays en général. Propos scandaleux ! Il faut en effet consacrer autant d’argent à la protection des premières que des dernières années de vie. Hélas, le réalisme montre que nous n’en avons plus les moyens et que le détriment revient aux plus jeunes.

L’argument de problèmes de santé plus nombreux avec l’âge n’est pas pertinent si l’on inclut la santé psychique. Et si l’on tient à considérer la sénescence comme une maladie, il convient alors de mesurer le rapport coût/bénéfice de nos actions pour constater qu’après 75 ans, l’intervention médicale est plus souvent délétère que bénéfique.

Le covid a apporté une preuve éclatante de cette déviation des préoccupations sanitaires. La moyenne d’âge des décès y était de plus de 80 ans. Pour limiter cette létalité, presque tous les pays ont adopté des mesures qui ont rapidement dégradé la santé mentale et psychique des jeunes. Erreur excusable au début d’une pandémie inconnue, mais impardonnable après que l’impact sur la jeunesse a été clairement établi.

Addictions, obésité et prématurité sont de nouveaux fléaux de début de vie. Ils ne nécessitent ni recherche ni médicaments, car leurs causes environnementales sont bien connues. Chaque centime investi dans leur prévention est mille fois plus rentable que toute réanimation pour virose respiratoire, et de surcroit, améliore l’espérance de vie.

Référence

Avant de débrancher l’IA

vendredi 16 juin 2023

Les géants du numérique se lancent dans l’intelligence artificielle (IA) dont ils pressentent le potentiel de rentabilité. Ils ont commencé de grandes campagnes de communication en utilisant un procédé régulièrement utilisé par le marketing pharmaceutique. Procédé qui a largement fait ses preuves, consistant à parler en amont d’un problème important à reconsidérer, sans jamais évoquer le produit qui sera bientôt proposé sur le marché pour le résoudre. C’est le « condition branding » ou « unbranded campaign » qui consiste à parler de la migraine, de la ménopause, de l’allergie, de l’ostéoporose ou de l’anxiété, de décrire leurs terribles conséquences, tout en déplorant leur sous-diagnostic, pendant qu’un médicament est en fin de développement ou en voie d’approbation.  Lorsque le produit arrive sur le marché, les utilisateurs potentiels ont déjà la carte vitale et la carte bancaire prêtes pour le miracle.

La communication sur l’intelligence artificielle franchit un autre cap. Inutile de continuer à vanter les services que son développement pourrait rendre à l’humanité, car la majorité est déjà convaincue de son intérêt dans de nombreux domaines. Il faut surtout prévenir de tous ses dangers et réfléchir aux moyens de les prévenir. La liste des périls envisagés est très longue. L’IA pourrait passer aux mains de complotistes ou de dictateurs. Elle pourrait pénétrer notre intimité, supprimer de nombreux métiers, annihiler notre pensée et nos recherches. L’IA pourrait aller jusqu’à supprimer l’élan vital et l’instinct de survie. Bref, elle pourrait asservir toute l’humanité. Rien que ça !

Sans trop disserter sur ces conjectures, commençons par constater que Trump, Poutine, Prigojine ou Bolsonaro sont des intelligences naturelles que les pires IA ne sauraient égaler.  

Cette communication débridée évoque aussi la possibilité que l’IA puisse acquérir une conscience équivalente à la conscience humaine. Ne dissertons pas davantage sur la définition de la conscience ni sur son support biologique ou biographique. Réjouissons-nous plutôt à l’idée que la conscience artificielle ne sera jamais perturbée par les amphétamines, le cannabis, l’alcool, la cocaïne, les antidépresseurs, les opiacés et autres drogues licites ou illicites qui ont causé tant de drames et de barbaries et sont devenues la première cause de mortalité directe et indirecte.

Les médias relaient quotidiennement cette communication dictée par les géants du numérique. Sans véritablement avoir « conscience » – le mot est toujours ambigu – que les messages sur les dangers de l’IA sont aussi porteurs en termes mercatiques que ceux sur ses bénéfices. Qui peut le pire est certainement capable du meilleur.

Mais si l’IA devenait vraiment plus dangereuse que Staline, Ben Laden ou Amin Dada, nous possédons un moyen de défense que nous n’avions pas face à ces cerveaux biologiques culturellement dévoyés, il nous suffirait en effet de débrancher la prise électrique.

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Saga des marqueurs cardio-vasculaires

lundi 5 juin 2023

Les facteurs de risque cardio-vasculaire tels que le tabagisme ou l’obésité sont établis depuis longtemps. Mais nos impératifs de progrès ont négligé ces facteurs triviaux pour en proposer de plus biologiques tels que LDL, HDL, NT-proBNP, BNP, CRP, autant de sigles définissant des molécules dont le taux varie selon l’état du cœur et des vaisseaux.

Pendant longtemps, les deux cholestérol (HDL et LDL) ont régné sur ces marqueurs. Mais, depuis une vingtaine d’années on a compris que l’inflammation, évaluée par la CRP, jouait un rôle important dans les maladies cardio-vasculaires. Même l’insuffisance cardiaque dont le diagnostic clinique est évident possède désormais ses marqueurs (NT-proBNP, BNP).

Jusqu’à ce qu’un groupe de 60 chercheurs internationaux, inquiets de ce genre de dérive, réalisent une méta-analyse portant sur 165 000 sujets et concluant au peu de significativité clinique de ces marqueurs. D’autres études ont montré que de vieux marqueurs de l’inflammation tels que la NFS et la VS pouvaient suffire. Cent autres ont montré que l’accumulation de ces marqueurs apportait peu de précision clinique et que leur utilisation dans les essais cliniques était souvent abusive et peu rigoureuse.

Certaines statistiques sont allées jusqu’à critiquer la validité même des marqueurs. Dans l’insuffisance cardiaque, un taux élevé de cholestérol semble associé à une meilleure survie. Chez les patients coronariens trop de « bon » cholestérol devient néfaste. Quant au mauvais cholestérol, il ne serait ni le meilleur marqueur de risque, ni la meilleure cible thérapeutique.

Mais comme rien ne peut empêcher le progrès, en 2020, des chercheurs ont proposé quatre marqueurs pour prédire le risque de mort subite (réservés aux patients adeptes de sensations fortes). 

Ces polémiques, inhérentes à la variabilité biologique et à l’imprévisibilité clinique, sont parfois amusantes, et le sont plus encore les études qui constatent naïvement que les marqueurs biologiques rejoignent le bon sens clinique. Par exemple, un régime alimentaire riche en fruits pendant 8 semaines suffit à faire baisser plusieurs de ces marqueurs de risque. Qui l’eût cru ? Ou que l’augmentation des N-glycanes, eux-mêmes liés à la consommation de sucre sont de bons prédicteurs du risque cardio-vasculaire. Comme c’est étrange ! Ou que le manque de sommeil augmente les taux de CRP. Comment diable est-ce possible ? Ou que les gamma GT, marqueurs d’alcoolisme sont aussi de bons marqueurs de risque cardiovasculaire. Quelle surprise ! Cette science naïve a découvert la résistine, une protéine qui augmente en cas d’obésité, d’inflammation et d’athérosclérose, et qui marque le lien entre ces trois états. Comme cela est inattendu !

Certains osent désormais simplement démontrer que l’exercice physique prévient l’hypertension, l’insuffisance cardiaque et tous les risques, même lorsque les marqueurs sont mauvais.

Il y a deux façons de pratiquer et de consommer la cardiologie : avec ou sans marqueurs.

Bibliographie

Unique invulnérabilité

mercredi 24 mai 2023

Il faudrait une encyclopédie en 20 tomes pour simplement énumérer la liste des biais des études diffusées par les industries alimentaires et pharmaceutiques. Il en faudrait dix fois plus pour la liste des liens déclarés entre leurs dirigeants et les leaders d’opinion de la nutrition et de la médecine et cent fois plus pour leurs conflits d’intérêts non déclarés. Peu importe si je surestime ou sous-estime le nombre de tomes, les faits sont bien connus de ceux qui observent ces deux domaines où la manipulation est particulièrement aisée.

Mais le véritable problème est ailleurs, il réside dans le fait que les prescripteurs n’ont pas conscience des influences qu’ils subissent.

On nomme « illusion d’unique invulnérabilité » le fait que chaque prescripteur est convaincu qu’il n’est pas influencé par ces études à visée promotionnelle.

Depuis les années 1990, ce biais cognitif a été mis en évidence par plusieurs grandes enquêtes auprès des étudiants, médecins et universitaires. Seulement 1% des médecins pensent que le marketing pharmaceutique influence leurs prescriptions et 60% à 80% pensent qu’il influence les prescriptions de leurs confrères. Les plus nombreux de ces auto-déclarés invulnérables étant les universitaires et plus encore les leaders d’opinion notoirement soumis à l’industrie.

Comme je me sentais moi-même invulnérable à toute propagande, je ne comprenais pas pourquoi les publicités pour les médicaments, les voitures, les parfums, les assurances, les banques et les lessives envahissait mes médias préférés. Maintenant que je sais que 80% de mes concitoyens y sont sensibles, j’en conclus qu’elles ne sont destinées qu’à eux. Pas à moi, c’est évident !

La plupart des médecins nient que les cadeaux influencent leurs prescriptions et plus ils en reçoivent, moins ils sont enclins à croire que cela a un effet sur leurs ordonnances.

Les financements de congrès et de recherches augmentent les pressions des universitaires sur les autorités pour autoriser la mise sur le marché d’un complément alimentaire ou d’un médicament indépendamment des résultats d’études. L’exposition aux délégués médicaux diminue la capacité à reconnaître des allégations inexactes concernant les médicaments.

Les innombrables études dénonçant les biais et manipulations n’ont jamais réussi à modifier les habitudes de prescriptions médicales. Ces nouvelles enquêtes réussiront-elles à ébranler les prescripteurs dans leur intime conviction d’invulnérabilité ?

Il est probable que non, la majorité des leaders d’opinion ont certainement la capacité de convaincre que ces enquêtes sont biaisées et n’ont aucune valeur. Car, dans la promotion pharmaceutique ou agro-alimentaire, rien n’est plus redoutablement efficace qu’un biaiseur – l’orthographe est importante – qui s’attaque aux biais.

Bibliographie

Manipulation mentale

mardi 16 mai 2023

Comparée à l’hypnose, la manipulation mentale détruit le libre-arbitre de façon plus durable, voire irréversible. La manipulation mentale n’est pas un conditionnement de type pavlovien. Enfin, elle n’a rien de commun avec le chamanisme et ses transes avec ou sans drogue comme le bwiti gabonais et le vaudou haïtien.  

La manipulation mentale est bien plus complexe que tous ces réflexes comportementaux ou conduites grégaires, car elle utilise une infinité de ressources psycho-sociales et neurophysiologiques.

Mais elle est aussi très simple en ce sens qu’elle est un corollaire et une constante de la vie en société. La séduction amoureuse, les discours politiques, la publicité et l’effet placebo en sont les formes à la fois les plus élémentaires et les plus efficaces, puisque nul ne peut y échapper. Les formes extrêmes sont exprimées dans les sectes où les manipulateurs parviennent à pervertir tout le système cognitif jusqu’à ce que l’autosuggestion des manipulés devienne plus efficace que la suggestion des manipulateurs.

D’une manière générale, les manipulateurs en tirent bénéfice, mais une telle banalité n’est répréhensible que si le préjudice aux manipulés est très important. Il faut donc aborder la manipulation mentale comme l’on aborde les médicaments : sous le rapport bénéfices/risques.

Les grands mythes religieux sont de bons exemples de manipulations mentales qui ont permis l’enrichissement de toutes les églises, cependant cela n’est pas répréhensible dans la mesure où les manipulés vivent leur foi et leur appartenance communautaire comme un bénéfice. Inversement, lorsque Dieu demande à Abraham de tuer son fils, lorsque des djihadistes imposent le martyre suicidaire ou lorsque les prêtres abusent sexuellement des enfants de leurs ouailles, le préjudice est énorme.

Lorsque des tribuns biaisent l’information pour asseoir leur pouvoir, le préjudice dépend de l’idéologie et des bénéfices secondaires de chaque manipulé. Mais lorsqu’un dictateur supprime toute information, le préjudice est considérable, car il détériore le système cognitif des manipulés. Dans la même façon que la dissimulation des effets secondaires des médicaments peut conduire à la mort.

Les réseaux sociaux sont un puissant support de la manipulation mentale qui fonctionne d’autant mieux qu’elle s’adresse à des personnes psychiquement fragiles ou de faible niveau d’éducation. Elle touche particulièrement les adolescents qui ont souvent une faible estime d’eux-mêmes et qui sont à l’âge des psychoses, des addictions et des jeux dangereux.

Malgré cette évaluation facile du rapport bénéfices/risques, il n’existe aucun cadre juridique de la manipulation mentale. C’est probablement pour cela que les prêtres pédophiles, les neuro-marketeurs, les gourous abuseurs sexuels, les chimistes dissimulateurs, les dictateurs paranoïaques et les partis complotistes sont de plus en plus nombreux.

La manipulation mentale annonce-t-elle un deuxième moyen-âge ?

Bibliographie