Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Ethnopsychiatrie

mercredi 30 novembre 2022

Ni les citadins cultivés, ni les paysans besogneux de la Chine traditionnelle ne considéraient les troubles mentaux comme des maladies, mais comme des défis à relever dans la vie quotidienne. La nouvelle Chine, celle des entrepreneurs conquérants, s’intéresse aussi à la nosographie psychiatrique de l’Occident. Cependant le diagnostic de dépression est rare, car ce mot reste étranger à la culture médicale. Inversement, les troubles somatoformes y sont très fréquents. Dans un contexte où la souffrance psychique est perçue comme une faiblesse de caractère ou l’effet d’une éducation médiocre, les patients n’ont pas d’autre choix que celui de la somatisation pour chercher de l’aide. Cela s’articule avec la crainte de perdre la face, caractéristique de ce pays.

D’une manière générale les sociétés collectivistes expriment la souffrance par un langage du corps afin de maintenir les liens sociaux. Alors que dans les sociétés plus individualistes, la somatisation diminue au profit de l’expression directe des sentiments.

L’attachement aux traditions, aux communautés et aux structures familiales est un facteur de protection contre les troubles mentaux. Chez les adolescents indiens, la prévalence des troubles de l’humeur et du comportement était très faible ; elle augmente dès que la famille s’estompe. L’évolution des mœurs majore aussi les comportements à risque : addictions, violence et tentatives de suicide.

Les Samoans ont dix fois plus de troubles psychiatriques lorsqu’ils quittent leurs îles pour aller vivre en Nouvelle Zélande, mais ils en ont toujours moins que les Néo-zélandais.

L’augmentation importante de suicides chez les adolescents micronésiens après la guerre a été fortement corrélée à la disparition des maisons communales où ils se livraient à des activités de subsistance pour le village.

En Éthiopie, les rituels et la protection communautaire semblent aussi protéger contre divers troubles de la périnatalité. Le rite d’enterrement du placenta a étrangement montré un intérêt dans la prévention de la dépression du post-partum.

Plus globalement, ce que les anthropologues nomment « consonance culturelle » est favorable à la santé psychique, alors que la « dissonance culturelle » facilite les psychopathologies.

Deux enquêtes de l’OMS ont montré que vivre dans un pays en voie de développement constitue le meilleur critère de prédiction d’une évolution favorable de la schizophrénie

A l’intérieur du même pays, selon que l’on est rural ou citadin, le taux de dépression majeure passe de 8 à 15%.

Les tests neuropsychologiques pour détecter les troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie et l’autisme, ont des résultats variables selon la nationalité, même pour des pays proches et similaires. Enfin, les critères des deux systèmes occidentaux de classement des maladies psychiatriques diffèrent pour 99% d’entre elles.

Ce n’étaient que quelques exemples pour montrer aux chimistes que la psychiatrie n’est pas encore prête pour la mondialisation.

Références

Marketing du hasard et du cancer

jeudi 17 novembre 2022

La science mercatique est la plus achevée des sciences sociales, car elle sait décortiquer les invariants comportementaux de chaque classe. Un tableau ridicule, un yacht à usage portuaire, une psychanalyse pour chien ou un tatouage monstrueux se vendent avec une précision toujours renouvelée. Elle sait aussi exploiter le panurgisme jusqu’à désocialiser ceux qui n’ont pas le jeu vidéo, les chaussures, la barbe ou l’automobile correspondant à leur âge ou leur statut.

La mercatique médicale possède des leviers plus puissants, tels que l’angoisse et la vie éternelle, qu’elle manie avec une virtuosité digne des nonces et des augures de tous les obscurantismes.

Un seul exemple peut suffire. Le 2 janvier 2015, la revue Science publie une modélisation mathématique qui affirme que 65% des cancers sont dus au hasard des mutations cellulaires et très peu à l’environnement et au comportement individuel. Ils vont jusqu’à parler de simple « malchance ».

Toutes les agences de presse en sont informées et les heures de grande écoute sont immédiatement saturées par des journalistes n’ayant pas les moyens de comprendre l’article.

Un an plus tard, en janvier 2016, la revue Nature publie une étude aux résultats opposés : les cancers proviennent essentiellement du comportement et de l’environnement. Elle a peu d’écho, car personne n’aime répéter que le tabac, les UV, les fumées de diesel, les pesticides, les excès de viande et d’aliments transformés sont cancérogènes.

L’article de science avait asséné une vérité connue depuis longtemps ; les tissus les plus touchés par le cancer sont ceux qui ont le rythme le plus élevé de divisions cellulaires (peau, bronches, intestin). Il avait omis de préciser que si les mutations sont hasardeuses, elles n’en sont pas moins soumises aux agents cancérogènes externes. Il avait « oublié » le sein et la prostate. Il avait omis de parler des inégalités face au cancer, par exemple, un ouvrier a 10 fois plus de risque de mourir d’un cancer avant 65 ans. Le hasard est vraiment cruel envers les ouvriers ! Il semble aussi très cruel avec les fumeurs.

Alors, pourquoi tant d’omissions et un tel tapage médiatique pour un article plus mathématique que clinique ?

En février 2018, Science publie un autre article, a priori sans rapport, faisant la promotion d’une nouvelle méthode de détection de cellules cancéreuses par une simple prise de sang. L’écho médiatique est important.

Deux détails interpellent les rares observateurs attentifs. Les deux articles ont été sponsorisés par la fondation du magnat des supertankers, promoteur de la déforestation amazonienne et prosélyte de toutes les industries. Les auteurs sont presque les mêmes et la majorité d’entre eux sont actionnaire de la start-up qui propose ce test.

Un ingénieux marketing en amont, classique en médecine. Si vous voulez contourner la « malchance » en amont du cancer, venez faire notre test. Les gogos seront assurément plus nombreux que ceux des yachts, des tatouages ou du paradis. 

Références

Corrélations de la misère

mercredi 2 novembre 2022

La corrélation entre obésité et précarité est connue. L’indice de masse corporelle des enfants est inversement proportionnel aux revenus des parents. La densité calorique d’un aliment est à l’opposé de son coût. Bien se nourrir coûte 1200 € de plus par an et par personne.

Pour les cancers, les corrélations sont fortes. Les ouvriers ont une mortalité par cancer plus élevée. Les cancers dits « curables » ont un taux de survie obéré par un faible statut. Et il existe un remarquable parallèle entre taux de chômage et mortalité par cancer.

D’autres corrélations sont moins connues. Par exemple, l’augmentation du niveau d’instruction diminue la prévalence des maladies cardiovasculaires. Un statut socio-économique médiocre aggrave le risque de psychose. Même pour les simples rhumes, un statut favorable en diminue le nombre et l’intensité.

Les pics de pollution au NO2 sont rapidement suivis d’une augmentation de la mortalité ; et devinez qui habite dans les quartiers exposés au plus fort trafic automobile.  

Il existe une parfaite corrélation inverse entre la mortalité infantile et l’éducation des mères. Fait surprenant, cela concerne autant les pays riches que les pays pauvres, chaque mois supplémentaire d’école diminue la mortalité infantile.

De faibles revenus pendant la grossesse entraînent des répercussions à long terme ; les adultes issus de ces grossesses ont un niveau de cortisol plus élevé (stress) et de plus faibles réponses immunitaires.

Les femmes pauvres subissent plus de césariennes et allaitent moins leurs enfants, deux faits dont les conséquences délétères sont innombrables et sous-estimées.

Revenons à une plus impeccable corrélation. Celle entre revenus et durée de vie. La pauvreté multiplie par quatre le risque de mort prématurée (avant 65 ans). Une enfance défavorisée double le risque de mort prématurée, et la persistance de ces conditions défavorables à l’âge adulte le double encore. La misère dans les pays riches est plus dure, elle fait perdre 8 ans d’espérance de vie aux hommes et 5,4 aux femmes, alors que dans les pays pauvres le différentiel est de 2,6 ans pour les hommes et 2,7 pour les femmes.

Ceux qui n’aiment ni les corrélations, ni les pauvres, accusent ces derniers de fumer, boire, manger des chips, ne pas faire de sport et trop regarder la télé. Comportements qui ont fait l’objet de savantes publications évoquant la « constellation comportementale de la privation ». C’est certain, les disparités initiales peuvent conduire à des inégalités plus importantes et des boucles de rétroaction peuvent fonctionner sur des générations.

Les causes de mort prématurée proviennent pour 30% de prédispositions génétiques, pour 30% de mauvaises conditions sociales, et pour 40% de conduites à risque.

Aucun doute, l’éducation et les salaires sont les meilleurs leviers du niveau sanitaire.

Le surréalisme biomédical va probablement chercher d’éventuels gènes de prédisposition à la pauvreté et proposer des thérapies géniques adaptées.

Bibliographie

Pollution et fécondité

vendredi 21 octobre 2022

La bibliographie concernant les preuves de l’influence néfaste des pesticides sur la spermatogenèse, la fertilité masculine et la fécondité des couples, est déjà volumineuse. Les perturbateurs endocriniens ont un effet délétère sur les organes génitaux des descendants sur plusieurs générations. Cette connaissance solidement acquise ne modifie guère l’usage de ces produits. Le plus étonnant est qu’elle ne semble pas ébranler le principe même de leur utilisation ; un nouveau produit en détrône un autre, laissant supposer que l’on espère toujours découvrir d’incohérents produits susceptibles de détruire la vie végétale sans affecter la vie animale et humaine.

Il nous était plus difficile de prévoir que la pollution aux particules fines (PM2,5 et PM10) aurait aussi un jour un effet dramatique sur la reproduction en augmentant les avortements spontanés, la mortalité néonatale et la prématurité. On constate une nette diminution du poids de naissance sous l’effet des PM10, mais aussi sur d’autres polluants tels SO2, O3, CO et benzène. La corrélation inverse entre trafic routier et poids de naissance est significative. Les métaux lourds ont des effets similaires sur les avortements spontanés, la prématurité, la mortalité néonatale et l’hypotrophie fœtale.

Les détracteurs des écologistes se réjouiront d’apprendre que ces polluants ne sont pas la principale cause de la baisse de fécondité dans nos pays développés. En effet, la première cause est d’ordre social : c’est l’âge de plus en plus avancé de la première grossesse. Malgré tous nos progrès, nous n’avons pas su modifier la période optimale de fertilité qui reste située entre 18 et 36 ans, tant pour les hommes que pour les femmes, avec un pic à 24 ans. La nature préfère obstinément les jeunes gamètes.

Le phénomène est bien connu dans tous les pays : la croissance économique est toujours accompagnée d’une baisse de la natalité. Lorsque la Chine était pauvre, elle imposait autoritairement l’enfant unique, maintenant qu’elle s’enrichit, elle encourage la natalité. Contrairement aux autres espèces où la disponibilité des ressources détermine la démographie, dans la nôtre, il apparaît que la prospérité ne peut être simultanément économique et démographique.

L’immigration est alors la meilleure solution pour l’avenir démographique des pays où l’infécondité est sociale. Cependant, avec la mondialisation des nuisances, on peut redouter une internationalisation de l’infécondité. Ce qui serait assez préoccupant pour notre espèce.

Les théories catastrophistes en géologie et biologie ont été démenties par Lyell et Darwin. On peut raisonnablement penser qu’elles ne seront pas plus pertinentes en écologie. La vie et la planète subsisteront, les nuisances d’Homo sapiens ne sont catastrophiques que pour lui-même. Il s’agit d’un équilibre de type proie/prédateur particulier puisque la même espèce y joue les deux rôles.

Bibliographie

Scénarios contradictoires

lundi 10 octobre 2022

La biologie de l’évolution essaie de reconstituer les scénarios qui ont conduit à la modification des espèces. La biologie moléculaire étudie les mutations génétiques et leurs conséquences sur les organismes actuels.

Les molécularistes reprochent aux évolutionnistes de raconter de « belles histoires » sans en apporter de preuves, alors que ces derniers reprochent aux premiers de réduire la vie à des codages simplistes sans tenir compte de la complexité des contraintes environnementales.

Les généticiens auraient la tête bien pleine, remplie de preuves, alors que les évolutionnistes auraient la tête bien faite, remplie d’hypothèses.

Bien que les deux domaines se complètent admirablement, l’évolution reste mal aimée depuis que Darwin a osé démanteler les créations de Dieu. La préférence va à la génétique qui montre la perfection divine de l’architecture du vivant.

Quant aux créationnistes, ils se dispensent de théories et de preuves. Tant que leur dogmatisme n’entravait pas la marche de la science et de son enseignement, on pouvait les laisser jouer dans la cour. Hélas, par je ne sais quel truchement, ils reviennent en force dans les ministères de plusieurs pays de l’OCDE, et non des moindres. Est-ce pour cette raison que certaines publications sont fallacieusement claironnées par les médias ?

La plus populaires et la plus solide des théories évolutionnistes est celle de la persistance de la lactase chez les éleveurs de bovins. Une étude récente vient de démontrer que cette tolérance au lait a également été favorisée par les famines et épidémies qui ont frappé l’humanité. Cette étude a été présentée comme contradictoire, alors qu’elle vient tout simplement confirmer la meilleure survie aux famines des populations qui ont eu le lait comme substitut nutritif.  

Lorsque l’on a évalué que le nombre de cellules de notre microbiote était cent fois supérieur à celui de nos propres cellules, notre génétique divine en a souffert. Puis une modélisation a contesté ce ratio en le ramenant à dix ; elle a aussitôt bénéficié d’un large écho médiatique. Pourtant cela ne change rien au fait que nos gènes microbiotiques nous façonnent plus que ceux qui nous ont été divinement attribués !

Une autre théorie évolutionniste très populaire est celle dite « effet grand-mère » pour expliquer l’énigme de la ménopause. Les grands-mères, libérées de la procréation, auraient permis une meilleure survie de leur progéniture en assistant les mères, voire en les remplaçant en cas de mortalité liée à l’accouchement. Chaque fois qu’une hypothèse vient contredire cette « belle » histoire, elle est assurée d’une diffusion en prime time.  La plus cocasse a suggéré que la préférence des hommes pour des femmes plus jeunes a conduit à une accumulation de mutations génétiques nuisibles à la fertilité des femmes plus âgées.

Inutile d’expliquer pourquoi Dieu a créé les hommes avec une préférence marquée pour les femmes les plus jeunes ; il suffit d’en faire un dogme.

Références

Avenir de la prévention

vendredi 30 septembre 2022

Le nouveau ministère souhaite plus de médecine préventive dans les politiques de santé. Bravo.

Notre pays abonde de soins divers, accessibles à la grande majorité, mais il est très en retard dans le domaine préventif. Même pour les vaccins, nous avons dû passer par les obligations, tant l’idée de prévention est étrangère à notre culture d’assitance.  

La prévention est très distincte du soin, la première dépend de l’individu et le second de la médecine. Cette distinction est si fondamentale que le terme de médecine préventive peut être vu comme un contresens. Nous devrions parler d’individualité préventive, laquelle se forge par l’éducation et dépend de multiples traits psycho-sociaux dont aucun n’est du registre de la médecine. L’éducation relève de l’école et de la famille, les traits psycho-sociaux de tout l’environnement à l’exception du médical.

En outre, la médecine confond prévention et prédiction. La prévention consiste à éviter ou retarder des maladies, la prédiction consiste à établir des risques de maladies. Le dépistage de cancers, de cholestérol, d’hypertension artérielle, d’anévrysmes ou d’allèles sont des prédictions théoriques et hasardeuses. Les préventions qui peuvent suivre ces prédictions sont identiques à celles qui les précèdent. Il ne faut fumer ni avant, ni après un cancer, il faut marcher avant et après le cholestérol ou l’hypertension. Quant aux anévrysmes et allèles défavorables, acceptons lucidement nos limites. De plus, ces prédictions sont souvent perverses en laissant supposer qu’une pharmacologie de prévention secondaire dispense de la prévention primaire individuelle, toujours plus efficace.

Non seulement médecine et prévention sont définitivement incompatibles, mais plus forte est la présence médicale, plus faible est la prévention.

Alors pourquoi confier la prévention au ministère de la santé ? Avons-nous été dévoyés au point de considérer que la gestion primaire de notre corps ne peut être confiée qu’à de professionnels ?

Une autre réponse me paraît plus simple. Il est plus facile et beaucoup moins coûteux de proposer des consultations gratuites à 25, 45 et 65 ans, comme cela vient d’être fait, que d’éradiquer le tabac et les sodas, que de diviser par quatre la consommation de viande, que de supprimer les véhicules dans les villes, que de, que de, etc. Chacun a son idée, et toutes sont catastrophiques pour le PIB…

Mes propos sont d’une banale naïveté. Alors, pour être plus effronté, sachant que les bilans et check-up n’ont jamais eu le moindre effet sanitaire, je propose le scénario le plus probable qui suivra ces nouvelles consultations gratuites. On trouvera de plus en plus de cholestérol et de sucre dans le sang, de plus en plus de déficits cognitifs, de syndromes dépressifs, de douleurs négligées, de cellules cancéreuses. Autant de merveilleux marchés supplémentaires pour la prévention pharmacologique secondaire.

Monsieur le ministre, les industriels de la santé ne vous remercieront jamais assez.

Bibliographie

Deuxième fonction du praticien

vendredi 23 septembre 2022

De tous temps, la médecine a tenté d’intervenir dans des situations de maladie et de souffrance. Malgré ce but louable, pendant des millénaires, elle n’a jamais fait mieux que d’accompagner les patients en attendant le verdict de la nature. Elle a même été souvent délétère : saignées, infections puerpérales et thalidomide en sont d’emblématiques exemples.

Puis, après des victoires comme l’anesthésie générale, la césarienne, l’insuline, les vaccins, les antibiotiques, les neuroleptiques, la chirurgie orthopédique, l’héparine ou la cortisone, plus personne n’osa faire la moindre allusion aux médecins de Molière.

La médecine avait rempli sa fonction première d’empêcher les morts évitables et prématurées (définies par leur survenue avant 65 ans).

Mais, comme toute activité humaine, la médecine a sa part commerciale, et doit, elle aussi, développer ses argumentaires. Il lui a été facile d’utiliser ses magnifiques victoires pharmaceutiques, obstétricales et chirurgicales, pour suggérer que tous les tourments du corps et de l’esprit lui revenaient de plein droit. Quel publiciste n’aurait pas abusé d’un tel levier mercatique ?

Cette communication a dépassé toutes les espérances. Les citoyens se font contrôler, dépister, opérer, médicamenter avant d’avoir la moindre plainte. Chacun trouve normal de se voir attribuer une maladie dont il n’a pas la moindre conscience et ne ressent aucun symptôme. Ces excès marchands découlent de prouesses technologiques capables de révéler tous les marqueurs des maladies qui finiront par nous tuer. Les marchands d’avion, de béton ou de poissons, contraints à une perfection immédiate et durable, bavent de jalousie devant les marchands de santé libérés de toute garantie envers leurs consommateurs.

Ces réflexions ne seraient qu’un amusement de philosophe, si cette nouvelle médecine sans contrainte ne devenait l’activité principale des médecins de toutes spécialités. Tant que ce commerce ne nuit pas à la santé, le clinicien n’a pas de raison d’intervenir, car le commerce est un accord entre producteur et consommateur. Le clinicien n’a pas à fustiger les marchands de tabac, mais à fournir une information éclairée aux fumeurs.

Hélas, les bien portants étant désormais la première cible commerciale de la médecine, et les morts non-prématurées son principal sujet d’acharnement, la pathologie iatrogène a fini par devenir une cause majeure de mortalité. Le praticien est alors confronté à un nouveau défi : évaluer le rapport bénéfices/risques de ces nouvelles activités médicales. Cela est excessivement difficile, source d’informations contradictoires, voire de désinformations. 

Parvenir à fournir aux citoyens une information éclairée sur ce point sera assurément la deuxième grande fonction du praticien. C’est aussi le seul véritable espace de progrès de la médecine après ses succès historiques.

Sans parler de la difficulté qu’auront les médecins à scier leur branche, je vous laisse deviner l’imbroglio épistémologique qui se prépare…

Référence

Comprimés pour non-alcooliques

mardi 6 septembre 2022

Nathalie a cinq ans, des cheveux bouclés et un visage d’ange.  

Sa mère me consulte un jour, et au prix d’une énorme souffrance, elle libère ses mots et ses sanglots. Elle commence par vanter les qualités de son mari, bon père et bon travailleur. Tout serait pour le mieux sans des épisodes d’alcoolisme aigu à un rythme qu’elle dissimule, mais qui me parait plus que mensuel.

Quand il boit, c’est terrible docteur. Il arrive le soir avec un visage différent ; il y a de la folie dans son regard. Il ne regarde même pas la petite. Il se précipite sur moi, et sans explications, sans motifs, il commence à me frapper. J’essaie de le calmer, mais rien n’y fait. Rien ne l’arrête, même pas les hurlements de Nathalie. Il me frappe sans pouvoir s’arrêter. Heureusement il ne touche jamais Nathalie. J’arrive à me défendre, je prends Nathalie dans les bras et on s’en va en courant et en pleurant.

Elle a dû réfléchir longuement avant de déverser ce flot de confidences. Elle poursuit.

Au bout de quelques heures, je reviens à la maison. Tout est fini, il embrasse Nathalie, il s’excuse, il me prend dans ses bras. Je retrouve mon mari, comme je l’ai connu. C’est insensé, c’est incroyable, ça doit être le vin ou les hormones. Je suis fatiguée docteur, je n’en peux plus, je ne dors plus, donnez-moi un tranquillisant.

J’essaie de lui expliquer que c’est son mari qu’il faut soigner, pas elle.

Deux mois plus tard, elle m’appelle en urgence. Nathalie vient de tomber de la fenêtre du deuxième étage. Elle ne va pas trop mal, elle a apparemment une cheville et une clavicule cassées. En attendant l’ambulance, les parents tentent d’exorciser les causes de l’accident. Ils commençaient à se disputer à cause du vin, Nathalie jouait tranquillement près de la fenêtre. Quand ils l’ont aperçue sur le rebord, ils se sont précipités en criant tous les deux, mais il était trop tard pour la retenir.

Je regarde la fenêtre et sa balustrade. Aucun enfant de cinq ans ne peut franchir les deux obstacles par la seule étourderie de son jeu. On a des idées bizarres à cinq ans pour forcer son père à se soigner.

La biologie des mammifères peut expliquer la polygamie et l’adultère, car les mâles ont la possibilité de répandre leurs gènes pour un coût dérisoire. La culture a fortement modéré cet héritage biologique. Cependant, aucune biologie ne peut expliquer les violences hors viol et les féminicides envers une partenaire susceptible de porter notre progéniture. Seul l’alcool peut être pourvoyeur de ces violences gratuites.

Lorsque j’ai revu Nathalie à l’adolescence, son visage était moins angélique, ses parents s’étaient enfin séparés. Elle me fit part de ses problèmes affectifs, et plus discrètement de ses difficultés sexuelles. Elle semblait ne pas avoir eu le bonheur improbable de la résilience et me demanda des comprimés pour sa dépression.

Le commerce de l’alcool alimente celui des psychotropes, bien qu’aucun comprimé ne puisse corriger les erreurs matrimoniales et les blessures de l’enfance.

Privation de connaissances

mardi 16 août 2022

La domination du marché sur la recherche et la pratique médicales pose des problèmes encore plus graves que ceux de la sélection des thèmes ou de la manipulation des résultats. En voici quelques exemples.

Pour faciliter sa communication, donc le marketing, le marché raisonne toujours en monofactoriel : cellule cancéreuse = cancer, cholestérol = accident vasculaire, protéine tau = Alzheimer, manque de sérotonine = dépression, etc. Ce réductionnisme, au sens épistémologique du terme, est également réducteur sur les processus cognitifs des chercheurs et universitaires, souvent à leur insu, en diminuant leurs facultés de mise en perspective clinique ou historique.  

L’obsession pharmacologique sur ces facteurs, artificiellement isolés, entraîne des conséquences bien plus fâcheuses que celles d’éventuels effets indésirables. La principale est d’amputer la connaissance de l’histoire naturelle de nos symptômes, troubles et maladies.

Tout en nous réjouissant des énormes progrès de la médecine sur les plus graves maladies, tout en évitant un passéisme désuet qui voudrait s’en tenir au célèbre aphorisme d’Hippocrate natura medicatrix, il nous faut néanmoins constater que faire progresser la connaissance sur notre complexion physiologique et physiopathologique est de plus en plus difficile, voire impossible.

Il n’est plus possible de connaître l’évolution naturelle d’une virose respiratoire sans anti-inflammatoires, voire sans antibiotiques théoriquement inefficaces. Il n’est plus possible d’observer passivement l’évolution d’une petite tumeur, même chez une personne âgée ; l’interventionnisme a transformé cette passivité en un risque juridique. Il n’est plus possible de connaître l’efficacité des thérapies comportementales sur les douleurs, car il n’existe plus de douleurs vierges d’antalgiques, y compris chez les enfants.

D’ailleurs, les thérapies comportementales de tous types ne peuvent plus faire l’objet d’études comparatives sérieuses et menées à terme, puisque le seul fait de mettre sur le marché un médicament dans une indication donnée, a pour conséquence immédiate de dévaloriser tout autre type de thérapie. La mercatique n’a pas eu à déployer de grands efforts de communication auprès de nombre de médecins et patients, pour les convaincre que la chimie sera plus efficace sur la douleur, la tristesse ou l’athérosclérose que le yoga ou la marche.

Le biopouvoir marchand, la consommation effrénée et l’évolution des pratiques médicales sont devenues les principaux freins aux progrès de la connaissance clinique et thérapeutique.

Faut-il s’en émouvoir davantage que des autres régressions cognitives liées à la suprématie du marché sur nos comportements ? Sans doute pas, mais ayant un penchant naturel pour la médecine et le soin, je suis triste de savoir que mille connaissances en ces domaines me sont désormais inaccessibles.

Référence

Maltraitance immunitaire

mercredi 3 août 2022

Dans le domaine de l’immunologie, les médecins se doivent d’afficher une certaine modestie. Certes, les grandes fonctions du système immunitaires sont théoriquement connues ainsi que la plupart de ses composants cellulaires et humoraux. Mais ces brillantes découvertes ne suffisent pas à la compréhension clinique des déficiences immunitaires, des maladies auto-immunes et des phénomènes plus complexes d’hyperimmunité ou d’anaphylaxie.

En médecine, l’ignorance est pardonnable, pas le fait d’en être insouciant. C’est assurément en immunologie que l’histoire de la médecine est la plus riche d’anecdotes de mandarins téméraires, ignares de leur ignorance.

Ce système, essentiellement constitué de protéines et cellules circulantes, était logiquement peu accessible à l’observation. Il possède cependant des organes bien solides tels que la rate, les ganglions, la moelle osseuse, le thymus, les amygdales et l’appendice, qui malgré leur visibilité sont restés tout aussi longtemps inaccessibles à la raison.

L’histoire la plus cocasse est celle du thymus. Dans les années 1920, des pédiatres américains, constatant que les enfants souffrant de rhino-pharyngites fréquentes avaient de gros thymus, proposèrent de détruire cet organe par irradiation. Prétextant que ces gros thymus pouvaient être responsables de gênes respiratoires ou circulatoires, voire de mort subite, les radiologues irradièrent des milliers d’enfants. La mortalité élevée de ces victimes du zèle médical obligea à cesser le massacre des thymus avant de découvrir que les lymphocytes y acquièrent leur compétence immunitaire (on les nomma alors lymphocytes T en référence à cet organe vital).

Ce drame n’empêcha pas d’extraire par la suite des millions d’amygdales, d’appendices ou de végétations, sans se poser plus de questions. Ces extractions, quoiqu’inutiles dans plus de 95% des cas, entraînaient heureusement des conséquences rarement aussi catastrophiques que celle du thymus.

Les médecins n’aiment décidément pas les organes du système immunitaire, et plus généralement, les organes dont les fonctions ne sont pas encore toutes connues. J’admire tant les prouesses de la chirurgie qu’il m’est douloureux de constater que le bistouri sert parfois de cocarde aux ignorants et aux hyperactifs.

L’histoire ne s’arrête pas pour autant. L’immunologie reste aujourd’hui le meilleur terreau de l’ignorance. Ses liens vraisemblables avec le psychisme sont d’une obscurité qui me fait redouter le pire…

Plus pittoresque encore est le déni du vieillissement du système immunitaire, lequel semble être officiellement devenu le seul système capable d’échapper à la sénescence. On prône la vaccination ad libitum des personnes dont l’immunité est aussi ridée que leur peau et aussi rouillée que leurs articulations. Fort heureusement, cela semble sans danger. Tant pis si c’est juste inutile et ridicule, et témoigne d’un constant manque de lucidité sur l’histoire des relations tumultueuses des médecins avec l’immunologie.

Bibliographie