Cardiologie et plomberie environnementales

Chacun choisit sa médecine non seulement en fonction des maux qu’il vit, mais aussi en rapport avec ses croyances et son mode de raisonnement. Tel conservateur prendra les mots de l’académie pour une vérité définitive, tel aventurier se livrera sans précaution aux chamanes et gourous, tel mystique s’offrira aux bistouris où il verra la main de Dieu, tel geek adoptera un régime nutritionnel à l’ésotérisme démonstratif, tel philosophe évitera les soins trop consensuels.  

Les ingénieurs sont passionnés par la cardiologie, probablement car le système cardiovasculaire leur paraît relever d’une logique plombière avec sa pompe, ses valves et sa tuyauterie ; les mesures mécaniques de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle confinant à la fascination.

Un de mes patients polytechnicien s’étonnait de voir sa pression artérielle s’élever en altitude, alors que la pression atmosphérique diminue. Son raisonnement était théoriquement parfait. La pression artérielle étant le produit du débit cardiaque (nommée précharge par les cardiologues) par les résistances périphériques (postcharge). La baisse de la pression atmosphérique diminuant la postcharge devrait aussi diminuer la pression artérielle. CQFD.

Je lui répondis (trop) vite que l’effort pour monter en altitude avait augmenté sa précharge ; mais il avait prévu cette (stupide) remarque en me précisant que sa pression artérielle restait élevée, même au repos.  

Je lui expliquais que la précharge et la postcharge dépendaient elles-mêmes de nombreux autres paramètres (muscles et tissus des artères et du cœur, fonction rénale, saturation en oxygène, viscosité et composition sanguines, etc.), chacun étant soumis à son tour à des régulations hormonales et nerveuses. J’allais jusqu’à mettre la médecine en danger en disant que nous ne connaissions qu’une infime partie des centaines de facteurs de régulation de la pression artérielle.

Il me fit remarquer judicieusement qu’entre 0 et 5000 m d’altitude, la pression atmosphérique était divisée par deux, passant de 750 à 375 mm de mercure. Baisse considérable comparée aux 120 mm de notre pression artérielle.

Il me restait l’argument environnemental de la concentration en oxygène de l’air ambiant, facteur qui mobilise encore plus de paramètres. Devant ses réticences, je lui assénais le coup final : après quelques mois en altitude, l’organisme finit par compenser tous les facteurs environnementaux et ramène la pression artérielle à son niveau usuel.

N’ayant pas vérifié ce fait, il l’accepta avec élégance. Il en conclut que le travail des cardiologues était plus facile que celui des plombiers, car les cumulus ne s’adaptent pas à leur environnement, il faut les changer trois fois plus souvent lorsque l’eau est calcaire. Et enfin, notre accord fut total sur le bénéfice cardiologique de la marche en montagne.

Longue consultation financièrement moins rentable que celle d’un mystique ou d’un philosophe, mais beaucoup plus riche.

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