Cibler le syndrome de sevrage

Fut un temps où le marché consistait à fournir aux clients ce dont ils avaient besoin pour survivre. Le marketing a pris son essor lorsque l’offre a dépassé la demande, son art fut d’élargir le domaine de l’indispensable. Couteau à beurre, ouvre-boîte électrique, bas-résille, rameur d’appartement, voyage organisé ou vidéo-surveillance sont alors devenus nécessaires. Mais devant nos caves et greniers, saturés d’objets nécessaires, rapidement destitués et jamais renouvelés, les experts de la mercatique ont dû innover pour parvenir à des nécessités irréversibles. Cibler l’addiction et le syndrome de sevrage devenait le but suprême.

L’abandon de la trottinette électrique ne dérègle pas la physiologie, celui de la montre connectée ne perturbe pas l’équilibre psychique. Inversement le sevrage des jeux-vidéo ou des benzodiazépines peut être douloureux ou dangereux. Tabac, alcool, bombons et sodas avaient déjà usé des rouages mercatiques de l’addiction, sans génie et sans gloire.

La palme revient à la pharmacie qui a su générer des syndromes de sevrage où nul ne les attendait. Nous connaissons bien les dégâts des opiacés que l’angélisme du soin a cru non addictogènes. Plus subtile est la dépendance aux somnifères et tranquillisants qui est passé d’un mois avec les barbituriques à moins de deux semaines avec les benzodiazépines.

Le syndrome de sevrage aux antidépresseurs de type ISRS est beaucoup plus raffiné, leur manque ne provoque aucun trouble physiologique, mais leur arrêt majore les angoisses, et l’état psychique devient pire que celui qui avait motivé la prescription : preuve irréfutable qu’il fallait bien en prendre. Aucun vigneron n’aurait osé dire que le vin est le meilleur traitement du delirium tremens.

Plus machiavéliques sont les antiacides gastriques dont l’arrêt provoque un rebond acide, ou les statines dont l’arrêt majore le risque cardio-vasculaire que l’on voulait éviter. Autant de preuves de leur nécessité ! Les antimigraineux transforment les céphalées aigues en céphalées chroniques, donc à plus de dépendance. Devant la menace des thérapies comportementales, bien plus efficaces, les marchands essaient de capter une clientèle de plus en plus jeune, jusqu’à suggérer la prescription d’antimigraineux en cas de pleurs incessants du nourrisson, car ces coliques ont une corrélation avec la migraine chez l’adulte. Aucune loi n’oblige la notice des médicaments à préciser que le pire des effets indésirables est de commencer…

Commencer le plus tôt est le mieux, les embryons et les fœtus sont les plus captifs, quand leur mères sont traitées ils font des syndromes de sevrage aux psychotropes après la naissance et deviennent les meilleurs candidats pour de futures dépendances pharmacologiques. Mercatique transgénérationnelle à laquelle ne peuvent même plus rêver les marchands d’alcool et de tabac. Heureusement que le cannabis thérapeutique va pouvoir enfin régler tous ces problèmes, comme le dit la publicité.

Références

2 commentaires sur “Cibler le syndrome de sevrage”

  1. DUCLOS dit :

    Que de pertinence, de bon sens ,le plaisir de vous lire,la joie de l’ intelligence

  2. ROUX Philippe dit :

    Il y a plus de 20 ans, un « marchand » de statine avait fait venir au Medec (j’en étais) une centaine de généralistes de province. Après un cours de statistiques, nous devions juger une étude qu’ils avaient faite sur l’intérêt de mettre à titre préventif la prescription de leur statine chez les diabétiques. La conclusion donnée à l’unanimité fut :  » Il faut déjà en mettre dans les biberons, car tout nourrisson peut devenir diabétique « .

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