Épidémiologie économique

Il serait stupide de comparer la mortalité des épidémies d’hier avec celle des émergences d’aujourd’hui. Vouloir comparer la peste qui a tué 35% de la population d’Europe en 5 ans, au SIDA qui a tué une personne sur mille en quarante ans, serait ridicule. Le rapport numérique étant de 1 à 3000.

Les différences profondes sont ailleurs. Notre vigilance clinique permet de détecter rapidement une maladie émergente et notre technologie d’en connaître la nature. Nos mesures préventives et curatives semblent devoir nous protéger définitivement de toute velléité d’apocalypse virale. Enfin et surtout, l’information perturbe notre discernement, les citoyens n’avaient nul besoin de médias pour constater l’exacte réalité épidémiologique de la variole ou du choléra, alors que sans eux, nous ne saurions même pas que le SRAS ou Ebola ont un jour fait l’objet de terrifiantes projections.

Mais, il y a aussi des similitudes entre ces différents évènements de notre histoire infectieuse : elles sont d’ordre économique. La crise frumentaire qui a suivi la peste a amplifié sa gravité. Les paysans morts, plus de froment, les boulanger morts, plus de pain, les forgerons morts, plus de charrue, etc. Le désordre socio-économique engendré par les épidémies en aggravait encore la mortalité. Des facteurs économiques et commerciaux se retrouvent également en amont des épidémies. La peste a suivi la route des épices, la syphilis, la syphilis et le choléra ont suivi l’exode rural et l’urbanisation, les zoonoses suivent les déforestations et les viroses respiratoires suivent le trafic aérien. 

Lors de l’émergence du SRAS à Hong-Kong en 2003, c’est la première fois que j’ai noté l’évaluation d’une épidémie en termes de dollars autant qu’en termes de morts. L’épidémie a coûté 700 vies et 30 milliards de dollars. Nous pouvons évaluer aujourd’hui que l’épidémie africaine d’Ebola en 2014 qui a fait plus de 10 000 morts en a provoqué davantage par les effets indirects de la crise économique, la désorganisation hospitalière et l’insécurité alimentaire.

Le coronavirus actuel semble avoir une contagiosité élevée fort heureusement associée à une létalité inférieure à celle des deux précédents (MERS et SRAS). Il fera probablement le tour du monde avec l’inévitable inflation médiatique et les indispensables précautions sanitaires des autorités. On peut raisonnablement émettre l’hypothèse que les répercussions économiques, déjà considérables, peuvent générer plus de morbidité et de mortalité que le virus lui-même. Cette morbidité indirecte est d’autant plus dommageable qu’elle touche ceux qui sont en activité, donc les plus jeunes et les plus sains.

Faudra-t-il complètement repenser l’épidémiologie du futur, faire passer la morbidité psychologique, les addictions et les suicides liés au chômage avant la comptabilité des morts directement liées aux virus émergents ?

La morbidité d’Homo economicus est plus complexe que celle d’Homo sapiens.

Références

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