Passoires et tamis

Notre société est atteinte de « litigiosité » chronique. L’imagination des procéduriers est d’une grande fertilité. Les vacanciers portent plainte contre les paysans dont le coq chante trop fort, les casseurs portent plainte contre les policiers, les automobilistes attaquent les mairies qui ne font rien contre la pollution.

Fierté de nos démocraties : chaque plainte trouve un avocat ; fragilité de nos démocraties : la plupart finissent par trouver un juge. Les U.S.A, où « democracy » rime avec « currency », détiennent tous les records de procès loufoques et d’indemnités saugrenues. Indemnités et honoraires étant les premiers buts des procédures, bien loin devant l’équité.

La médecine, férue elle aussi de maladies chroniques, ne saurait faire exception à cette litigiosité maladive. Les fumeurs attaquent les marchands de tabac, les obèses attaquent McDonald.

En ce qui concerne les médicaments, tout est plus complexe. Les laboratoires pharmaceutiques semblent avoir beaucoup moins souffert que d’autres entreprises. Leurs notices sont moins précautionneuses que celles d’autres fabricants qui précisent qu’il ne faut pas faire sécher leur bébé dans le four microonde ou qu’il ne faut pas le laisser dans la poussette en la repliant.

Dans notre pays, pour éviter cette « passoire » juridique entre consommateurs et producteurs, le système médical a installé plusieurs « tamis » qui ont plus de noblesse que les passoires.

L’ordre des médecins est le premier de ces tamis, mais sa bienveillance avec ses cotisants a conduit à la création de l’office national des accidents médicaux (ONIAM) et aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI).

Il est vrai qu’en médecine, la faute est difficile à déterminer et il est encore plus difficile d’affirmer que le dommage est lié à la faute. Le médecin pousse la seringue que le chimiste a remplie, et il écoute les recommandations de l’HAS dont les experts sont des chimistes.  

Une consommatrice a obtenu trois millions de dollars d’indemnité pour s’être brûlée avec un café, alors que le restaurateur ne lui avait pas dit que le café était chaud. Pour subir de telles pénalités, l’industrie pharmaceutique doit tuer au moins dix personnes.

Lorsque tous les tamis ont été franchis, les litiges médicaux peuvent enfin arriver au tribunaux. Le patient doit alors choisir entre le civil et le pénal. C’est-à-dire percevoir une indemnité ou punir le coupable. Ce n’est pas comme à la loterie, on ne peut pas gagner à la fois au tirage et au grattage.

Fidèle au système juridique général, l’indemnité est toujours préférée, puisque les condamnations au pénal ne représentent que 0,7% de l’ensemble.

Nous comprenons mieux pourquoi, dans nos pays, la pathologie iatrogène est devenue la troisième cause de mortalité.

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