EBM et maladies chroniques

« EBM » est le sigle de « evidence based medicine » ou « médecine basée sur les preuves ». Ce concept promu dans les années 1960 recèle une insulte envers nos ancêtres médecins. Tous les diagnostics étaient déjà basés sur de solides preuves depuis la méthode anatomoclinique qui a fondé la médecine moderne dans les années 1800. La majorité des médicaments efficaces (insuline, antibiotiques, corticoïdes, aspirine, vitamines, vaccins, héparine, morphine, diurétiques, neuroleptiques, etc.) ont été découverts avant l’EBM.

S’arroger ainsi une rigueur qui existait depuis longtemps est une impudence qui peut cependant s’expliquer. Auparavant, la médecine gérait des pathologies monofactorielles dont les symptômes étaient vécus (infections, traumatismes, carences, épilepsie, etc.). Puis, au cours du XX° siècle, elle s’est intéressée à des maladies plurifactorielles : tumorales, neurodégénératives, immunologiques, psychiatriques, métaboliques et cardiovasculaires. Toutes caractérisées par une évolution lente et des symptômes erratiques rendant la preuve empirique impossible. Comment prouver que détruire quelques cellules cancéreuses, faire baisser la pression artérielle ou le cholestérol augmente la quantité-qualité de vie ?

Pour convaincre les médecins et les patients, il fallait remplacer la preuve individuelle vécue par une preuve populationnelle et probabiliste. L’idée était bonne, l’outil statistique valide et le paradigme séduisant. C’est pourquoi, depuis un demi-siècle, l’EBM et ces maladies dites « chroniques » monopolisent la pensée médicale.

Il est temps d’oser quelques raisonnables critiques.

Définir une maladie aux symptômes concrets était déjà difficile, c’est désormais impossible puisqu’une majorité de ces « maladies chroniques » ne sont jamais vécues (hypertension, hyperglycémie, cancer dépisté, etc.).

Les gains de quantité de vie sont négligeables et souvent non évaluables (le traitement d’une hypercholestérolémie par statine ne peut rivaliser avec celui du scorbut par la vitamine C ou d’une septicémie par la pénicilline)

Les gains de qualité de vie sont nuls ou négatifs (l’annonce d’un cancer non vécu est une perte, alors que la suppression des délires par un neuroleptique était un gain pour le patient et sa parentèle)

Les statistiques et publications ont accumulé des biais et tricheries si effarants que toute la pratique médicale en devient suspecte.

Considérons encore plus pragmatiquement l’échec global sur ces « maladies chroniques ». Si la médecine peut être fière d’avoir supprimé la variole, le pied-bot et le bégaiement, elle ne le peut pas pour des maladies dont la prévalence augmente (Alzheimer, myopie, obésité, cancer ou dépression). Même si certains facteurs sont sociétaux, cela reste un échec pour ceux qui en revendiquent la charge.

Enfin, reprocher le diagnostic trop tardif de maladies chroniques est antinomique, voire ubuesque. Après avoir insulté les médecins du passé, l’EBM récidive avec ceux d’aujourd’hui.

Références

https://lucperino.com/621/ebm-et-maladies-chroniques.html

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2 commentaires sur “EBM et maladies chroniques”

  1. marie josephe dzula dit :

    sans un lien trés direct avec ce commentaire, je voudrais faire part de ce que j’ai vécu cette semaine: je suis médecin g en SSR orientation pneumologique.
    Vendredi dernier, j’ai reçu un patient pour moi mourant: cancer pulmonaire métastasé presque partout, il venait de subir une radiothérapie type gamma knife de 2 h pour méta cérébrale, le radiothérapeute prévoyait une irm dans 2 mois pour évaluer les lésions, une nouvelle immunothérapie était prévue la semaine prochaine. Le bilan du lendemain a montré une infection massive, une anémie à 7 , une insuffisance rénale importante. J’ai prévenu la famille du risque de décès, il est mort 4 j après .
    En retraçant son parcours, j’ai vu qu’en 2 mois, il avait fait 6 établissements différents ! on ne soigne plus des gens mais des maladies .

  2. François FROMM dit :

    Quoique médecin généraliste retraité, je lis avec plaisir tous vos articles toujours très pertinents .
    Un grand merci.
    Confraternellemnet à vous .
    F. Fromm .

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