On n’y avait pas pensé

Les études indépendantes montrant la grande toxicité du glyphosate (alias Roundup) sont de plus en plus nombreuses avec des résultats de plus en plus alarmistes. En réponse à ces alarmes, le fabricant pointe les biais de ces études selon le procédé classique de l’agnotologie, consistant à semer le doute dans tous les savoirs. Ce procédé fonctionne d’autant mieux face à la science qu’elle est, par essence, autocritique, dialectique, expérimentale et réfutable. Elle est donc une proie facile pour ceux qui incarnent l’antithèse de chacun de ces qualificatifs.

Curieux d’en savoir plus sur cette polémique, j’ai découvert d’anciennes publicités pour ce désherbant universel. On y voit des photos de champs remplis d’herbes indésirables et d’autres où toute végétation a disparu après l’épandage de l’herbicide. Les agriculteurs figurants sont figés de ravissement devant cette désolation végétale. L’évidence de la toxicité est telle que l’on a de la peine à comprendre qu’elle n’ait pas immédiatement sauté aux yeux des prospects de cette époque.

Les inévitables biais des études de toxicité nous apparaissent aujourd’hui bien dérisoires par rapport au fait que de telles études aient été jugées nécessaires. Car, paradoxalement, rien n’est plus difficile que de modéliser l’évidence.

Cet aveuglement devant l’évidence n’est pas l’apanage des agriculteurs, tous les acteurs des sciences du vivant semblent en être également victimes. Lorsque les marchands ont eu l’idée de vendre du lait de vache pour nourrir les nourrissons de femmes, ni les pédiatres, ni les sages-femmes n’ont noté cette discordance. Et le marché qui sait manifestement jouer avec les évidences a réussi à faire dire aux femmes elles-mêmes qu’elles n’étaient pas des vaches. Certes, il y avait de plus élégants procédés pour favoriser leur « libération », mais celui-là a bien fonctionné à une époque où les femmes étaient majoritairement confinées au foyer.

Ces laits en poudre, même « maternisés », ont multiplié par cinq ou dix les infections et hospitalisations des nourrissons, mais il a fallu faire des études pour s’en rendre compte. Nul n’avait jamais supposé que l’immunologie des hommes puisse différer de celle des bovins. L’évolution a produit pour chaque mammifère un lait strictement adapté aux besoins de ses petits, c’est vraiment judicieux !

Le glyphosate et le lait en poudre sont rassemblés ici, car ils sont emblématique de la même réalité : le marché est toujours dispensé des preuves de l’innocuité, et c’est à la science que revient d’apporter les preuves de la toxicité. Et la science se doit d’être parfaite, car rien ne semble moins évident qu’une évidence.

Post-scriptum : Il nous faut maintenant promouvoir l’égalité des chances et des salaires pour les femmes en même temps que la perfection de leur lait. Cela me paraît facile comparé aux exploits des marchands.

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