Moi, médecin cycliste face à la détresse

Centimètres grignotés par mes voisins d’embouteillages, spirales descendantes aux enfers des parkings, arrogance des limousines, agacement des voiturettes, déshonneur de certains doigts, angoisse du rendez-vous manqué ; le trafic urbain ne me convenant plus, j’avais depuis longtemps choisi le vélo.

Il fallait relativiser mon statut, revisiter ma dignité, assumer une personnalité composite : téméraire et vulnérable, sage et rebelle, fière et subordonnée. Accepter aussi d’être toujours perdant en cas de heurt.

Ce cycliste grisonnant à la sacoche pleine, si si, c’est bien un médecin qui fait ses visites…

Il y a quelques années, j’ai cru tenir la victoire. Les cités ont vraiment décidé de faire une place aux cyclistes. Enfin, je n’étais plus le seul notable perdu entre des étudiants plus ou moins chevelus et des écologistes en ostentation. Plus tard, l’assistance électrique réduisit l’inconvenance des halètements et des sudations, particulièrement dans ma ville aux deux collines. C’était gagné, les villes offraient même des vélos en libre-service. Lyon la première…

Que de naïveté, j’en souris encore.

Alors que les kilomètres de pistes cyclables continuent à s’accumuler, leur usurpation croissante par les automobilistes me ramène à la complexité de nos démocraties. Le choix des maires est borné entre le fascisme désuet du tout-automobile et le nouvel éco-fascisme du tout-vélo. En outre, un maire qui voudrait réellement extraire l’automobile de sa ville devrait auparavant s’assurer qu’aucune grève des transports en commun ne risquerait d’en prendre toute l’économie en otage. Il est déjà fou de pénaliser le marché automobile, mais tous les marchés, ce serait criminel.

Lorsque des automobilistes stationnent sur ma piste cyclable après avoir allumé leurs feux de détresse, ce n’est pas moi médecin, expert de la détresse, qui peux les tancer. Une mère qui pose son enfant au plus près de la porte de l’école (à cause du trafic), un fils dévoué qui accompagne son père parkinsonien à la porte de son immeuble, des policiers ou des ambulances avec leurs incontestables prérogatives, un livreur dont la performance est une garantie contre la détresse du chômage.

Lorsque l’automobiliste inopportun est un fumeur qui n’a emprunté mon espace vital que pour les quelques minutes d’attente au bureau de tabac, dois-je utiliser mon diplôme de médecin pour lui signifier que fumer est vraiment dangereux pour la santé ? Non, car il pourrait me répondre que circuler en ville en vélo est bien plus dangereux et que le manque de vélo ne provoque pas de syndrome de sevrage. Je serai bien obligé d’admettre qu’il a raison.

Bref, le médecin cycliste est toujours perdant devant les feux de détresse, car ces feux sont réellement des signaux de détresse. Sauf peut-être sur l’autoroute lorsqu’on les allume pour signaler un bouchon, car pour un automobiliste, un embouteillage ne peut pas vraiment être un moment de détresse.

Références

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2 commentaires sur “Moi, médecin cycliste face à la détresse”

  1. François dit :

    MG, je fais tout en velo depuis 2 ans. C’est super, en fin de journée de monter sur mon velo d’écouter le vent, et de ne pas m’enfermer dans un cube motorisé sans France info. Et…ça ne me pose aucun pb.
    Dois je m’en excuser? Il y a peu de pistes cyclables dans ma ville, pas de velo en libre-service, et je n’ai encore pas eu de pb avec les voitures.
    Qu’est ce que je suis ennuyé de n’avoir rien pour me plaindre.
    Mais maintenant que j’ai lu cet article, je vais faire plus attention.

  2. MG, moi aussi, je fais (presque) tout en vélo euh … depuis mon enfance et j’ai toujours gardé ce plaisir.
    Merci au Dr Luc Périno et à François (pas le pape, le docteur ci-dessus !) pour votre humour.
    Je voudrais vous inviter à participer, humblement, au mouvement des cyclistes urbains représentés en France par la FUB (voir http://www.fub.org)
    Pédale douce pour tous !
    CAZEILS Francis

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