La surmédicalisation est-elle un facteur de sous-médicalisation ?

Les évolutions de la médecine et de la société ont changé la cible des soins. L’activité médicale, auparavant centrée sur les plaignants, les soins primaires et l’urgence, est désormais dédiée aux non-plaignants, à la prévention pharmacologique et à la prédiction génomique. Cette profonde modification affecte autant la médecine praticienne que la recherche biomédicale.

Rançon du succès, sur le modèle des vaccinations qui ont permis de faire disparaître de graves maladies, on se prend à rêver à l’éradication des cancers ou des maladies neurodégénératives. Pourquoi pas, après tout ? Il ne faut jamais douter du progrès. Même si cet enthousiasme est parfois débridé, qui oserait reprocher à la médecine de tenter l’impossible pour faire reculer les maladies ?

Cette « knockisation » de la société des bien-portants, a évidemment des répercussions sur l’agenda des professionnels de la santé et sur la répartition des budgets.

La question est désormais de savoir dans quelle mesure cette surmédicalisation des non-plaignants comporte des risques pour les plaignants, les soins primaires et l’urgence.

Un premier élément de réponse est lisible en constatant la saturation des services d’urgence, les médecins ayant abandonné l’urgence au profit d’hypothétiques prédictions, les urgences s’accumulent un seul lieu et la qualité des soins en est inévitablement dégradée. Dans le même registre, il faut inclure la désaffection des étudiants pour les métiers à fort engagement clinique tels que : anesthésie, obstétrique, chirurgie ou pédiatrie. Cette lourde tendance aura inévitablement des répercussions sanitaires bientôt mesurables.

Un deuxième élément de réponse résulte des politiques de restriction budgétaire et d’enveloppe globale. Le montant des budgets alloués au dépistage, à la prévention pharmacologique et à la prédiction, se répercute négativement sur le financement des soins primaires.

Dans un pays comme la France où les politiques sociales restent favorables, cette désaffection pour le soin réel n’a pas encore de répercussion sur les indicateurs sanitaires quantitatifs classiques. La situation n’est pas la même aux Etats-Unis, par exemple, où le mirobolant marché de la prédiction génomique est associé à des indicateurs sanitaires médiocres.

Avec l’introduction d’indicateurs sanitaires qualitatifs (ex : qualité de vie), la distorsion devient plus visible, même dans un pays comme le nôtre. Enfin, l’aggravation des inégalités sociales contribue à une sous-médicalisation d’une frange de la population qui n’a plus accès aux soins primaires.

Chaque praticien réagit différemment à cette surmédicalisation de la société, en fonction de ses opinions ou de sa philosophie. Mais tout praticien digne de ce nom doit s’interroger et alerter sur les dangers d’une sous-médicalisation induite par cette gabegie médicale.

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