DSM américain contre psychiatrie française

A chaque sortie d’une nouvelle version du DSM [[1]], de nombreux psychiatres et psychanalystes français souffrent. Ils n’arrivent pas à accepter cette standardisation de leur discipline, orchestrée par des psychiatres et « chimiatres » américains soumis à Big Pharma.

En tant que clinicien, je me sens assez souvent concerné par leurs doléances ; mais, farouchement opposé à tout sectarisme, j’ai envie de jouer à l’avocat du diable.

Certes, je comprends la souffrance de certains de nos psychiatres français qui, avec l’arrivée massive des psychotropes, ont été progressivement catalogués de psychothérapeutes ringards, obscurantistes et anti-progressistes. Le marketing pharmaceutique sait, en effet, très bien utiliser cette marginalisation active, comme une arme à l’encontre des praticiens, de toutes spécialités, qui exhortent à trop de modération thérapeutique ou à trop de raisonnement clinique.

Cependant, à chaque lecture du DSM, je suis toujours agréablement surpris par le très bel exercice de réflexion clinique qu’il représente. Si l’on arrive à surpasser la nausée que provoque ce catalogue trivial de tous les travers de l’humanité, présentés sans littérature ni discernement, on doit reconnaître que l’analyse clinique est poussée. En regardant plus en détail, on doit admettre qu’il n’y a pas trop d’incitation à créer de « fausses pathologies », car les symptômes doivent être associés, durer assez longtemps, et provoquer un réel handicap social, pour que les diagnostics soient admis et posés avec certitude.

Ne peut-on pas voir la rigueur militaire de ce manuel américain comme une réplique exagérée à nos fantaisies européennes d’hier ?

N’oublions pas la réinterprétation extravagante des thèses freudiennes et leur dévoiement dans des pratiques sectaires. N’oublions pas la folie des dérives lacaniennes. N’oublions pas la sidération de nos penseurs devant le monopole intellectuel imposé par la psychanalyse dans les années 1960-1970, dans tous les domaines des sciences humaines et sociales. N’oublions pas la puissance du lobby psychanalytique, qui contribue, encore aujourd’hui, à marginaliser la psychiatrie française.

Et si les excès du DSM d’aujourd’hui n’étaient que la contrepartie des excès psychanalytiques d’hier. Et si les conflits d’intérêts étaient les mêmes des deux côtés de l’Atlantique : Big Pharma à l’ouest, lobby psychanalytique à l’est.

Et comme en France, tout est psychodrame, le débat serein tarde à s’établir…

Pourtant, un jour, il nous faudra bien admettre que les maladies intestinales et psychiatriques sont des maladies (presque) comme les autres, car les intestins et le cerveau sont des organes (presque) comme les autres. Tous deux soumis aux gènes, à la nutrition, à la culture, au stress, aux toxiques, à l’éducation, aux dérives du marché, et aux excès de la médecine.


[1] Manuel statistique et diagnostique des maladies psychiatriques.

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Un commentaire sur “DSM américain contre psychiatrie française”

  1. nicole w. dit :

    « On l’attend comme le dernier Harry Potter », s’amuse une psychologue parisienne.
    « Avec le nouveau manuel, on peut parier que les bien-portants seront bientôt minoritaires, tels des rescapés d’épidémie… Comment expliquer cette extension du domaine de la pathologie ? Et que nous dit cette banalisation du diagnostic psychiatrique sur notre conception de la santé mentale ? Autrement dit : de quoi cette « bible des psychiatres » est-elle le symptôme ? »
    http://www.rue89.com/2013/04/26/dsm-tous-malades-mentaux-241811

    « Des problèmes mineurs sont dépeints comme autant d’affections graves, de telle sorte que la timidité devient un ‘trouble d’anxiété sociale’ et la tension prémenstruelle, une maladie mentale appelée ‘trouble dysphorique prémenstruel’. » (Médicaments, la grande intox – My-Kim Yang-Paya et Sonia Kanoun – Avril 2013)

    Dans le monde du formatage intellectuel, de la manipulation mentale et de l’achat des consciences, mais pour rester dans un registre quelque peu humoristique… Si timidité il y a, l’apprivoiser, plutôt que d’en faire un « trouble d’anxiété sociale » ; laisser nos émotions être « les vents qui enflent les voiles du navire » (Voltaire) ; avoir le courage d’être différent, tout simplement…

    « Les neuf dixièmes de notre bonheur reposent sur la santé. Avec elle, tout devient source de plaisir. » (A Schopenhauer)

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