Rendons des malades à Pluton

Trier, classer, ordonner, catégoriser sont certainement les activités primaires de tout système nerveux dès les premiers stades de l’évolution. Pour les poux, le monde se divise en deux catégories : les poils et tout le reste. Les animaux classent les objets de leur environnement en fonction de critères tels que « se mange », « ne se mange pas », « dangereux », « inoffensif », etc.

Chez l’homme, la catégorisation et la classification sont des activités cognitives élaborées. Toute science progresse par un jeu de classifications et déclassifications successives.

Neptune avait été prédite dans la catégorie « Planètes », avant même d’avoir été observée. Et, plus récemment, une nouvelle définition des planètes a fait sortir Pluton de cette catégorie.

Le succès scientifique insurpassable d’une classification est de permettre des prédictions qui se vérifient.

Darwin, en établissant le lien entre le groupe des plantes à fleurs et celui des insectes pollinisateurs, a pu prédire l’existence d’hyménoptères grâce à des orchidées, et inversement.

Le tableau de Mendeleïev a permis d’affirmer l’existence d’éléments chimiques encore inconnus, tels que le gallium et le germanium qui sont venus combler les cases vides qui les attendaient.

La classification des maladies selon le modèle actuel des sciences biomédicales permet de prédire l’existence de maladies encore inconnues. Les puces à ADN, qui détectent désormais des cellules tumorales circulantes, nous réservent une moisson de cancers méconnus qui apparaîtront de plus en plus tôt. La catégorisation des humeurs et élans de la vie va permettre d’enrichir à l’infini les entités psychiatriques. Au-delà de la génomique, les trente millions de mutations qui distinguent chacun d’entre nous de son voisin, nous exposent à une infinité de maladies potentielles et orphelines que la science saura assurément déceler longtemps avant notre mort.

L’existence de ces maladies sera, chaque fois, confirmée par la publication d’essais thérapeutiques pleins d’espoir. L’espoir étant toujours la plus tangible des réalités thérapeutiques.

Ainsi, comme l’astronomie, la biologie évolutionniste ou la chimie, la médecine pourra accéder au rang de science exacte si elle opte définitivement pour le référentiel actuel des classifications du modèle biomédical.

Les médecins humanistes persistent à maintenir un référentiel centré sur la réalité sanitaire des patients. Ils se basent sur des maladies et des symptômes vécus dont la variabilité, l’évolutivité, voire la disparition spontanée, ne permettent aucune classification définitive. Ils ne prétendent pas à la science exacte, ni pour eux, ni pour leurs patients.

Avec la classification biomédicale, les patients meurent après de longues maladies. Sans cette classification, ils meurent à l’abandon.

Pour sauver ces patients de l’abandon, il est urgent de changer de classification, afin que chacun puisse enfin mourir de sa bonne mort…

Comme Pluton.

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Un commentaire sur “Rendons des malades à Pluton”

  1. nicole dit :

    Pluton déclassé !

    Dans un registre distractif, et néanmoins instructif.
    Le psychiatre, le chef indien et la pensée du coeur.
    Un psychiatre voyage au Nouveau-Mexique, et rencontre le chef des Taos Pueblos.

    « Mon voyage … me conduisit … chez les indiens du Nouveau-Mexique, les Pueblos… C’est là que j’eus pour la première fois la chance de parler à un non-européen, c’est-à-dire à un homme qui n’était pas de race blanche. Il était le chef des Taos Pueblos, homme intelligent de quarante à cinquante ans. Il s’appelait Ochwiay Biano – lac des montagnes. Je pus lui parler comme j’avais rarement parlé à un Européen.

    « Vois, disait Ochwiay Biano, comme les blancs ont l’air cruels. Leurs lèvres sont minces, leurs nez pointus, leurs visages sont sillonnés de rides et déformés, leurs yeux ont un regard fixe, ils cherchent toujours. Que cherchent-ils ? Les blancs désirent toujours quelque chose, ils sont toujours inquiets, ne connaissent point le repos. Nous ne savons pas ce qu’ils veulent. Nous ne les comprenons pas, nous croyons qu’ils sont fous ! »

    Je lui demandai pourquoi donc il pensait que les Blancs étaient tous fous.
    Il me rétorqua : « Ils disent qu’ils pensent avec leurs têtes ».
    – « Mais naturellement ! Avec quoi donc penses-tu ? » demandai-je étonné.
    – « Nous pensons ici », dit-il en indiquant son cœur.

    Je tombai dans une profonde réflexion. Pour la première fois de ma vie, me sembla-t-il, quelqu’un m’avait donné une image du véritable homme blanc.
    C’était comme si, jusqu’alors, je n’avais perçu que des reproductions colorées, sentimentalement enjolivées. Cet Indien avait trouvé notre point vulnérable et mis le doigt sur ce à quoi nous sommes aveugles. » (Extrait de « Ma Vie . Souvenirs, rêves et pensées. » – C.G. Jung)

    Ne laissons jamais nos « émotions, humeurs et élans de vie, venir enrichir à l’infini les entités psychiatriques »… Afin que nos belles émotions ne se transforment pas en pathologies !

    L’humour, un bon « médicament »… contre la « médicalisation » et la « marchandisation » de l’existence. 🙂

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