Overdose

Souvenez-vous, c’était à la fin des années 1980 et au début des années 1990, suite à l’autorisation de mise sur le marché de nouveaux opioïdes médicamenteux, une intense campagne de sensibilisation a été faite auprès des médecins pour les encourager à la prescription de morphine dans tous les types de douleur. Dans les pays latins, cette campagne a été particulièrement agressive en pointant du doigt ces médecins « du sud » insensibles à la souffrance de leurs patients, alors que leurs confrères anglo-saxons et d’Europe du Nord, prescrivaient déjà ces opioïdes avec largesse et compassion.

Il fallait être rétrograde pour penser que la morphine « médicamenteuse » recelait les mêmes dangers que la morphine illégale. Il n’y avait pas de risque d’overdose ni de risque d’addiction, puisqu’il s’agissait de traiter des patients souffrants, donc très différents des personnes non souffrantes. J’ignore encore quelles ont été les recherches qui ont abouti à cette binarité physiologique autour de la souffrance, elles n’ont jamais été mentionnées.

La campagne promotionnelle a été efficace en termes de prescriptions, puisqu’en quelques années, la France et l’Espagne ont rattrapé, voire dépassé l’Angleterre et les Pays-Bas, la Canada francophone a rejoint l’anglophone et rattrapé les USA. La consommation de morphine a atteint des records dans tous les pays. Le latinisme avait disparu du paysage de l’algie.

Le succès de cette campagne promotionnelle était garanti d’avance, car lorsque vous « ciblez » le manque de compassion, la réaction est proportionnelle à l’immensité de la « cible ». Homo-sapiens a une compassion débordante, réelle et revendiquée. Les médecins ne faisant pas exception à cette règle contrairement à ce que l’on avait pu croire.

Plus de vingt ans déjà, comme le temps passe vite. Les ventes d’opioïdes ont dépassé toutes les espérances des promoteurs.

Aujourd’hui, nous constatons avec effroi que l’addiction des patients est la même que celle des utilisateurs sauvages. En vérité, elle est supérieure, car elle est licite et encouragée. Nous découvrons surtout que les overdoses font des milliers de morts. Au Canada, on a pris la peine de les compter, le nombre de morts par overdose est passé de 4000 en 1999 à 14500 en 2007 [[1]]

Les observateurs vigilants constatent avec encore plus de stupéfaction que la douleur continue à progresser en nombre et en intensité. Le remboursement des antalgiques opioïdes par la sécurité sociale a augmenté de 15% au cours des cinq dernières années. On dit que la France compte vingt millions de douleurs chroniques. Cela fait un tiers de la population !

Comment évaluer le nombre et l’intensité des douleurs ? Je ne le savais pas très bien en 1990 et j’avoue avoir peu progressé aujourd’hui. Je ne savais pas, non plus, quels étaient les douloureux qui devaient absolument recevoir de la morphine. Cela reste aujourd’hui une question délicate pour chaque nouveau patient pour qui elle se pose.

J’ai cependant des certitudes : le commerce des morphiniques est florissant, il y a encore plus de douleurs, il y a beaucoup plus de morts par antalgiques et la morphine reste l’une des plus belles avancées de l’histoire de la médecine.

Enfin, la promotion est source d’addiction, elle doit être consommée avec tact et mesure.


[1] I.A. Dhalla et al. BMJ, 343, 5142, 2001.

Un commentaire sur “Overdose”

  1. Hélène dit :

    Cher confrère,

    Je m’appelle Hélène MAGINOT, et je mène actuellement une enquête dans le cadre de ma thèse en médecine générale, qui porte sur les médecins généralistes bloggeurs et leurs lecteurs.

    Il s’agit pour 30 médecins généralistes bloggeurs sélectionnés de répondre à un questionnaire en ligne (http://tinyurl.com/cnomweb1), et de mettre sur leur blog un lien destiné à leurs lecteurs, avec un questionnaire à remplir (http://tinyurl.com/cnomweb2).

    J’aimerais recueillir votre avis sur les dernières recommandations du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) de décembre 2011, concernant la déontologie médicale sur le web. Ce sujet occupe une place de plus en plus importante dans la pratique du médecin généraliste.

    Ce travail est dirigé par le Dr Lévêque, Professeur associé de Médecine Générale à la faculté de médecine de Strasbourg, et présidentdu Département de Médecine Générale.

    Les résultats de cette enquête seront d’autant plus précis que vous serez nombreux à répondre.

    Répondre au questionnaire vous prendra environ vingt minutes.
    Vous contribuerez ainsi à une meilleure connaissance des problématiques soulevées par la déontologie médicale sur le web, et à l’étude des propositions apportées par le Conseil national de l’ordre des médecins.

    Un cahier des charges sera élaboré à destination des médecins généralistes intéressés par la création et la tenue d’un blog. Conformément aux recommandations du CNOM, les blogs pourraient devenir une composante importante et un outil intéressant en médecine générale, pour les patients et les médecins.

    Le questionnaire est anonyme, et ne sera utilisé que pour alimenter ce travail de thèse.

    Je vous remercie d’avance de votre participation.
    Cordialement

    Hélène Maginot
    PS: Les résultats de l’étude pourront vous être communiqués si vous le souhaitez. La thèse sera mise en ligne après sa soutenance.

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