Vues de fièvres

Les patients n’aiment pas la fièvre, symptôme inconfortable et confirmation de leur fragilité passagère ou plus durable.

Les parents redoutent la fièvre de leurs jeunes enfants, possiblement prémonitoire de la terrible méningite ou des diaboliques convulsions.

La société productiviste ne l’aime pas, car elle limite la négociation autour des arrêts de travail.

Les industries de la santé la respectent en tant qu’important levier de l’angoisse dont ils savent qu’aucun marché ne peut exister sans elle. Le profit immédiat du paracetamol ou celui, différé, des anti-inflammatoires qui font le lit des insuffisances cardiaques et rénales, sont négligeables en comparaison.

Les ministères publics la redoutent et la chérissent à la fois. Terrible lorsqu’elle sert de base à la modélisation des plus redoutables épidémies. Intéressante, par la vitrine médiatique qu’offre le débat des spéculations et contre-spéculations apocalyptiques. Alliée, par l’éventail démagogique que procure la fièvre de masse, inversement à la fébrilité des peuples qui contraint à l’autorité.

Quant aux médecins, leur position est ambigüe devant la fièvre. Premier symptôme facilement accessible et rarement trompeur, il élimine quasi systématiquement la sempiternelle interrogation préalable du psychosomatique. Il y a certitude d’infection ou d’inflammation quelque-part dans cet inectricable fouillis de fonctions et d’organes. La fièvre ne vient manifestement pas de ces fameux « nerfs » qui empoisonnent la relation médecin-patient. (Sauf exception bien évidemment !) Enfin, si la fièvre est une considérable source de profit qu’aucun praticien ne néglige totalement, elle est aussi l’un des principaux motifs d’appels nocturnes ou dominicaux dont la plupart se passeraient volontiers.

Les épidémiologistes sont sereins. Ils savent que les convulsions fébriles ne sont jamais graves et n’ont aucune relation avec une épilepsie future. Les rarissimes qui sont graves d’emblée ne sont alors pas dues à la seule fièvre. Voilà de quoi rassurer tous les parents

Gardons l’avis des biologistes pour la fin, c’est le plus avisé. Ils sont apparemment les seuls à savoir que la fièvre est un cadeau de l’évolution. Il faut la respecter et bien la surveiller. Elle rend la vie difficile aux microbes et autres germes envahisseurs. Elle oblige au repos, à la diète et à l’hydratation, thérapeutiques millénaires éprouvées et dépourvues d’effet secondaires.

Nous avons encore oublié l’avis du clinicien. Mais me direz-vous, n’est-ce pas le médecin praticien dont vous avez déjà parlé ? En effet, ils peuvent se ressembler, mais le clinicien est beaucoup plus ringard, il veut que la fièvre soit prise avec un vrai thermomètre et notée matin et soir sur un bout de vrai papier avec un vrai crayon. Il ne zappe pas entre fièvre évoquée, analyse et imagerie.

Disserter sur la fièvre est une bonne chose, mais encore faut-il qu’elle soit prise et qu’elle existe.

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