Même l’eau !

L’histoire de la science n’a pas été linéaire, cependant l’historien est dans l’obligation de mentionner les faits qui ont marqué ses progrès plus que ceux qui en ont constitué une régression.

Ce sont souvent les découvertes majeures qui font s’opérer les plus grands reculs, comme si une contre-réaction populaire à des progrès trop rapides finissait par atteindre les scientifiques et les faiseurs d’opinion.

L’un des exemples les plus connus est celui de l’eugénisme prôné par certains scientifiques et mis en œuvre dans certains états pour diminuer la variabilité de notre espèce, juste après que Darwin eût démontré que la variabilité était le moteur essentiel de l’évolution.

L’histoire de l’hygiène offre un exemple étonnant de régression due aux progrès de l’épidémiologie.

Même l’eau, corollaire de la vie, s’est offert les caprices d’une histoire non linéaire !

Alors que les bienfaits des thermes étaient connus depuis l’antiquité, la découverte de la notion de « contagion » comme facteur essentiel de transmission des épidémies entraîna une régression de l’hygiène.

Georges Vigarello rapporte qu’aux XVII° et XVIII° siècles en France, nombreux étaient ceux qui considéraient l’eau comme néfaste pour l’hygiène et la santé !

Elle fragilisait un corps supposé « poreux » et son usage permettait aux agents infectieux de franchir les barrières naturelles de la peau, de s’immiscer au cœur de l’organisme humain, de le déséquilibrer et de l’altérer. Se laver pouvait nuire à la vue, engendrer des maux de dents et des catarrhes, pâlir le visage, le rendre plus vulnérable au froid en hiver et au hâle en été.[1]

Il fallait éviter l’immersion et pour protéger son corps des méfaits de l’eau, il fallait en boucher les pores. Les nourrissons étaient parfois enduits de cendre de moule, de cendre corne de veau ou de cendre de plomb mêlée avec du vin pour obturer leurs pores. L’histoire ne dit pas pourquoi le vin ne traversait pas les pores, ni combien de nourrissons en sont morts.

La toilette sèche était recommandée. L’idéal étant de changer la chemise lorsqu’elle devenait noire, car la blancheur restait un signe de civilité !

L’histoire ne dit pas non plus si la triste réputation des français autour de l’hygiène leur vient de cette époque.

Nous savons aujourd’hui que l’excès d’hygiène est l’un des facteurs du développement des maladies auto-immunes et allergiques.

Faut-il avoir peur de la science ou seulement regretter son mésusage et notre manque de tact et de mesure à son égard ?


[1] Georges Vigarello, Le Propre et le sale, Seuil, 1985

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