Abominable prédiabète

30 novembre 2023

Le dernier congrès européen de diabétologie a donné l’alerte sur un fardeau mondial croissant : le prédiabète.

Précisons avant tout que « diabète » désigne deux maladies totalement différentes. Une maladie auto-immune grave nommée diabète de type 1 (DT1) et une maladie de civilisation très fréquente, liée aux excès de consommation de sucre, nommée diabète de type 2 (DT2). La conservation du même nom pour deux maladies aussi dissemblables fait partie des aberrations qui ne peuvent s’expliquer que par des intérêts n’ayant rien à voir avec la science clinique.

Lorsque les médias ou les médecins parlent de diabète sans mentionner le numéro, ils évoquent toujours le DT2, car il représente 95% de l’ensemble.

A son début le diagnostic de DT2 était posé pour une glycémie à jeun supérieure à 1,4 g/l. Puis ce taux est passé à 1,2g/l, faisant doubler d’un coup le nombre de diabétiques dans le monde.

Le DT2 survient lorsque l’insuline n’arrive plus à faire face à l’excès de consommation de sucre. Tout commence par une insulino-résistance, aujourd’hui détectable, que l’on nomme donc le prédiabète. Quelle extraordinaire découverte : les maladies incubent avant d’être détectables. Nous avons donc tous une pré-surdité, une pré-impuissance, une pré-Alzheimer, voire un pré-cancer.

Mais on peut détecter le prédiabète encore bien plus tôt en observant la consommation de sucre qui est passée de 7 kg par an et par personne au moyen-âge à 30 à 100 kg aujourd’hui.

Les congressistes ont estimé que 20% des prédiabètes évolueront en DT2 dans les 5 ans. Qui aurait pu le croire ? Ils ont osé une prévision de 10 % de prédiabétiques dans la population en 2045. Cela parait bien peu au vu de la consommation de sodas et autres sucreries consommées à tout âge et hors de toute raison.

Le bubble-tea est une nouvelle boisson très sucrée dont la prévision de marché est de 5 milliards € annuels. Le marché des antidiabétiques étant bien plus élevé, les laboratoires peuvent s’offrir des congrès savants, alors que les marchands de soda ne peuvent s’offrir que des publicités télévisées. Fort heureusement pour le commerce, les plus gros buveurs de soda sont aussi les plus téléphiles et les plus savants diabétologues sont aussi les plus congressistes.

Le congrès s’est enfin effrayé de voir des pays inconscients qui ne dépistent pas le prédiabète. Ces mêmes pays ne savent probablement pas mieux dépister les pré-diarrhées, pré-paludismes et pré-tuberculoses qui vont tuer 6 millions de personnes chaque année.

Les publications triviales de ces congrès sponsorisés répondent aux critères exigibles pour être publiés par des revues scientifiques. Prouesse de la mercatique médicale consistant à bafouer le bon sens sans véritablement corrompre la science. Rien à redire. Même l’OMS approuve ces rapports.

Avez-vous remarqué que le verbe « durer » a disparu des médias ? Aujourd’hui, malgré notre société de zapping, tout « perdure ».

L’humanité pourra-t-elle perdurer après la découverte du prédiabète ?

Bibliographie

Epigènes héritables

20 novembre 2023

Les lois darwiniennes de l’évolution ont tardé à pénétrer les esprits ; inversement, la génétique a connu un succès rapide. L’expression « c’est dans son ADN » suffit à résumer l’engouement des médias et du grand public pour le déterminisme par les gènes.

Pourtant, si l’ADN est responsable de traits biologiques et morphologiques, il intervient moins sur nos traits comportementaux. Les progrès de l’épigénétique nous confirment la primauté de l’environnement sur le comportement.

Il faut distinguer les marquages épigénétiques selon qu’ils opèrent sur des cellules somatiques ou germinales. Dans le premier cas, ils n’entraînent évidemment aucune répercussion sur la génération suivante. Inversement, lorsque des cellules germinales sont marquées, une transmission intergénérationnelle est possible. Cependant, la plupart de ces marques germinales s’effacent avant, pendant ou juste après la fécondation, laissant à l’embryon un ADN « nettoyé » issu de ses deux parents. Puis, la vie in utero, l’éducation et l’environnement viendront poser de nouvelles marques épigénétiques sur cet ADN.

Freud et Lamarck ignoraient la génétique et l’épigénétique. Freud a supposé à raison que des marques posées sur l’ADN de cellules cérébrales entraînent des répercussions sur l’humeur et le comportement. Quant à Lamarck, s’il avait tort pour les marquages somatiques, il avait raison pour certains marquages germinaux.

Aujourd’hui, nous avons maintes preuves de marques germinales non reprogrammées, donc héritables. Certaines concernent l’alimentation dont les marques sur le sperme et les ovules peuvent être transmises à la progéniture. L’exemple le plus connu est celui de la famine hollandaise dont les stigmates sont vécus par la génération suivante.

Nous savons aussi que l’exposition à des médicaments comme le distilbène ou à des pesticides, ont marqué les cellules germinales sur plus de deux générations. Le stress vécu par les parents marque leurs cellules cérébrales, mais peut aussi marquer leurs cellules germinales. Par exemple, les survivants de l’holocauste ont transmis à leurs enfants des épigènes du traumatisme qu’ils ont vécu.

Dans le cas du stress ou de la nutrition, on comprend aisément que l’éducation peut ajouter d’autres marques qui modifieront l’expression des gènes déjà marqués par héritage. Ainsi, l’obésité et l’anxiété peuvent être à la fois héritées et modulées ou aggravées par l’éducation.

L’hérédité épigénétique intergénérationnelle est définie comme une hérédité qui ne traverse qu’une ou deux générations, alors que la transgénérationnelle est celle qui en traverse plusieurs. Nous avons de nombreuses preuves d’hérédité épigénétique transgénérationnelle chez les plantes, mais encore très peu chez l’homme.

Ainsi, malgré les grandes perturbations environnementales que nous subissons, il semble que la reprogrammation de notre lignée germinale fonctionne encore assez bien pour éliminer les marques épigénétiques les plus délétères.

Pourvu que ça dure…

Références

Chemises et médicaments

9 novembre 2023

Si le fait de porter une chemise rouge était source de quolibets, je pourrais néanmoins en porter une, soit parce que cela me plait, soit parce que les quolibets m’indiffèrent, soit parce qu’une telle chemise me donnerait accès à une communauté dont les avantages seraient supérieurs à l’inconvénient des railleries.

Si les chemises rouges étaient des motifs de haine et de ségrégation, je pense que je les supprimerais toutes de ma garde-robe, et probablement de façon définitive, à moins que la communauté des irréductibles me confère d’énormes avantages, tels que l’accès à des ressources vitales ou à d’importants privilèges de toutes sortes. J’étudierais cependant le rapport bénéfices/risques de la chemise rouge avec autant d’attention qu’il faut pour évaluer le rapport bénéfices/risques d’un médicament dangereux.

Si le port d’une chemise rouge m’exposait à des risques de violence ou de mort, il faudrait alors qu’elle soit un principe identitaire, un support idéologique ou un précepte religieux hors de toute raison pour que je m’obstine à en porter une. Il me faudrait aussi porter des armes ou vivre dans une communauté de porteurs de chemises rouges entourée de fortifications. Une stratégie moins triviale consisterait à inventer des motifs de haine contre les chemises noires pour détourner l’attention des brutes. Cette dernière option présuppose que le potentiel de violence et le nombre de brutes n’est pas trop extensible ; postulat restant encore à confirmer.

De leur côté, les porteurs de chemise noire auraient les mêmes options ; leur dernière option consisterait alors à inventer une troisième couleur cible, cela serait a priori moins efficace, car l’histoire montre que les idéologies et religions identitaires se sont façonnées de façon plutôt binaire. Il est certain qu’un monde avec une infinité de couleurs cibles serait presqu’aussi parfait qu’un monde sans couleur cible.

Enfin, si je n’avais ni la sagesse, ni l’intelligence pour m’interroger sur l’origine de l’impératif identitaire d’une chemise rouge ou noire, le système simple de la cible unique, noire ou rouge, me permettrait précisément de ne pas affronter douloureusement mes limites cognitives. Les idéologies et les religions ont certes une vertu thérapeutique, mais le rapport bénéfices/risques des couleurs de chemise est bien plus difficile à évaluer que celui des médicaments. Pour ma part, j’évite les médicaments, les chemises rouges, et les chemises noires. Prudence ou couardise, précaution ou raison, inconscience ou sagesse, je ne saurais vraiment dire.

référence

Grand pas dans l’histoire des médicaments

30 octobre 2023

Lorsque l’on ignorait la cause des maladies, on essayait d’en soigner les symptômes. La quinine faisait baisser la fièvre et la belladone calmait les maux de ventre. Nul ne savait ni pourquoi ni comment.

Le premier médicament conçu après avoir compris une maladie a été l’insuline en 1921. Puis vinrent les antibiotiques, hormones, vitamines, etc. Tous ces médicaments cumulaient une base théorique solide avec des bénéfices cliniques incontestables.

Puis, avec la compréhension des mécanismes moléculaires intimes de certaines maladies, on a conçu des médicaments à l’efficacité théoriquement prévisible. Le premier exemple est celui des bétabloquants en 1970 pour soigner l’angor, mais ses effets inattendus, bénéfiques sur l’hypertension artérielle et néfastes sur l’insuffisance cardiaque, on fait l’objet de longs débats cliniques. D’autres, comme la L-Dopa pour soigner le Parkinson et les anit-H2 pour soigner l’ulcère de l’estomac sont de beaux exemples de mariage réussi entre théorie et clinique.

Pour les maladies chroniques auxquelles s’intéresse actuellement la médecine (tumorales, neurodégénératives, auto-immunes, cardiovasculaires ou psychiatriques), les théories moléculaires sont multiples et souvent mal étayées, obligeant les fabricants à choisir la plus présentable pour proposer un médicament susceptible d’attirer l’attention des cliniciens. Mais comme le bénéfice clinique global est très difficile ou très long à mettre en évidence, on choisit des critères intermédiaires de preuve, également appelés critères de substitution. Par exemple, on montre qu’un médicament diminue le volume d’une tumeur, qu’il baisse la glycémie ou qu’il modifie l’humeur. Faute de preuves sur la durée de la vie ou de la maladie, ces critères de substitution sont généralement acceptés avec bienveillance par les médecins et vécus positivement par les patients.  Le plus souvent, ces critères intermédiaires font l’objet d’annonces médiatiques enthousiastes, ajoutant à leur vertu temporaire. Quant aux essais cliniques susceptibles de confirmer ou d’infirmer les bénéfices sur de longues durées, ils ne sont tout simplement jamais réalisés.

Un nouveau pas vient d’être franchi. La maladie d’Alzheimer s’accompagne de trois faits moléculaires : fibrilles neuronales, dépôt de corps beta-amyloïdes entre les neurones et présence excessive de protéine tau. Nul ne sait si ces trois faits sont cause ou conséquence de la dégénérescence des neurones. Cependant on a trouvé un anticorps monoclonal qui détruit les beta-amyloïdes. Bien que le fabricant lui-même constate l’absence d’efficacité clinique, ce produit vient d’être autorisé à la vente en raison de son action moléculaire.  

Ainsi, après des médicaments parfois efficaces sans explication, puis des médicaments efficaces basés sur des théories solides, la grande histoire des médicaments vient de franchir une nouvelle étape, celle des médicaments inefficaces basés sur des théories hasardeuses.

On n’arrête pas le progrès.

Bibliographie

Association de malfaiteurs biologiques et économiques

17 octobre 2023

L’héritage parental peut se résumer en quatre points-clés. Le plus connu est l’héritage génétique dont la part relative apparaît de plus en plus faible. Nous héritons aussi des marques épigénétiques que notre père a laissées sur ses spermatozoïdes et notre mère sur ses ovules, plus précisément, des marques qui ne sont pas effacées au moment de la fécondation ; et il y en a beaucoup plus qu’on ne le pensait. Nous héritons aussi des marques épigénétiques de notre vie intra-utérine. Enfin, nous héritons de l’éducation parentale et de l’environnement de notre enfance qui posent aussi leurs multiples marques sur nos gènes et en modulent l’expression.

Longtemps avant ces découvertes, on avait constaté que le comportement des enfants est très dépendant de leur éducation. Il est déjà écrit dans la bible que Dieu punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération.

L’épigénétique a fait beaucoup plus que de cautionner ces évidences. Elle a permis de révéler que les stress vécus par les parents, tels que l’holocauste, les guerres ou les attentats, entraînent des répercussions sur leur progéniture, même si ces évènements ont eu lieu avant la conception.

Les maltraitances infantiles vécues par la mère retentissent sur le volume de matière grise cérébrale de ses enfants et sur la structure des neurones. L’anxiété des mères pendant la grossesse double le risque de troubles psychologiques chez l’enfant. Une étude vieille de 35 ans révélait déjà que les enfants de singes abusés pendant leur enfance étaient plus souvent abuseurs à leur tour. Ce fait a été largement confirmé chez l’homme, tant par l’observation que par l’épigénétique.

Le tabagisme maternel pendant la grossesse laisse des marques épigénétiques qui persistent au moins jusqu’à l’adolescence et augmentent le risque de tabagisme par la suite.   

L’héritage épigénétique de l’obésité et des famines est largement démontré. Les plus connus sont les ravages de l’alcoolisme fœtal et les dramatiques syndromes de sevrage des nouveau-nés de mère droguées. Les antidépresseurs, benzodiazépines et autres psychotropes prescrits pendant la grossesse provoquent également ces syndromes chez les nouveau-nés.

Tout cela permet d’affirmer qu’un enfant adopté à la naissance est certainement plus le vôtre qu’un enfant de vos gènes né par GPA.

Enfin, du côté social, nous découvrons les liens entre le statut économique et des troubles mentaux comme l’hyperactivité ou la schizophrénie. Les social-démocraties des années 1970 avaient réussi à limiter ces inégalités de naissance. Hélas, la droitisation, la financiarisation et la mondialisation tendent à les réaggraver dramatiquement.

Ainsi, la biologie moderne nous fournit des preuves encore plus tangibles du cycle infernal auto-entretenu des inégalités psycho-sociales.

Devant cette cohésion de la biologie, du marché et de la politique, confinant à une association de malfaiteurs, il est plus important que jamais de naître riche et en bonne santé.

Bibliographie

Mots et lieux de l’hystérie

7 octobre 2023

Les noms des maladies ont varié au gré des connaissances. Mais plus souvent, c’est l’ignorance qui a contribué à la valse des noms, particulièrement en psychiatrie. La sémantique de l’hystérie est assurément la plus facétieuse.

Cette maladie que les anciens attribuaient à l’errance de l’utérus est restée exclusivement féminine jusqu’au pittoresque complexe de castration de Freud. Puis, on a fini par admettre qu’elle pouvait aussi être masculine, mais le pénis, les testicules et la prostate n’ont jamais été suspectés d’en être la cause.

Ses symptômes neurologiques sont très impressionnants : paralysies, convulsions, cécité, aphasie, syncopes, dysphagies, déficits sensitifs, douleurs, etc. Mais comme on n’a jamais trouvé de lésion neurologique, on les a nommés troubles somatomorphes, vocable passe-partout pour signifier leur ressemblance avec des troubles somatiques.

La tétanie était le nom donné aux crises d’Augustine, la célèbre hystérique que Charcot exhibait dans son théâtre universitaire. Cette tétanie est devenue spasmophilie, puis enfin « attaque de panique », trouble psychiatrique désormais détaché du registre hystérique.

Les douleurs de l’hystérie ont été longtemps confondues avec celles de la fibromyalgie, un nouveau diagnostic qui a, lui aussi, connu des noms divers : rhumatisme psychogène, polyentésopathie, rhumatisme musculaire chronique, fibrosite, encéphalomyélite myalgique. Le terme actuel est « syndrome polyalgique idiopathique diffus » ou SPID. Notons ici l’adjectif psychogène et le préfixe « idio » signifiant que la cause est inconnue. Enfin un aveu.

La fatigue, les troubles d’attention et de concentration ont été confondus avec le syndrome de fatigue chronique, désormais indépendant de l’hystérie.

Les psychiatres ont modifié l’hystérie en « syndrome de conversion » pour signifier la conversion d’un trouble psychiatrique en trouble physique. Un élégant aveu d’ignorance.

La médecine moderne a tenu à dissocier les convulsions de l’hystérie de celles de l’épilepsie, car l’électroencéphalogramme est toujours normal. EIles ont été nommées « crises non-épileptiques psychogènes » ou CNEP. Encore du psychogène.

Le dernier manuel du parfait psychiatre a rassemblé cet ensemble disparate sous le terme générique de trouble neurologique fonctionnel ou TNF. « Fonctionnel » peut être considéré comme synonyme de « psychogène » ou « idio », en moins explicite !

L’hystérie a désormais une explication savante : anomalie de fonctionnement du système nerveux central caractérisée par une altération de transmission de l’information entre les régions cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle et la représentation de soi d’une part et le système moteur et sensitif d’autre part. Émouvante synthèse.

Ne doutons pas que les mots et classements des symptômes hystériques vont encore changer pour notre bonheur littéraire, car la sémantique de l’ignorance est toujours plus poétique que celle de la connaissance. Tout particulièrement en médecine.

Bibliographie

Santé et PIB

25 septembre 2023

Depuis la révolution industrielle, nos progrès se mesurent à l’aune du PIB qui augmente parallèlement aux biens, techniques et services dont disposent les citoyens pour améliorer leur confort, leur éducation et leur santé. Cet indicateur financier est aussi un bon indicateur sanitaire. En effet, dans la majorité des pays, la santé objective de la population s’améliore lorsque le PIB augmente. La règle s’applique également au niveau individuel : l’état de santé est meilleur chez les individus les plus favorisés économiquement.

Pourtant, depuis quelques années, plusieurs études suggèrent que les perceptions subjectives de santé et de bonheur ne sont plus corrélées au PIB. Les enquêtes des économistes Richard Easterlin et Amartya Sen révèlent que la perception de bonheur et de santé n’augmente plus, voire diminue, lorsque le PIB augmente. Ces études ont été contestées, car au niveau individuel, la corrélation entre statut économique et santé reste forte.

Mais ces querelles sont d’un autre âge, car l’augmentation des inégalités sociales dans tous les pays, riches ou pauvres, vient rebattre les données, tant au niveau populationnel qu’au niveau individuel.

D’une part la subjectivité de bonheur varie en fonction des différences perçues en comparaison avec ses concitoyens. Être pauvre et malade semble plus supportable dans un environnement pauvre qu’en étant entouré de riches en bonne santé.

D’autre part, la santé et le bonheur se dégradent également de façon objective, pour toutes les classes sociales, malgré l’augmentation du PIB. Les raisons en sont variées.

Si l’obésité et le tabagisme sont classiquement liées à la misère, l’alcoolisme, les addictions, le diabète, les troubles mentaux et psychiatriques sont en constante augmentation dans toutes les classes sociales. Les toxiques environnementaux touchent toutes les classes, même si les défavorisées y sont souvent plus exposées. Le coût social et financier de ces maladies est si élevé qu’il annule tous les gains de croissance des dernières décennies.

Les dépistages dégradent la santé subjective, mais la surmédicalisation et la pathologie iatrogène qu’ils entraînent dégrade aussi la santé objective. Ce phénomène paradoxal concerne davantage les riches, plus enclins aux dépistages et plus asservis aux soins. Son coût social et financier est également très élevé et annule les gains de PIB.

 Enfin, l’éducation des parents, classiquement protectrice contre la mortalité et la morbidité infantile, contribue désormais à dégrader la subjectivité de bonheur, car l’anxiété face au désastre écologique est transmise par l’éducation, particulièrement dans les classes favorisées. Cette éco-anxiété entraîne un cortège de troubles psychosomatiques, voire psychiatriques débutant de plus en plus jeune.

De toute évidence, le PIB n’a plus d’impact, ni sur la santé subjective, ni sur la santé objective. Osons même affirmer que la décroissance sera bientôt le meilleur moyen d’améliorer les indicateurs sanitaires. 

Références

Même la course à pied

14 septembre 2023

La médecine antique avait observé les mille vertus de l’exercice physique. Depuis, les preuves se sont accumulées bien au-delà de ce qu’avaient supposé Hippocrate et ses prédécesseurs. L’exercice physique résume la médecine préventive et il surpasse la médecine curative dans nombre de pathologies où nul ne l’aurait imaginé.

Il améliore la quasi-totalité des scores métaboliques, il diminue fortement le risque de tous types de cancers et de troubles mentaux, il retarde l’apparition des maladies neurodégénératives. Il améliore les fonctions cognitives, la qualité du sommeil et les troubles respiratoires. Enfin, il est incroyablement plus efficace que tous les médicaments connus à ce jour dans les maladies cardio-vasculaires, y compris l’insuffisance cardiaque.

Ces assertions ne nécessitent plus de bibliographie, et l’on peut même se demander pourquoi l’on continue à effectuer des recherches.

Hélas, les variétés modernes d’Homo sapiens ont perdu le sens de la mesure, et les bienfaits du sport sont en train de disparaître par la démesure des compétitions et des commerces qu’il engendre.

Le dopage excessif des cyclistes leur a déjà fait perdre plus d’années de vie que leur sport ne leur en a fait gagner. Les anabolisant détruisent les nageuses des dictatures et les culturistes des démocraties. Le sommet de l’Everest est jonché de cadavres d’obsessionnels de la performance. Les plaisirs du jogging se transforment en névroses d’« iron man ».

De tels risques, pour quelques secondes de gloire ou de plaisir, ne seraient qu’anecdotiques sans le commerce lucratif qui s’en est emparé.

Le football ne peut plus se concevoir sans les milliards d’euros qui lui sont indissociablement liés. Il serait malvenu d’évoquer un risque sanitaire lié à l’alcoolisme des supporters, à la violence des stades ou à l’empreinte carbone des vols internationaux. Le rugby, longtemps épargné, sombre à son tour dans ce commerce, ainsi que tous les sports d’équipe. Enfin, leur accessibilité aux femmes, fruit d’un légitime combat égalitariste, est une occasion de doubler le chiffre d’affaires de ces spectacles populaires qu’il serait fou de critiquer.

Inversement, les courses d’endurance, par nature individualistes et dépourvues de spectacle, semblaient devoir être épargnées par ces démesures. Nenni.

Ultra Trail du Mont Blanc, Marathon des sables, ou Iron Man sont des marques déposées et des commerces lucratifs qui cherchent leurs prospects dans des foires. Ces derniers, à la différence des gladiateurs, paient pour aller au bout de l’exténuation, puis ils mourront précocement d’asphyxie par hypertrophie cardiaque.

Ces courses des milliers de gobelets et bouteilles en plastique, ainsi que des voyages aériens sans autre objet que la course d’un jour. Les chaussures de transition du triathlon sont jetées et viennent s’ajouter aux tonnes d’ordure qui jonchent les pistes. Ceux qui ne mourront pas d’hypertrophie cardiaque subiront plus tard l’impact sanitaire négatif de ces empreintes carbone.

Référence

Psychosocial ferroviaire

6 septembre 2023

Nous nous souvenons plus souvent des trains qui sont arrivés en retard que de ceux qui sont arrivés à l’heure. Comme nous tous, j’ai probablement tendance à exagérer ma statistique personnelle, mais je crois pouvoir affirmer que 20% de mes voyages ont subi des retards notables.

Notre pays, pionnier du réseau ferré et de la grande vitesse, voit cet avantage historique annulé par le nombre de grèves de cheminots. Néanmoins, je ne comptabilise pas ces mouvements sociaux dans mes griefs de retard, car ils ont une forme de noblesse qui m’interdit de les inclure dans ma statistique grincheuse. D’ailleurs, ils ne s’évaluent pas en heures, mais en jours, semaines, voire mois. Ils sont donc hors-catégorie.

Lors de mon dernier voyage en TGV, un mort trouvé sur la voie a nécessité une enquête sur place qui a bloqué le trafic pendant 5 heures. L’année dernière, c’était un suicide qui avait provoqué un retard similaire.  Quelques années auparavant, c’était un sanglier qui avait franchi les clôtures de la voie sans idée préconçue de suicide. Un ami vient de vivre la même aventure avec un cerf. Il serait cependant mesquin d’accuser la SNCF d’écocide involontaire. Et puisqu’il est question d’écologie, notons que des écologistes extrémistes sabotent régulièrement des caténaires pour protester contre une nouvelle ligne ou pour en réclamer une dans un désert ferroviaire. Les écologistes aiment aussi bloquer les gares qu’ils partagent volontiers avec des extrémistes de droite et des grévistes sans affinité ferroviaire. Les djihadistes s’en prennent plutôt aux voyageurs et sont à l’origine de retards mémorables.

Venons-en à la médecine et à la santé, mes sujets de prédilection. Au total, mes proches ont vécu cinq retards importants pour l’évacuation sanitaire de trois embolies et deux AVC survenus dans leur train. La psychiatrie n’épargne pas nos réseaux ferrés, puisque trois de mes amis ont eu à faire à des psychotiques en phase délirante qui avaient actionné le signal d’alarme

Récemment, une locomotive a été bloquée en gare de Lyon, car une chatte gestante s’était réfugiée dessous. Des membres de la SPA ont exigé son évacuation douce. Douceur qui a nécessité deux heures de diplomatie féline.

Quant aux phénomènes météorologiques qui perturbent régulièrement le réseau ferré, il est difficile de désigner des responsables. On pourrait reprocher à la SNCF de n’être pas assez prévoyante, mais il faudrait aussi accuser toute l’humanité qui est en partie responsable de ces évènements climatiques extrêmes. Décidément, beaucoup d’extrémismes, d’incuries et d’idéologies convergent vers nos trains.

Mes propos dissimulent assez mal un agacement de citoyen voyageur. Je me dois donc d’y adjoindre une question philosophique : à partir de quel niveau de complexité psychosociale il n’est plus ni nécessaire ni rentable d’investir dans le progrès technologique ?

Je vous invite à y réfléchir pendant vos prochaines heures d’attente dans un train bloqué…

Référence

Artisanat clinique

18 août 2023

Il existe une différence subtile entre un symptôme et un signe clinique. Le symptôme est vécu comme tel par le patient, alors que le signe clinique est découvert par le médecin. La douleur du pharynx est un symptôme, la rougeur des amygdales est un signe clinique ; la constipation est un symptôme, le fécalome est un signe clinique ; la paralysie est un symptôme, l’aréflexie est un signe clinique. Le vomissement et la diarrhée sont des symptômes, la persistance du pli cutané est un signe clinique de déshydratation. 

En dehors de toute radio ou analyse, la pratique clinique consiste à décrypter les symptômes et à détecter les signes cliniques. Un clinicien peut déceler l’intensité d’une douleur passée ou d’un délire par la gestuelle de leur narration. L’oméga mélancolique était décrit par Darwin comme un signe facial de dépression. L’écologie comportementale nous apprend que les mimiques de la douleur sont d’une étonnante constance et ne trichent pas.

Nombreux sont les médecins qui émettent déjà des hypothèses sur le motif de consultation avant même que le patient ne soit assis en face d’eux. D’autres évaluent la gravité d’une douleur abdominale infantile en scrutant les échanges de regard entre la mère et l’enfant.

Certains signes cliniques résultent d’une pratique longue et attentive. Par exemple, le bâillement n’est pas contagieux chez les autistes. L’incapacité à percevoir les sarcasmes est un signe précoce de la maladie d’Alzheimer. La réapparition des réflexes archaïques est aussi un signe de démence sénile. L’impression d’être espionné est un signe pathognomonique (caractéristique) de la schizophrénie. La force de la poignée de main associé au bonjour aide à établir le pronostic d’une dépression.

Le xanthelasma (dépôt cutané d’esters de cholestérol), la calvitie précoce et le signe de Frank (pli diagonal du lobe de l’oreille) sont d’excellents prédicteurs de risque cardio-vasculaire. L’estimation de l’âge biologique en dix secondes est le meilleur prédicteur du risque de fracture ostéoporotique. L’arrêt spontané du tabac chez un gros fumeur de longue date est un signe en faveur d’un cancer du poumon à son début.

Comment un spécialiste peut-il comprendre un malade qu’une secrétaire a fait déshabiller et qu’elle a installé sur la table d’examen sans que le praticien n’assiste à ce cérémonial ? Comment un vrai clinicien pourrait-il envisager une hypothèse diagnostique s’il n’a pas vu le patient arriver, s’il ne lui a pas serré la main et ouvert la porte, s’il ne l’a pas vu s’asseoir, s’il n’a pas vu la gestuelle du premier mot de sa narration, s’il ne l’a pas vu évoluer dans la salle de consultation ?

L’expertise clinique est celle du tourneur qui éprouve le fil du bois, celle du musicien qui transpose une partition à vue, celle du maçon qui évalue une fissure.

La promotion des hospitalo-universitaires se fait sur le nombre de leurs publications, pas sur leur expertise clinique ; il est logique qu’ils ne sachent ni ne veuillent vraiment l’enseigner.

Références