Archive pour le mot-clef ‘technologie’

Cancer vaincu par la banalité

lundi 8 mai 2017

Depuis quelques années, la frénésie du dépistage a multiplié les diagnostics de cancer, jusqu’à créer un insoluble problème de terminologie. Nul ne sait plus comment différencier un cancer dépisté qui ne se serait jamais manifesté, d’un cancer qui s’est manifesté de lui-même. Ce problème est devenu majeur depuis que les études démontrent que les faibles gains de mortalité en cancérologie ne sont pas dus aux dépistages, mais presque exclusivement aux progrès des traitements de cancers évolués.

Cependant, cancérologues et industriels, par déni ou propagande, assimilent certains cancers à des maladies chroniques pour insister sur la longue durée de vie après diagnostic ; ce sont évidemment les cancers dépistés qui entrent dans cette catégorie. Il faudra alors parler de « cancers aigus » pour les autres.

Mais un problème encore plus épineux se profile, déjà évoqué ici, nous serons bientôt tous des cancéreux chroniques, si l’on en juge par de récents progrès théoriques et techniques.

Nous commençons à comprendre la longue série des mutations cellulaires précancéreuses et nous découvrons que ces mutations sont présentes chez de nombreux adultes. En faisant des biopsies de peau saine sur les paupières de 234 jeunes adultes, on a eu la surprise de découvrir que 25% d’entre eux étaient porteurs de mutations précancéreuses. Il est bien évident que la majorité de ces patients « positifs » n’auront jamais de cancer de la peau.

Une technique récemment mise au point par une équipe française permet de détecter les cellules tumorales circulant dans le sang (probablement aussi nombreuses), sans pouvoir encore préciser le type de cancer dont elles seraient éventuellement issues. Pour l’instant, la publicité présente ce test comme un moyen de surveiller les récidives ou métastases des « cancers aigus ». Mais elle souligne insidieusement qu’il pourrait être proposé à une population sans cancer identifié, en prenant cyniquement la peine de préciser qu’il faudrait une prise en charge psychologique en cas de résultat positif indiquant un cancer débutant (ou chronique !)…

Ne doutons pas que le commerce proposera prochainement ce test en dépistage généralisé, induisant des taux de positifs dépassant largement la réalité morbide du cancer.

Mais voilà peut-être la résolution de notre problème terminologique. La rapidité des progrès techniques et la frénésie du dépistage nous conduiront très bientôt à découvrir que 100% de la population adulte est porteuse d’au moins un « cancer chronique ». Le cancer chronique sera alors une banalité et nous pourrons alors abandonner tous les dépistages et consacrer notre énergie à essayer d’améliorer encore le traitement des « cancers aigus » (les seuls vrais), avec gravité, sagesse et lucidité, sans mercatique ni démagogie. Bonheur de refaire enfin de la vraie médecine, pas celle qui augmente la morbidité chez les bien-portants, mais celle qui la diminue chez ceux qui ont vraiment besoin de nous.

Références

Le smartphone qui marche tout seul

lundi 30 janvier 2017

Simon va bien, mais sa mutuelle lui a fait faire un check-up et les analyses ont trouvé une augmentation du LDL cholestérol. Il est ému de voir à quel point sa mutuelle se préoccupe de sa santé.

La solidarité, c’est quand même quelque-chose !

Il va demander l’avis de son médecin de famille qui lui conseille de manger moins gras et moins sucré et de marcher au moins une heure par jour. Simon est déçu d’aussi peu de considération pour son cas.

Il va voir un cardiologue qui lui prescrit des statines qui font miraculeusement baisser le LDL cholestérol. Ce spécialiste lui conseille aussi de vérifier son nombre de pas quotidiens en chargeant une « appli » santé sur son smartphone. Il est vrai que le cardiologue a fait dix années d’études au lieu de huit.

Les études, c’est quand même quelque-chose !

Un jour simon a des crampes en marchant. Il va voir son généraliste, car il n’y a pas de spécialiste des crampes. Son médecin lui explique que c’est à cause des statines, il doit donc choisir entre marcher et prendre des statines, entre contrôler son LDL ou contrôler ses pas sur le smartphone. Simon croit percevoir un peu d’ironie, lorsque ce vieux médecin prend la peine de préciser qu’il n’est pas hostile au progrès.

Peu après, en fouillant sur internet, Simon découvre une nouvelle « appli » qui peut enregistrer automatiquement des pas sur un smartphone immobile. Génial. Ce qui fait que Simon pourra se maintenir dans les normes, aussi bien pour son LDL que pour le nombre de ses pas.

La technologie c’est quand même quelque-chose !

Un jour, simon ressent une inquiétante douleur thoracique en regardant un match à la télé, il appelle son vieux médecin, mais celui-ci a pris sa retraite sans trouver de successeur et un répondeur téléphonique lui dit d’appeler le 15. Ce qu’il fait. Aussitôt, toute une équipe médicale arrive dans un fourgon blanc. Simon est vivement impressionné par cet altruisme à gyrophare.

Le progrès social, c’est quand même quelque-chose !

Que les Simon me pardonnent, ce Simon-là est un personnage fictif.

La fiction, c’est quand même quelque-chose !