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Réductionnisme réducteur

lundi 7 novembre 2016

Dans son discours de la méthode, Descartes a argumenté sur la nécessité de décomposer les objets d’études en autant de parcelles qu’il était possible, pour trouver des lois et des explications à partir du plus simple ou du plus petit. Puis, en recomposant la chaîne des relations entre les parties, on pouvait comprendre l’ensemble. Ce précepte, connu sous le nom de réductionnisme scientifique, a été très efficace en physique. Comprendre les particules élémentaires a permis de mieux comprendre la matière et ses propriétés physico-chimiques.

Pendant longtemps, les vitalistes ont refusé d’appliquer cette méthode aux sciences de la vie, au prétexte que la matière vivante n’était pas réductible à ses propriétés physico-chimiques, car elle recelait, en plus, un « souffle vital » inaccessible à toute exploration physique.

Mais, avec le développement de la génétique et de la biologie moléculaire, il est apparu que le réductionnisme pouvait aussi s’appliquer avec un certain succès à la matière vivante. Puis, l’épigénétique a redonné de la vigueur au vitalisme en montrant que le gène ne pouvait pas tout expliquer. Mais on s’est vite aperçu que l’épigénétique elle-même se réduisait à seulement deux ou trois réactions biochimiques.

Avec de tels succès, le réductionnisme scientifique a été érigé en dogme. Aucune science ne peut désormais lui échapper.

La médecine clinique, elle aussi, en devenant science biomédicale, est irrésistiblement devenue réductionniste. Comme les vitalistes d’antan, les cliniciens ont fait de la résistance, au prétexte que les symptômes cliniques ne peuvent pas être réductibles à des lésions anatomiques, génétiques ou moléculaires. Mais ils ont fini par se soumettre à leur tour.

Ce réductionnisme a été d’autant plus efficace en médecine qu’il a vite démontré une efficacité marchande dépassant de loin ses capacités explicatives. On a progressivement oublié que la plupart des maladies résultaient de plusieurs facteurs dont l’importance relative était difficile, voire impossible à déterminer. Aujourd’hui le monofactoriel et le réductionnisme dominent l’épistémologie du soin : un LDL égale un accident vasculaire, un PSA égale un cancer de la prostate, une protéine tau égale une maladie d’Alzheimer, un BrCa1 égale un cancer du sein, un helicobacter égale un ulcère.

Quel confort pour le clinicien qui n’a plus à se compromettre dans des explications hasardeuses relatives à l’individualité de son patient, ni à lui poser d’indiscrètes questions sur son environnement social ou culturel. Il lui suffit désormais de déplier devant ses yeux l’argumentaire clinique élaboré par le marchand, copie conforme du dépliant du visiteur médical. La réduction des capacités cognitives est telle que j’ai même vu de grands universitaires se contenter d’un copier-coller.

Le réductionnisme clinique est devenu réducteur à tous les sens du terme.

Références