Archive pour le mot-clef ‘espérance de vie’

Brève pharmacologie de la longévité

lundi 3 décembre 2018

Au Danemark, la dépense en médicaments est de 200 € par an et par personne pour une espérance moyenne de vie de 80,6 ans. Les Pays-Bas, avec une dépense de médicaments un peu plus élevée de 365 € atteignent une espérance de vie de 82 ans. La France, pour 425 € annuels de médicaments par personne arrive à une espérance de vie de 82.5 années. On aurait envie de voir continuer cette belle corrélation pour connaître le budget pharmaceutique d’une population centenaire, hélas la progression perd brutalement de son charme, car l’Allemagne qui atteint une dépense de 480 € a une espérance moyenne de vie de 81 ans, à peine supérieure à celle du Danemark. Et au sommet de cette série se trouvent les USA qui, avec une dépense de 725 € de médicaments par an et par personne (presque deux fois celle de la France et quatre fois celle des Pays Bas), ont une espérance de vie d’à peine 78 ans.

Cette corrélation se traduit par une courbe dite en « U inversé ». Ce qui signifie que, pour le cas où existerait une relation de causalité entre le budget pharmaceutique d’un pays et l’espérance moyenne de vie de ses habitants, ce ne serait que jusqu’à un certain montant au-delà duquel, la courbe s’inverse et l’espérance de vie diminue.

Je reconnais la faiblesse clinique de cette démonstration et la probable ténuité du lien entre pharmacie et espérance de vie.

Par ailleurs, à l’intérieur d’un même pays, ce sont ceux qui consomment le plus de médicaments qui ont la plus courte espérance de vie. Cette nouvelle corrélation peut être analysée de deux façons grossières. La première est d’accuser méchamment les médicaments de diminuer la durée de vie. La seconde est de suggérer que les plus gros consommateurs de médicaments sont ceux qui avaient la santé la plus fragile, donc la plus faible espérance de vie. La première analyse est injustement agressive envers les médicaments, bien qu’ils soient une cause majeure de mortalité. Si la seconde analyse semble plus honnête et plus réaliste, on peut néanmoins affirmer que les médicaments ne suffisent pas à combler le déficit initial d’espérance de vie.

Pour donner un peu plus de rigueur à cette courte dialectique, nous pouvons appliquer le principe de consilience. Lorsqu’aucune démonstration n’est suffisante à elle seule, ce principe consiste à juxtaposer plusieurs hypothèses indépendantes concourant à mieux cerner un phénomène.

La consilience nous permet alors de conclure avec parcimonie que les médicaments ne sont manifestement pas la meilleure option pour la vie éternelle.

Références

 

La science fait son marché

mardi 29 novembre 2016

En 1971 en lançant le « National Cancer Act » le président Richard Nixon s’engageait à vaincre le cancer dans les prochaines années. En septembre 2016, l’entreprise Microsoft a fait l’annonce d’un immense programme pour vaincre le cancer, dans le cadre de son grand plan promotionnel basé sur le transhumanisme et sa fantasmagorie. Poussant plus loin dans l’annonce, l’entreprise Facebook vient de proposer un plan d’éradication de la totalité des maladies avant 2100.

On peut sourire de l’optimisme grivois, de l’altruisme flamboyant, du romantisme populaire ou de l’aplomb cynique de ces marchands et démagogues ; mais reconnaissons volontiers qu’ils suscitent et financent la recherche.

On peut leur reprocher de faire des promesses intenables, sans jamais analyser le ratio des résultats sur les promesses. Ils nous rétorqueraient avec raison que les progrès ne cessent jamais et qu’il faut exiger beaucoup pour obtenir peu.

On peut leur opposer la froide rigueur de la science qui prend le temps d’observer et de constater avant de spéculer, alors qu’ils ne prennent aucune précaution dans leur fuite en avant.

Pourtant, à y regarder de plus près, la science et le marché procèdent de la même façon. Tous deux induisent, expérimentent, analysent et déduisent. La différence tient aux objets de ces inductions et déductions.

La science analyse l’objet « cancer » et cherche constamment à le redéfinir. Le marché analyse l’objet « impact du cancer sur les esprits ». La science analyse le paradoxe entre la diversité constante des maladies et l’augmentation régulière de l’espérance de vie. Le marchand observe que l’augmentation de l’espérance de vie exacerbe la demande de soins.

Cette différence d’objet confère une grande supériorité au marché, car il atteint presque toujours son but. Dans vingt ou trente ans, Microsoft et Facebook bâtiront un nouveau plan promotionnel identique au premier, en constatant le succès de l’investissement passé et la permanence de la demande.  Les scientifiques relativiseront les échecs et les succès pour développer de nouvelles façons de penser.

Cessons là cette théorisation abstraite, car en matière médicale, la dichotomie n’existe plus, la science, la démagogie et le marché travaillent ensemble depuis plus d’un siècle. Ne nous en plaignons pas, puisque l’ensemble n’a pas trop mal fonctionné.

Il nous faut pourtant encore plus de vigilance scientifique, car une nouvelle réalité est en train d’apparaître. Parmi les pays développés, c’est dans celui de Facebook et de Microsoft que l’espérance de vie devient la plus faible, que le niveau cognitif régresse le plus vite et que le rêve du transhumanisme échoue le plus lamentablement.

A l’heure où le créationnisme entre à la Maison Blanche, et même si le marché médical a un bel avenir, pour eux comme pour nous, ne faut-il pas s’inquiéter que leur science marchande pénètre notre santé après avoir échoué pour la leur ?

Références

Qui est fournisseur de vie ?

lundi 21 novembre 2016

Dans nos pays, l’hygiène du corps, de l’eau et des aliments a certainement fait gagner quinze ans d’espérance moyenne de vie à la naissance (EMVN) ; les vaccinations, autant, et les antibiotiques ont ajouté quelques années à ce bilan. Ces chiffres sont considérables, car la population bénéficiaire de ces progrès a été celle des enfants dont la survie a mathématiquement le plus fort impact sur les chiffres de l’EMVN. La mortalité des enfants de moins de 1 an était encore de 25% en 1925, contre 0,4% aujourd’hui.

Enfin les progrès de l’habitat, de l’éducation, et des conditions de travail ont grandement contribué à faire passer l’EMVN de 25 à 70 ans entre 1750 et 1950.

Dans la douzaine d’années d’EMVN que nous avons gagné depuis 1950, les progrès socio-économiques ont certainement été les premiers contributeurs. Quant aux progrès médicaux, il faut en scinder les bénéfices entre directs et indirects. Les vaccins, les médicaments et la chirurgie sont des interventions médicales directes sur les individus. La diminution du tabac ou des sucres, la réhabilitation du sport ou de l’allaitement maternel sont des actions indirectes, médiées par une meilleure connaissance. L’impact sur l’EMVN est mathématiquement plus faible en raison de l’âge plus élevé des nouveaux bénéficiaires. Cependant, la médecine indirecte a un impact encore significatif, car elle peut concerner des jeunes : allaitement du nourrisson, sport de l’enfant, tabagisme des adolescents, alimentation du jeune adulte. Quant à la médecine directe, son impact est devenu dérisoire, car il concerne majoritairement des âges encore plus avancés. Le gain d’EMVN par dépistage et traitement des cancers est estimé à deux ans. Les cinq ans gagnés par baisse des maladies cardio-vasculaires sont surtout d’ordre indirect (sport, alimentation, tabac, etc.) et très peu direct (anticoagulants, pontages, etc.).

L’EMVN des Occidentaux atteint sa limite, liée, d’une part, à la longévité de notre espèce, et d’autre part, à sa variabilité individuelle. Ce phénomène est connu sous le nom de « rectangulation » de la courbe d’espérance de vie : le nombre de centenaires augmente, mais le record de longévité ne bouge pas.

Les conclusions s’imposent : la médecine directe est dans une impasse, la médecine indirecte a encore quelque marge de manœuvre, mais l’essentiel du progrès sanitaire réside dans les progrès socio-économiques et politiques. Hélas, notre pays, classiquement fier de sa protection sociale, enregistre, depuis quelques décennies, une très forte augmentation des inégalités sanitaires, étroitement corrélée à celle des inégalités socio-économiques.

Je suis désolé pour mes confrères qui ont fait des années d’études pour comprendre les maladies neurodégénératives ou réussir des angioplasties transcutanées, mais le pouvoir de fournir de la vie appartient désormais quasi exclusivement aux sciences politiques et économiques.

Références

Argument de l’espérance de vie

mardi 4 juin 2013

Analyser et critiquer nos actions est source de progrès.

Dans le domaine médical, où cette analyse critique est indispensable, un argument revient souvent de façon péremptoire : « Toute critique est infondée, puisque l’espérance de vie augmente ».

Refus dialectique, et normativité proche de la naïveté, sont les traits dominants de ce type d’argumentation.

L’espérance moyenne de vie à la naissance est un indicateur sanitaire correspondant à la moyenne des âges des décès enregistrés au cours d’une année. Toute action qui diminue le nombre de morts prématurées ou qui retarde l’âge des morts non prématurées, influence positivement cet indicateur. Les actions sur les décès des jeunes (mortalité néonatale, accidents de la route, etc.) se répercutent immédiatement dans l’indicateur de l’année examinée. Inversement, les actions de protection maternelle, éducation sanitaire, hygiène, alimentation, vaccinations, etc., se répercutent avec un retard de plusieurs décennies.

L’erreur la plus grossière est de sous-entendre que les actions sanitaires sont les seules ou les principales sources de production d’années de vie. Plusieurs sociologues et démographes ont essayé d’évaluer la part de la médecine dans l’indicateur d’espérance moyenne de vie. Les résultats sont très divergents. La seule certitude est le gain de vingt ans, au moins, que l’on peut attribuer à la « révolution pastorienne » : vaccins, hygiène et antibiotiques.  Ensuite, il apparaît que les conditions de travail, de logement et de transport, le progrès social, l’éducation, et l’hygiène d’alimentation et de vie, ont joué un rôle très prépondérant.

Enfin, il convient de faire la part entre l’action médicale directe et son action indirecte. Certes, c’est bien la médecine qui a dicté certaines règles d’hygiène de vie et qui a établi les dangers du tabac. Mais aujourd’hui, l’éradication définitive du tabac n’est plus du ressort des médecins, alors qu’elle représente possiblement un gain de cinq années pour ce seul indicateur sanitaire. À titre de comparaison, toutes les actions conjuguées de la médecine sur les cancers cliniques, représentent un gain qui se mesure à peine en jours ou en semaines sur l’espérance moyenne de vie de toute une population.

En plus de sa misère dialectique, l’argument normatif de l’espérance moyenne de vie est décidément de bien peu de pertinence dans l’évaluation de nos actions médicales « directes » et « actuelles ».