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Enthousiasme à court et long terme

samedi 14 avril 2018

Les plus grands succès de la médecine se sont établis dans le court-terme. La chirurgie de guerre a stoppé la gangrène et les hémorragies. Les césariennes ont sauvé des millions de femmes et de nouveau-nés. L’héparine a empêché la mort immédiate par embolie. La vitamine C a guéri le scorbut en quelques jours. Les antibiotiques ont rayé de la carte en quelques mois les morts par syphilis, pneumonie, choléra, méningite ou septicémie. L’insuline a empêché les diabétiques de type 1 de mourir avant l’âge de 20 ans. Les neuroleptiques ont calmé les délires en quelques minutes. La morphine a neutralisé les agonies terminales. Dans cette liste incomplète des triomphes du XX° siècle, la seule exception concerne les vaccins qui ont donné l’audace du long-terme.

Alors, la médecine, forte de tous ces incontestables succès, a osé aborder plus résolument le long-terme. Elle a opté pour les maladies tumorales, neurodégénératives ou cardio-vasculaires, celles qui nous tuent inévitablement un jour.

Mais, en médecine, la longue temporalité est cliniquement et scientifiquement ingrate, car la preuve y est très difficile. Comment prouver, (hors les règles immuables d’hygiène de vie), que ce que nous faisons aujourd’hui sera bénéfique dans 20, 30 ou 40 ans ? Pour ces maladies multifactorielles de la sénescence, la méthode consiste à mettre en lumière un facteur et à en montrer la variation par action médicale. Ce réductionnisme scientifique est peu satisfaisant, mais l’opinion publique, éblouie par les succès médicaux passés, ne voit pas la forêt de facteurs qui se cache derrière le facteur unique ainsi mis en lumière. En évinçant la science, cet enthousiasme populaire ouvre la porte aux excès.

Dans le même temps, les objectifs à court-terme de la médecine ont changé de nature. La pilule répond à une exigence immédiate, mais elle laisse les femmes atteindre dangereusement l’âge de l’infécondité. Les césariennes et déclenchements d’accouchement atteignent un nombre qui outrepasse les nécessités de court-terme et induisent de multiples pathologies à long terme pour la mère et l’enfant. La réussite d’une FIV est un succès immédiat qui néglige les pathologies qui en découlent. Les succès à court-terme sur les très grandes prématurités sont pourvoyeurs de pathologies à long terme. La pharmacologie préventive apparaît souvent plus nuisible qu’utile à long terme, sans compter ses risques à court-terme. Le dépistage généralisé fait difficilement la preuve de son efficacité à long terme, tout en induisant une morbidité vécue à court terme. La liste est longue de ces nouvelles actions médicales où la preuve à court-terme, souvent illusoire, perturbe l’analyse des preuves à long terme.

Nous pouvons encore espérer que la médecine améliore un peu notre quantité-qualité de vie, mais pour la sérénité que la preuve exige, il faudrait pouvoir contenir l’enthousiasme naïf des patients pour le long terme et l’obsession structurelle des médecins pour le court-terme.

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