Archive pour le mot-clef ‘EBM’

EBM et maladies chroniques

samedi 2 mars 2019

« EBM » est le sigle de « evidence based medicine » ou « médecine basée sur les preuves ». Ce concept promu dans les années 1960 recèle une insulte envers nos ancêtres médecins. Tous les diagnostics étaient déjà basés sur de solides preuves depuis la méthode anatomoclinique qui a fondé la médecine moderne dans les années 1800. La majorité des médicaments efficaces (insuline, antibiotiques, corticoïdes, aspirine, vitamines, vaccins, héparine, morphine, diurétiques, neuroleptiques, etc.) ont été découverts avant l’EBM.

S’arroger ainsi une rigueur qui existait depuis longtemps est une impudence qui peut cependant s’expliquer. Auparavant, la médecine gérait des pathologies monofactorielles dont les symptômes étaient vécus (infections, traumatismes, carences, épilepsie, etc.). Puis, au cours du XX° siècle, elle s’est intéressée à des maladies plurifactorielles : tumorales, neurodégénératives, immunologiques, psychiatriques, métaboliques et cardiovasculaires. Toutes caractérisées par une évolution lente et des symptômes erratiques rendant la preuve empirique impossible. Comment prouver que détruire quelques cellules cancéreuses, faire baisser la pression artérielle ou le cholestérol augmente la quantité-qualité de vie ?

Pour convaincre les médecins et les patients, il fallait remplacer la preuve individuelle vécue par une preuve populationnelle et probabiliste. L’idée était bonne, l’outil statistique valide et le paradigme séduisant. C’est pourquoi, depuis un demi-siècle, l’EBM et ces maladies dites « chroniques » monopolisent la pensée médicale.

Il est temps d’oser quelques raisonnables critiques.

Définir une maladie aux symptômes concrets était déjà difficile, c’est désormais impossible puisqu’une majorité de ces « maladies chroniques » ne sont jamais vécues (hypertension, hyperglycémie, cancer dépisté, etc.).

Les gains de quantité de vie sont négligeables et souvent non évaluables (le traitement d’une hypercholestérolémie par statine ne peut rivaliser avec celui du scorbut par la vitamine C ou d’une septicémie par la pénicilline)

Les gains de qualité de vie sont nuls ou négatifs (l’annonce d’un cancer non vécu est une perte, alors que la suppression des délires par un neuroleptique était un gain pour le patient et sa parentèle)

Les statistiques et publications ont accumulé des biais et tricheries si effarants que toute la pratique médicale en devient suspecte.

Considérons encore plus pragmatiquement l’échec global sur ces « maladies chroniques ». Si la médecine peut être fière d’avoir supprimé la variole, le pied-bot et le bégaiement, elle ne le peut pas pour des maladies dont la prévalence augmente (Alzheimer, myopie, obésité, cancer ou dépression). Même si certains facteurs sont sociétaux, cela reste un échec pour ceux qui en revendiquent la charge.

Enfin, reprocher le diagnostic trop tardif de maladies chroniques est antinomique, voire ubuesque. Après avoir insulté les médecins du passé, l’EBM récidive avec ceux d’aujourd’hui.

Références

https://lucperino.com/621/ebm-et-maladies-chroniques.html

Domination du placebo sur toutes les médecines

mardi 28 novembre 2017

Beaucoup de médicaments ont une base théorique expliquant leur action. Les bétabloquants bloquent les récepteurs béta du cœur et des artères, les antibiotiques tuent ou affaiblissent les bactéries, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) permettent un meilleur passage de la sérotonine au travers des synapses, ou encore les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) diminuent la sécrétion d’ions acides H+ dans l’estomac.

Cette base théorique se confirme souvent dans la pratique en modifiant le cours des symptômes ou des maladies. La théorie ne se confirme pas toujours, en raison de facteurs individuels du patient (génétiques, autres maladies, etc.) ou d’interactions métaboliques médicamenteuses ou alimentaires. Parfois l’action réelle concrète diffère beaucoup de l’action théorique.

A ces deux actions, théorique et concrète,  s’ajoute l’action placebo, qui est souvent la plus importante en pratique. Même l’aspirine ou les antibiotiques ont une action placebo venant compléter leur action réelle. Les thérapies ciblées en cancérologie ont aussi un effet placebo, lié au contexte émotionnel du cancer.

Mais seule doit vraiment compter l’action réelle sur la maladie à plus long terme. Par exemple les ISRS peuvent modifier momentanément l’humeur, mais ne changent rien au long cours des dépressions. Les thérapies ciblées en cancérologie peuvent réellement faire « fondre » une tumeur sans changer le pronostic du cancer, ni allonger la durée de vie du patient.

Là se trouve toute la difficulté de la preuve en médecine. Il est quasi impossible statistiquement d’apporter la preuve d’un médicament sur la qualité et sur la quantité globale de vie. La médecine empirique des anciens, qui se contentait de preuves à court terme (disparition ou modification d’un symptôme), a été remplacée par une médecine dite « basée sur les preuves », née dans les années 1960, qui se contente de critères intermédiaires (diminution du volume d’une tumeur, baisse d’un chiffre d’analyse biologique). Le réductionnisme empirique du court-terme a été remplacé par un réductionnisme scientifique pour éluder les difficultés de la preuve à long terme. Le premier réductionnisme a vu naître les vitamines, la cortisone, toutes les hormones, les anticoagulants, les vaccins, les antibiotiques, les neuroleptiques, et la plupart des grands succès médicaux ayant soulagé et sauvé des millions de patients. Le second réductionnisme, imposé par le besoin de labellisation administrative et juridique des preuves, est bien loin d’afficher un tel palmarès.

Cependant, ces preuves partielles ont un « vernis » qui plait au patient et lui fait oublier son unique souhait : gagner de la quantité-qualité de vie. Enfin, ces preuves partielles ont aussi un puissant effet placebo venant s’ajouter à celui du médicament.

En médecine, aucun réductionnisme ne peut échapper à la domination de l’effet placebo.

Références

Biais de participation

samedi 14 janvier 2017

Une étude sociologique dans les usines électriques Hawthorne a été réalisée dans les années 1920 pour étudier différents facteurs susceptibles d’augmenter la productivité des ouvrières. Pour cela, les ateliers avaient été séparés en deux groupes, les uns où les conditions de travail avaient été améliorées, et les autres qui servaient de témoins.

Les expérimentateurs eurent la surprise de constater, d’une part, que la productivité augmentait aussi dans les ateliers témoins, et d’autre part, qu’elle ne diminuait pas lorsque les améliorations étaient supprimées en cours d’expérimentation.

Ainsi, les ouvrières étaient motivées par le seul fait de participer à l’expérience, soit par émulation,  soit par une meilleure estime de soi.

Cet effet nommé « effet Hawthorne » est un biais de participation. Le seul fait de participer à une étude améliore les résultats indépendamment des facteurs concrets de l’expérimentation.

Dans les études cliniques, l’équivalent est le biais de consentement : donner son accord signé pour participer à un essai clinique modifie les résultats thérapeutiques. Ce biais de consentement vient s’ajouter à l’effet placebo usuel de tous les médicaments, mais il en diffère, car on le constate aussi dans de simples études observationnelles dépourvues de toute prescription. Par exemple, lors d’une enquête de suivi après un accident vasculaire, le groupe consentant était suivi par un questionnaire direct, le groupe non consentant était suivi par l’intermédiaire du médecin traitant (sans rompre le secret d’identité). On s’est rendu compte par la suite que la comparaison entre les deux groupes était impossible, car ils étaient très différents dès le départ. Ceux qui avaient donné leur consentement étaient moins gravement atteints. Ainsi, le fait d’accepter de participer à une étude peut être considéré comme une forme d’optimisme sur son propre cas, et le fait de refuser peut être une forme de conscience de la fatalité.

Cet effet Hawthorne et ces biais de consentement ont une importance majeure dans l’épistémologie de la médecine, puisqu’ils empêchent de connaître l’évolution naturelle des maladies. Il en est exactement de même pour l’évolution des bien-portants en cas d’intervention médicale préventive.

Ce fait prend beaucoup d’importance à une époque où les prescriptions aux bien-portants deviennent majoritaires. Quelle que soit notre opinion sur les risques ou les bienfaits de la pharmacologie préventive, nous n’aurons probablement jamais les moyens scientifiques de savoir si la médecine prolonge ou diminue la vie des bien-portants.

Réjouissons-nous tout de même de pouvoir vérifier qu’elle améliore la vie des malades.

Bibliographie

Exercice mathématique et mercatique autour de l’Alzheimer

lundi 11 août 2014

La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. En épidémiologie, il s’agit d’un pourcentage énorme, surtout pour une maladie aussi invalidante.

Piètre réconfort : elle survient à un âge avancé, presque toujours supérieur à 65 ans. Cet âge étant défini comme borne de la mort prématurée, la maladie d’Alzheimer n’est donc responsable que de morts non prématurées.

A l’heure actuelle, aucun médicament commercialisé n’a d’efficacité sur le cours global et le pronostic de cette maladie neuro-dégénérative. L’idée est donc de la prévenir, à défaut de pouvoir la guérir. Les investissements et les recherches abondent dans cet objectif, et aboutiront certainement à plusieurs nouvelles molécules commercialisables.

Nous savons depuis longtemps que « commercialisé » ne veut pas dire efficace. L’autorisation de mise sur le marché repose sur deux critères principaux : modèle théorique d’action et preuve de l’efficacité par essai clinique randomisé.

Les modèles théoriques d’action sur la maladie d’Alzheimer ne manquent pas : protéine tau, dépôts amyloïdes, et (trop) nombreuses pistes génétiques (APOE, APP, PSEN, BDNF, SORL1, CLU, BIN1, etc. ; il y a actuellement plus de 25 régions génomiques impliquées) !

Quant aux essais cliniques, il est quasi impossible de prouver l’efficacité d’un médicament curatif, et a fortiori préventif, sur une pathologie plurifactorielle d’apparition tardive, souvent associée à d’autres pathologies, chez des patients polymédicamentés, car il y a toujours trop de facteurs de confusion. Pour réaliser cet exploit, il faudra d’autres « ressources » qui ne dépendent pas de la science exacte. Mais soyons certains que les marchands y parviendront.

Une fois la molécule mise sur le marché, elle n’aura, par contre, aucun problème à prouver son efficacité. Reprenons notre propos à son début. Cette pathologie concerne 15% des sujets de plus de 75 ans. Le corollaire est l’absence de cette maladie chez 85% d’entre eux. La molécule en question sera inévitablement vantée et considérée comme efficace chez 85% des sujets qui l’auront prise !

D’aucuns trouveront cet humour mathématique bien sombre pour un drame social et familial de cette importance. C’est vrai, le drame est réel. C’est pourquoi le clinicien que je suis tient à rappeler que les exercices cognitifs, la marche, la socialisation et le toucher sont pour l’instant les seules méthodes ayant fait la preuve d’une très légère efficacité sur l’apparition et le cours de cette maladie. Et surtout, que l’apparition d’une molécule pour une pathologie chronique quelconque s’accompagne irrémédiablement d’un recul des actions préventives non pharmacologiques, donc d’un recul de la prévention.

Telle est la réalité du terrain, il est utile de la rappeler.

Science impossible du dépistage

vendredi 14 février 2014

Actuellement, les dépistages « organisés » ou « de masse » des cancers – donc sans ciblage personnalisé – sont fortement remis en cause par des études qui révèlent leur faible impact sur la santé individuelle et publique.

Les résultats « officieux » des études les plus crédibles diffèrent selon le cancer considéré : rapport bénéfice/risque positif pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, neutre ou très faiblement positif pour le sein, neutre pour le mélanome, négatif pour la prostate, l’ovaire et le poumon, et encore indéterminé pour le côlon (trop récent).

Lorsque les études essaient, malgré la difficulté, de tenir compte des surdiagnostics, des surtraitements et d’autres facteurs de diminution de la qualité de vie, les résultats sont encore plus médiocres.

Mais ces études négligent encore deux autres éléments importants. D’une part, la baisse de mortalité due à l’amélioration des thérapeutiques médicales et chirurgicales des cancers évolués. D’autre part, les bons résultats de certaines politiques de prévention, telles que la diminution des traitements hormonaux de la ménopause, pour le cancer du sein, ou la limitation du tabagisme, pour tous les cancers.

Comme les trois actions : dépistage de masse, thérapeutiques efficaces et mesures préventives sont combinées au sein des populations étudiées, il est de plus en plus difficile d’évaluer la part de chacun dans les variations de mortalité et de létalité. D’autant plus que les thérapeutiques efficaces le sont sur des cancers évolués ou métastatiques, ceux où la létalité est la plus forte, et non sur des cancers dépistés où la létalité est logiquement très faible.

Pour des raisons éthiques, ni les thérapeutiques ayant la moindre efficacité, ni les mesures de prévention, ni les dépistages ciblés, ne peuvent être interrompus. La seule façon de connaître l’efficacité réelle des dépistages de masse, serait de les interrompre pendant quelques années.

Bien que cela soit éthiquement acceptable, au vu de leurs résultats médiocres, cela est politiquement, humainement et pratiquement impossible, en raison de deux convictions intimes partagées par tous les patients et de nombreux médecins. 1/ Une tumeur ne se serait jamais développée si elle avait été dépistée à temps. 2/ La « guérison » d’un cancer dépisté est attribuée au dépistage plus qu’à l’évolution naturelle ou à l’efficacité thérapeutique.

Les statistiques « contre-intuitives » susceptibles d’ébranler ces deux convictions devraient avoir des niveaux de preuve et de significativité largement supérieurs aux niveaux actuels. Comme nous venons de démontrer que de telles études sont désormais impossibles à réaliser, il nous faut admettre que la vérité sur les dépistages de masse ne nous sera jamais accessible.

Pour chaque citoyen en bonne santé, tout dépistage est un pari individuel, aux ressorts intuitifs et idéologiques, qu’aucune science ne pourra jamais ni cautionner ni contester.

Référence