Archive pour le mot-clef ‘dépression’

Dépression : un traitement n’est pas un diagnostic

vendredi 16 mars 2018

Une étude vient de conclure à l’efficacité des antidépresseurs dans la dépression. Il s’agit d’une méta-analyse dont le principe consiste à relire les résultats des essais cliniques les plus sérieux pour en globaliser les résultats en éliminant tous les biais possibles d’analyse et d’interprétation. C’est actuellement le plus haut niveau de preuve existant. Chaque médecin doit donc en tenir compte dans sa pratique.

Certains pourraient s’étonner que l’on cherche encore à prouver l’efficacité des antidépresseurs, plus de cinquante ans après leur découverte. Il faut au contraire se féliciter de ce dynamisme de la pharmacologie clinique. D’autres pourraient s’étonner de découvrir de précédentes méta-analyses arrivant à des conclusions inverses. Mais, comme toute science, les méta-analyses sont toujours perfectibles. La critique la plus acceptable est celle d’une médiatisation toujours supérieure des études positives, mais ce classique et incorrigible défaut ne change rien à la réalité clinique, même s’il modifie la perception des médecins et des patients.

Mais dans le sujet très sensible de la dépression, c’est ailleurs qu’il faut développer notre esprit critique.

Les deux grands domaines de la médecine sont le diagnostic et le soin. Le premier étant l’exclusivité des médecins, le second étant partagé avec les pharmacologues, les thérapeutes officiels et officieux et tous les proches. Dans le paradigme actuel de la « médecine basée sur les preuves », la preuve doit concerner les deux domaines : diagnostic et soin. En effet, un résultat clinique ne pourra jamais constituer une preuve si le diagnostic initial est erroné.

Les patients sélectionnés par cette analyse étaient atteints de dépression unipolaire sévère, autrefois appelée mélancolie. Cette grave maladie est heureusement assez rare. L’étude confirme avec raison que la plupart des antidépresseurs s’y révèlent plus efficaces que les placebos.

Le reproche que l’on peut faire, non pas à l’étude, mais à son excessive médiatisation, est que le terme de « dépression » a des significations très différentes pour les spécialistes, les pharmacologues, les praticiens et le public. De nombreux diagnostics de dépression sont erronés. Les antidépresseurs sont inefficaces et addictogènes dans les dépressions bénignes, et ils sont dangereux dans les dépressions de la maladie bipolaire.

Voilà donc une étude qu’il eut mieux valu ne pas mettre entre toutes les mains. Car les différentes et multiples dépressions sont encore très loin d’avoir atteint une stabilité diagnostique dans le monde médical. Certains patients pourraient être déviés vers des traitements efficaces au prétexte qu’ils existent, bien que leur dépression soit hors-sujet.

C’est un peu comme si l’on vantait la qualité de l’oxygène dans un service de réanimation dépourvu d’assistance respiratoire.

Références

Seuil du deuil

lundi 9 mai 2016

Pleurer la mort d’un proche est-il pathologique ?

Nul ne s’était jamais posé une aussi stupide question. Puis, lorsque la psychiatrie a fait son entrée à l’université, les médecins ont été incités à considérer qu’un deuil pouvait être un trouble dépressif s’il durait plus de deux ans.

La psychiatrie est une science clinique bien difficile à formaliser, les maladies sont presqu’aussi nombreuses que les individus et les multiples écoles ont eu des avis différents sur les noms à leur donner. Petit à petit, les marchands de psychotropes ont comblé ce vide en formatant des experts chargés de rédiger des manuels de psychiatrie plus consensuels et plus faciles à lire que les vieux charabias de la psychanalyse.

Même si le but véritable était de transformer la psychiatrie en une science pharmacologique, on ne peut pas reprocher à ces industriels d’avoir essayé de mettre de l’ordre là où les médecins et leurs universités avaient échoué à en mettre.

Les vieux routards de la psychiatrie ont d’abord violemment protesté contre la « chimiatrie » dominante, puis ils ont fini par admettre certains de ses succès.

L’histoire aurait pu se stabiliser dans un subtil équilibre entre les « anciens » et les « modernes », entre le tout analytique et le tout synaptique, entre le tout comportemental et le tout chimique. Mais le marché ne sait pas se fixer de limites, surtout dans le domaine de la santé, et tout particulièrement dans celui de la psychiatrie où il est devenu le principal organisateur du savoir.

L’acception du deuil en constitue la plus caricaturale démonstration. Dans la version III du manuel de référence en psychiatrie (DSM III), la durée au-delà de laquelle il fallait considérer le deuil comme un trouble dépressif avait été rabaissée à un an. Dans la version IV, cette durée était de deux mois. Et enfin dans la version V, il est écrit que le deuil est un trouble dépressif s’il dure plus de deux semaines.

La souffrance d’un deuil est parfois si intense que les proches, souvent dépourvus, conseillent d’aller consulter un médecin, surtout depuis l’intense promotion de l’action médicale dans la dépression.

Si ce médecin est assez réaliste et rebelle pour éviter la prescription d’un antidépresseur, sachant que ce médicament provoquera une dépendance souvent irréversible, il pourra simplement suggérer aux proches du défunt de pleurer le temps qu’il faudra. Et, s’il a quelque peu d’empathie, il pourra pleurer avec eux, comme le font les amis, puisque le médecin est désormais chargé de gérer l’ingérable.

Bibliographie

Cas clinique de la France

lundi 25 avril 2016

Le diagnostic d’un patient résulte souvent du « flair clinique » basé sur l’expérience du clinicien, mais il convient de l’étayer par des arguments paracliniques (analyses et images). Cette méthode est théoriquement applicable au diagnostic d’un pays. Dire que la France est dépressive est un sentiment viscéral que le clinicien doit étayer. Ce sont alors des indicateurs sociaux, politiques et économiques qui serviront d’éléments paracliniques.

Le nombre de touristes indique l’attractivité, mais n’est pas un indicateur du registre psychiatrique qui nous intéresse ici. Les records de consommation de pesticides et d’antibiotiques sont plus pertinents, car ils orientent vers une phobie des microorganismes.

L’indicateur le plus pertinent est le record de consommation de psychotropes, en particulier benzodiazépines (tranquillisants) et antidépresseurs.

Le ratio, supérieur à la moyenne, de djihadiste et consommateurs de cannabis parmi les adolescents et jeunes adultes peut servir d’indicateur d’instabilité psychique.

La France est sur le podium pour le chômage, facteur de risque de nombreuses pathologies, dont la dépression. Le record du nombre d’animaux domestiques par habitant pourrait argumenter un désordre affectif.

La France détient également des records pour le nombre de jours de congé-maladie, mais la fréquence de ces maladies itératives n’a manifestement pas d’impact sur l’espérance moyenne de vie à la naissance. Ce qui suggère une prépondérance du registre psychosomatique sans répercussion organique notable. Réjouissons-nous cependant, d’avoir été dépassés par d’autres pays, pour cet indicateur. Nous avons aussi quitté le podium de la morbidité par accident de travail.

Notre record du plus faible nombre d’heures de travail annuel est un symptôme d’interprétation clinique délicate, car il peut être soit le facteur de notre bonne santé, soit le signe d’une fatigue chronique. La deuxième interprétation doit être privilégiée en raison de la bonne santé des travailleurs indépendants, non concernés par cet indicateur.

Ces arguments paracliniques confirment le diagnostic de dépression. La psychanalyse, dont notre pays est le dernier bastion, pointe toujours la responsabilité de la mère. Marianne serait donc coupable de tout. La psychiatrie moderne, plus pertinente et moins misogyne, essaierait de déterminer le type de notre dépression nationale. Est-elle réactionnelle, donc passagère, unipolaire, donc continue, bipolaire, donc cyclique ? Plusieurs nouveaux indicateurs orientent vers la maladie bipolaire où alternent des phases maniaques et des phases dépressives.

La France est sur le podium du nombre de jours de grève, symptôme de désinhibition sociale et elle possède le record absolu du nombre de partis politiques, symptôme d’histrionisme. Deux symptômes du registre maniaque, au même titre que les révolutions, manifestations et contestations dont nous avons la primeur historique.

Maladie bipolaire à valider au prochain staff de cas cliniques.

Références

Pharmacologie du suicide

vendredi 17 avril 2015

La dépression est une entité médicale qui n’a jamais obtenu de définition satisfaisante. L’imipramine a été le premier médicament considéré comme actif pour améliorer l’humeur,  cette molécule a inauguré la grande famille des antidépresseurs dits « tricycliques ». D’autres familles ont suivi, basées sur de subtils réductionnismes de la chimie synaptique : inhibiteurs de la monoamine-oxydase, inhibiteurs de la capture de l’adrénaline ou de la sérotonine.

Plusieurs de ces médicaments, en conformité avec les prévisions théoriques, ont pu modifier temporairement l’humeur ou son expression, mais hélas, aucun d’eux ne s’est montré vraiment plus efficace qu’un placebo pour changer le cours des dépressions à moyen et long terme.

Cet échec vient du fait que la dépression n’est pas une entité isolée. La dépression médicale la mieux établie et la plus fréquente est la phase dépressive de la maladie bipolaire, et il existe des dépressions unipolaires psychotiques plus rares. Dans le premier cas, les antidépresseurs sont inefficaces et dangereux, ils majorent le risque de suicide. Dans le deuxième cas, les antidépresseurs ne sont qu’un traitement d’appoint difficile à évaluer.

Ces médicaments majorent également le risque de suicide quand ils sont utilisés comme traitement de la multitude des « non-maladies » nommées dépressions, particulièrement chez les adolescents.

Les antidépresseurs sont donc des médicaments inutiles et/ou dangereux dans le traitement de la grande majorité des dépressions majeures et mineures. Mais pour ne pas heurter la normativité des médecins et de leurs patients, il convient d’être beaucoup plus concret pour les convaincre que ces propos ne sont ni péremptoires ni répréhensibles.

La meilleure définition d’une dépression médicale grave de type bipolaire ou unipolaire repose sur le risque élevé de suicide. Tout clinicien, soignant un patient à l’humeur dépressive, a donc comme priorité principale d’empêcher le suicide qui est logiquement considéré comme l’échec médical absolu.

La réflexion clinique dans des pathologies de cette complexité où notre méconnaissance reste forte, doit parfois se résumer à regarder les chiffres les plus simples de la façon la plus triviale.

Les antidépresseurs ont été découverts, il y a un demi-siècle, et dans les pays où ils sont utilisés, le taux de suicide a augmenté de 60%.

Avec des chiffres aussi brutaux, comment peut-on encore fabriquer des preuves moléculaires sophistiquées et des discours psychiatriques alambiqués autour de la dépression ? Lorsque le symptôme qui définit à la fois la gravité de la maladie et signe l’échec médical présente une augmentation aussi faramineuse de son incidence.

Je suis toujours stupéfait de la carence épidémiologique dans laquelle baigne la pharmacologie psychiatrique et particulièrement celle du suicide.

Références