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Biais de participation

samedi 14 janvier 2017

Une étude sociologique dans les usines électriques Hawthorne a été réalisée dans les années 1920 pour étudier différents facteurs susceptibles d’augmenter la productivité des ouvrières. Pour cela, les ateliers avaient été séparés en deux groupes, les uns où les conditions de travail avaient été améliorées, et les autres qui servaient de témoins.

Les expérimentateurs eurent la surprise de constater, d’une part, que la productivité augmentait aussi dans les ateliers témoins, et d’autre part, qu’elle ne diminuait pas lorsque les améliorations étaient supprimées en cours d’expérimentation.

Ainsi, les ouvrières étaient motivées par le seul fait de participer à l’expérience, soit par émulation,  soit par une meilleure estime de soi.

Cet effet nommé « effet Hawthorne » est un biais de participation. Le seul fait de participer à une étude améliore les résultats indépendamment des facteurs concrets de l’expérimentation.

Dans les études cliniques, l’équivalent est le biais de consentement : donner son accord signé pour participer à un essai clinique modifie les résultats thérapeutiques. Ce biais de consentement vient s’ajouter à l’effet placebo usuel de tous les médicaments, mais il en diffère, car on le constate aussi dans de simples études observationnelles dépourvues de toute prescription. Par exemple, lors d’une enquête de suivi après un accident vasculaire, le groupe consentant était suivi par un questionnaire direct, le groupe non consentant était suivi par l’intermédiaire du médecin traitant (sans rompre le secret d’identité). On s’est rendu compte par la suite que la comparaison entre les deux groupes était impossible, car ils étaient très différents dès le départ. Ceux qui avaient donné leur consentement étaient moins gravement atteints. Ainsi, le fait d’accepter de participer à une étude peut être considéré comme une forme d’optimisme sur son propre cas, et le fait de refuser peut être une forme de conscience de la fatalité.

Cet effet Hawthorne et ces biais de consentement ont une importance majeure dans l’épistémologie de la médecine, puisqu’ils empêchent de connaître l’évolution naturelle des maladies. Il en est exactement de même pour l’évolution des bien-portants en cas d’intervention médicale préventive.

Ce fait prend beaucoup d’importance à une époque où les prescriptions aux bien-portants deviennent majoritaires. Quelle que soit notre opinion sur les risques ou les bienfaits de la pharmacologie préventive, nous n’aurons probablement jamais les moyens scientifiques de savoir si la médecine prolonge ou diminue la vie des bien-portants.

Réjouissons-nous tout de même de pouvoir vérifier qu’elle améliore la vie des malades.

Bibliographie

Obscurantisme officiel ou alternatif

mercredi 18 novembre 2015

Jusqu’au début du XX° siècle, toutes les thérapies ont reposé sur l’empirisme et la subjectivité. Puis des médicaments comme l’insuline, les antibiotiques, l’héparine, et quelques autres, avec leurs supports théoriques parfaits et leurs preuves statistiques incontestables, ont permis de faire émerger une thérapeutique enfin académique. Créant ainsi une distinction durable entre la médecine dite « scientifique » et toutes les autres dites « alternatives » ou « parallèles », souvent associées au charlatanisme, à l’obscurantisme, voire à des dérives sectaires.

Mais si la « science biomédicale » a brillamment pénétré le domaine du diagnostic, elle a manifestement du mal à s’imposer dans le domaine du soin. Les cliniciens restent souvent perplexes devant l’écart entre les théories pharmacologiques et leurs résultats concrets ; particulièrement pour des pathologies dites « chroniques », des troubles fonctionnels, des cancers évolués, et  partout où les critères de jugement et les objectifs thérapeutiques sont difficiles à définir.

Il était plus facile hier de prouver l’efficacité de la pénicilline dans la syphilis que de prouver aujourd’hui l’action d’un hypocholestérolémiant, d’un antidépresseur ou d’une chimiothérapie sur la quantité/qualité de vie.

D’autant plus que  ces « nouvelles » pathologies n’ont parfois pas de réalité vécue par les patients eux-mêmes, ou qu’au contraire, leur réalité est tellement insupportable que les patients et leurs proches sont incapables de juger objectivement l’action médicale.

Il n’est pas besoin d’être expert en sciences humaines et sociales pour projeter ce que peut devenir un commerce où les critères de demande, de choix, et de satisfaction, reposent exclusivement sur la réflexion et les analyses du marchand.

Les experts attentifs évaluent à moins de 1%,  le pourcentage des publications médicales des plus prestigieuses revues dont la méthodologie est correcte et les résultats scientifiquement acceptables. Un tel laxisme dans l’industrie aéronautique ou la fabrication de chaussures provoquerait bien vite la grogne des consommateurs et la faillite.

Le commerce du soin diffère de tous les autres, les charlatans utilisent la suggestibilité des patients les plus influençables, les médecins ont l’affection des plus vulnérables, les obscurantistes ont la confiance des plus frustes. La science a réussi à mettre de l’ordre dans tout cela, mais seulement pour les maladies les plus « tangibles » et les morts les plus « précoces ».

Pour les maladies chroniques, telles que définies arbitrairement par la biomédecine, et pour la prévention hypothétique des dégénérescences liées à l’âge et à l’environnement, il semble préférable de ne faire confiance qu’à son hygiène de vie et à sa bonne nature.

Pour ceux qui, malgré tout, demandent un complément thérapeutique, le médecin a de plus en plus de mal à les conseiller entre l’obscurantisme officiel et les obscurantismes alternatifs.

Références

Exercice mathématique et mercatique autour de l’Alzheimer

lundi 11 août 2014

La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. En épidémiologie, il s’agit d’un pourcentage énorme, surtout pour une maladie aussi invalidante.

Piètre réconfort : elle survient à un âge avancé, presque toujours supérieur à 65 ans. Cet âge étant défini comme borne de la mort prématurée, la maladie d’Alzheimer n’est donc responsable que de morts non prématurées.

A l’heure actuelle, aucun médicament commercialisé n’a d’efficacité sur le cours global et le pronostic de cette maladie neuro-dégénérative. L’idée est donc de la prévenir, à défaut de pouvoir la guérir. Les investissements et les recherches abondent dans cet objectif, et aboutiront certainement à plusieurs nouvelles molécules commercialisables.

Nous savons depuis longtemps que « commercialisé » ne veut pas dire efficace. L’autorisation de mise sur le marché repose sur deux critères principaux : modèle théorique d’action et preuve de l’efficacité par essai clinique randomisé.

Les modèles théoriques d’action sur la maladie d’Alzheimer ne manquent pas : protéine tau, dépôts amyloïdes, et (trop) nombreuses pistes génétiques (APOE, APP, PSEN, BDNF, SORL1, CLU, BIN1, etc. ; il y a actuellement plus de 25 régions génomiques impliquées) !

Quant aux essais cliniques, il est quasi impossible de prouver l’efficacité d’un médicament curatif, et a fortiori préventif, sur une pathologie plurifactorielle d’apparition tardive, souvent associée à d’autres pathologies, chez des patients polymédicamentés, car il y a toujours trop de facteurs de confusion. Pour réaliser cet exploit, il faudra d’autres « ressources » qui ne dépendent pas de la science exacte. Mais soyons certains que les marchands y parviendront.

Une fois la molécule mise sur le marché, elle n’aura, par contre, aucun problème à prouver son efficacité. Reprenons notre propos à son début. Cette pathologie concerne 15% des sujets de plus de 75 ans. Le corollaire est l’absence de cette maladie chez 85% d’entre eux. La molécule en question sera inévitablement vantée et considérée comme efficace chez 85% des sujets qui l’auront prise !

D’aucuns trouveront cet humour mathématique bien sombre pour un drame social et familial de cette importance. C’est vrai, le drame est réel. C’est pourquoi le clinicien que je suis tient à rappeler que les exercices cognitifs, la marche, la socialisation et le toucher sont pour l’instant les seules méthodes ayant fait la preuve d’une très légère efficacité sur l’apparition et le cours de cette maladie. Et surtout, que l’apparition d’une molécule pour une pathologie chronique quelconque s’accompagne irrémédiablement d’un recul des actions préventives non pharmacologiques, donc d’un recul de la prévention.

Telle est la réalité du terrain, il est utile de la rappeler.