Archive pour avril 2011

Nous vivons dangereusement

samedi 30 avril 2011

Monsieur Rolf Sievert a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps. C’est lui qui a déterminé l’unité de mesure la plus pertinente des doses radioactives reçue par nos tissus vivants. Il a détrôné madame Curie, messieurs Gray, Joule,  Becquerel et Roentgen. Il a même réussi à éliminer Rad, bien que les acronymes soient encore plus résistants que les savants.

L’acronyme immortel de Sievert est le mSv (milliSievert) qui nous rappelle, avec raison, que nous vivons dangereusement. Certains d’entre nous plus que d’autres. Ainsi les centaines de « liquidateurs » de Tchernobyl et de Fukushima qui ont reçu plus de 6000 mSv sont morts en quelques jours. Ils sont morts en héros, ce qui n’est pas le cas des centaines de milliers de victimes civiles de Hiroshima et Nagasaki. Les liquidateurs sont aussi morts pour la patrie comme les millions de poilus de 14/18. L’extrême précision du mSv nous rappelle, avec justesse, que le nucléaire civil est mille fois moins dangereux que le nucléaire militaire et cent-mille fois moins dangereux que le fusil à baïonnette.

Tout dépend de l’utilisation que l’on n’en fait. Ainsi, pour le nucléaire civil, il faut éviter les dictatures – cela est encore possible – les tremblements de terre et la consommation d’énergie – cela est définitivement impossible. Pour le nucléaire militaire et le fusil à baïonnette, il faut éviter les guerres – on essaie sans succès depuis longtemps –.  

Lorsque l’on atteint la dose de 300 à 400 mSv par heure (seuil d’évacuation des civils de Tchernobyl et Fukushima), il faut partir en courant – cela on peut souvent le faire – car on risque beaucoup plus de cancers comme avec les cigarettes – que l’on peut éviter – et avec les années – que l’on ne peut pas éviter.  Les années qui passent sont un double risque, car notre immunité au cancer diminue et la dose de radioactivité naturelle que nous absorbons augmente de 3 mSv par an.  Toujours selon les experts, on peut accepter de 100 à 200 mSv dans une vie sans augmenter significativement le risque de cancer. Le calcul est simple, après 50 ans, on a largement dépassé le seuil acceptable et le risque de cancer augmente. Qui l’aurait cru avant Fukushima ? La tectonique des plaques est riche d’enseignements en épidémiologie.

Enfin chaque scanner nous fait absorber environ 10 mSv (de 5 à 15) ce qui équivaut à trois années de vie normale, et à un trois-centième de Tchernobyl ou de Fukushima. Il faut donc aussi éviter les scanners. Peut-on le faire ? Un récent sondage du Journal international de médecine montre que 70% des patients ne s’inquiètent toujours pas de la radioactivité des scanners. C’est donc aux médecins qu’incombe cette responsabilité de soustraire leurs patients à ce risque souvent inutile et qui peut réveiller des angoisses au lieu de les apaiser comme le prétend la cigarette.

Trois conclusions s’imposent à cette courte réflexion sur la dangerosité de la vie : mort à la guerre, attention au progrès et vive la médecine clinique. 

La cigarette au cinéma

mercredi 13 avril 2011

Les producteurs de films ont une obsession budgétaire bien compréhensible. La concurrence est rude, les tournages coûtent cher et le retour sur investissement n’est jamais garanti même avec les réalisateurs les plus talentueux ou les plus racoleurs. Ce septième art est beaucoup plus budgétivore que ses six illustres ancêtres. Cet aspect financier est possiblement l’une des facettes de sa modernité.

En France, le centre national de la cinématographie, alias CNC, est un bailleur public connu pour son action auprès des jeunes producteurs et réalisateurs indépendants. Pour les séniors, les sponsors privés ne manquent pas, mais ils influencent lourdement l’œuvre artistique. La publicité dans une fiction cinématographique est une manœuvre délicate entre la discrétion et la grossièreté académiques. Gros plans sur la marque d’une automobile ou d’une compagnie aérienne, longue séquence sur une région touristique ou un complexe hôtelier, adoration d’un champagne, banalisation d’une bière. Rythme d’une scène calqué sur les ondulations du prêt-à-porter, érotisme confiné dans le bas-nylon ou l’after-shave.   

La cigarette est certainement la meilleure alliée financière du producteur et l’aide la plus précieuse du réalisateur. De quel policier n’a-t-elle pas ponctué la réflexion ? Combien de fois a-t-elle validé une complicité que le dialogue avait mal esquissée ? De quel héros n’a-t-elle pas été la compagne lascive et de quelle héroïne n’a-t-elle pas été le flambeau de la virilité ?  

Après les différentes lois visant à limiter le tabac, on aurait pu craindre que l’industrie du tabac ne règne plus que sur la formule 1. C’eut été mal connaître ses ressources. Le septième art est plus gorgé de tabac qu’il ne l’a jamais été.  

Ne reprochons rien aux romanciers et scénaristes, ils n’ont pas pour vocation de poser les questions éthiques d’une protection sanitaire de leurs jeunes concitoyennes et concitoyens. Cependant, avec l’accroissement des connaissances sur les affres du tabac et l’évolution législative à son endroit, les producteurs et réalisateurs pouvaient craindre que le CNC, cousin ministériel de la santé publique, ne les prive de subsides pour des scénarios où la cigarette serait un personnage majeur.  Il n’en est rien, le CNC et la cigarette semblent devoir faire bon ménage pour longtemps encore. Quels que soient les problèmes sanitaires ou éthiques à venir, il semble bien que les ministères et les industries en soient dédouanés d’avance. Le septième art n’a rien à craindre.

Tant mieux ou tant pis, comme l’on voudra.