Archive pour décembre 2009

Pensons à nos morts du dernier trimestre

vendredi 18 décembre 2009

Depuis trois mois en France 140 000 personnes sont décédées, parmi elles nous pouvons dénombrer avec une bonne précision :

10 000 personnes décédées d’un accident vasculaire cérébral

10 000 ont fait une mort subite

8 000 personnes décédées d’un cancer du poumon lié au tabac

8 000 sont mortes d’une pneumonie non grippale

4 000 sont mortes d’un cancer du colon

3 000 sont mortes par suicide

3 000 femmes sont décédées d’un cancer du sein

3 000 personnes sont mortes d’une intoxication médicamenteuse accidentelle

3 000 d’une embolie pulmonaire

1 800 sont mortes d’un cancer digestif (hors colon)

1 500 sont décédées d’un accident domestique

1 200 sont mortes d’un accident de la route

1 000 sont mortes d’un accident du sport ou des loisirs

700 enfants de moins de un an sont décédés à la suite d’une pathologie néo-natale

500 sont mortes d’une septicémie

260 par homicide

250 d’une infection intestinale

250 de la tuberculose

250 sont mortes du SIDA

150 sont mortes d’une hépatite virale

140 sont mortes de la grippe

Respectons une minute de silence pour les 139 860 personnes qui sont décédées avec discrétion d’une cause non grippale.

Note : les chiffres cités correspondent à la division par quatre de la mortalité annuelle de 2008 dans les différentes pathologies d’après les sources les plus sûres (INED, INSEE, BEH, Prescrire, revues médicales.) Le risque d’erreur est inférieur à 10%. Nous avons volontairement arrondi les chiffres pour une meilleure lecture. Seul le chiffre de la grippe correspond au chiffre officiel à la date du 15 décembre 2009. Le chiffre de 2008 pour la grippe était déjà supérieur à la même époque !

Parler ou écouter

mardi 15 décembre 2009

Il est impossible de lire un article sur la relation médecin/patient sans que le mot « écoute » y soit mentionné. Avoir une bonne écoute… Les patients apprécient l’oreille du soignant… Les patients viennent pour s’exprimer… Faites parler vos patients…

Si l’article est rédigé dans une revue à connotation « psy » le bon médecin est un mutique qui ponctue de hochements de tête la logorrhée de son patient.

Comme tous mes confrères, soumis à la tyrannie intellectuelle des belles années de la psychanalyse, nous avons longtemps pensé que ce « médecin-oreille » était l’archétype du soignant, même pour les plus organiques des pathologies.

Vivant cette idée reçue au quotidien, nous n’avons même pas pris la peine d’interroger nos patients. Pourtant, la plupart d’entre eux ne se plaignent jamais du manque d’écoute de leur médecin, mais du manque d’explication. Que son médecin soit un puriste de l’organe, un fanatique des preuves, un adepte du fonctionnel ou un prophète du psychisme, c’est curieusement le manque d’explication qui entraîne les plus grandes frustrations du consommateur de soins. Faites l’expérience. Parlez, expliquez, soyez didactiques, affichez la cohérence de la médecine factuelle sans oublier d’insérez l’individualité de votre patient dans le cadre pathologique, et vous verrez vos patients ravis.

Encore, faut-il évidemment avoir quelque chose à dire. Car si le cadre pathologique ne relève ni du psychiatrique, ni du psychosomatique, ni du facteur de risque, ni de l’organique, il ne relève donc pas du médical. Dans ce cas, parler ou écouter n’a pas d’importance, il faut réorienter le patient vers d’autres marchands.

Dans l’illimité du marché du soin, la place du soignant médical est bien d’agir et non d’être agi.

Grippe : douceur et cruauté des chiffres.

mercredi 2 décembre 2009

Les chiffres sont à la fois doux et cruels. La grippe, dont la tyrannie médiatique, nous oblige à l’avoir ou à la supputer, offre finalement des chiffres rassurants. Environ 80 cas mortels sur 2,8 millions de cas estimés en France à ce jour. Ainsi la mortalité imputable à cette épidémie semble être environ trente fois inférieure à la mortalité des précédentes, usuellement et grossièrement estimée à un pour mille. Douceur du chiffre qui nous annonce cette grippe comme trente fois plus bénigne que les autres.

A moins que ce virus soit aussi mortel ou plus que les précédents… Les chiffres signifieraient alors une surestimation du nombre de cas. Ce surdiagnostic représenterait 29 cas sur 30 ou plus ! Cela laisse perplexe et rend soudain les chiffres cruels, car ils révèlent que nos diagnostics sont incertains et influençables. Puisque le peuple, le ministère et les médias veulent que chaque fébricule ou rhume soit une grippe A, pourquoi les en dissuader et se comporter en rabat-joie de la grégarité ou en puriste du doute scientifique ? Oui notre science clinique est depuis très longtemps fortement influencée par les argumentaires mercatiques médiatiques ou politiques. Voilà que la division par trente de ce chiffre de mortalité nous le rappelle de façon cocasse.

On reproche souvent à la médecine basée sur les preuves d’être une médecine de la calculette. Je constate que le reproche est à moitié injustifié. L’usage de la calculette sert le plus souvent à démontrer l’efficacité des thérapeutiques ou à rehausser l’angoisse pathogène des facteurs de risque, mais curieusement, la calculette disparaît pour les « règles de trois » les plus élémentaires de l’épidémiologie. Tout se passe comme si les chiffres semblaient perdre leur pertinence lorsque leur résultat diminue la charge anxiogène sur la population.

Le concept de médecine basée sur les preuves est le dernier fleuron de la médecine moderne. Si nous ne voulons pas succomber sous la vague obscurantiste, ne faisons jamais l’impasse de ce principe des preuves… On ne peut pas le brandir à la demande… C’est tout le temps ou jamais.

Si c’est tout le temps : soit cette grippe est vraiment bénigne, soit son diagnostic est inflationniste au-delà du raisonnable.

Luc Perino